Jean 8
1 Et Jésus gagna le mont des Oliviers.
2 Dès le point du jour, il revint au temple et, comme tout le peuple venait
à lui, il s'assit et se mit à enseigner.
3 Les scribes et les Pharisiens amenèrent alors une femme qu'on avait
surprise en adultère et ils la placèrent au milieu du groupe.
4 «Maître, lui dirent-ils, cette femme a été prise en flagrant délit
d'adultère.
5 Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en
dis-tu?»
6 Ils parlaient ainsi dans l'intention de lui tendre un piège, pour avoir de
quoi l'accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits
sur le sol.
7 Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et
leur dit: «Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première
pierre.»
8 Et s'inclinant à nouveau, il se remit à tracer des traits sur le sol.
9 Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l'un après l'autre, à
commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul. Comme la femme était toujours
là, au milieu du cercle,
10 Jésus se redressa et lui dit: «Femme, où sont-ils donc? Personne ne t'a
condamnée?»
11 Elle répondit: «Personne, Seigneur», et Jésus lui dit: «Moi non plus, je
ne te condamne pas: va, et désormais ne pèche plus.»
Prédication
La réplique est fameuse.
« Celui qui est, parmi vous, sans péché, qu’il lui jette le premier la
pierre. » La réplique est efficace, puisque les accusateurs – bourreaux
– renoncent à leur sinistre dessein et s’en vont.
Mais cette réplique si
efficace, d’où vient-elle ?
Première piste.
D’où vient la réplique de
Jésus ? La réplique vient de Jésus, produit de son propre génie. A ce
moment de sa discussion critique avec les humains, l’homme Jésus est capable
d’une cinglante répartie (c’est peut-être dans l’évangile de Jean que Jésus est
le plus capable de ce genre de répartie, peut-être parce qu’il y est La Parole).
Ce qui donne une
interprétation finalement très séculière de l’événement. Il parle et la femme
est sauvée, ce qui est l’essentiel.
Tout le reste est
dérisoire. Mais même si tout le reste est dérisoire, il nous faut explorer ce
reste.
Deuxième piste
D’où vient la réplique de
Jésus ? (c’est la même question) Mais pour y répondre, commençons par une
autre question. La condamnation de la femme, d’où vient-elle ? Elle vient
de la Loi, elle vient de Moïse, comme ils disent ; aujourd’hui nous
dirions Lévitique 20,10 ou Deutéronome 22,22-24. Sauf que ces commandements ne
parlent pas de la femme seulement, mais de la femme et de l’homme. Or, dans le
procès expéditif auquel nous assistons, l’homme n’y est pas. Est-ce respecter
le commandement que de mettre la femme à mort pendant que l’homme court
encore ? Cette subtilité ne semble pas avoir effleuré les accusateurs… ces
gens-là sont toujours mille fois plus sévères contre les femmes, qu’ils
condamnent, que contre les hommes, qu’ils absolvent, et c’est encore le cas
aujourd’hui.
Ceci dit Jésus parvient à
arrêter les bras assassins, et il nous semble que c’est Loi contre Loi,
commandement contre commandement.
Allons-nous trouver le
commandement dont Jésus se réclame ? Nous nous précipitons sur notre
concordance… mais sous les références liées à adultère, nous ne trouvons rien
qui suspende le geste vengeur. Nous n’avons pas ça dans notre Loi écrite de
Moïse, cinq premiers livrets de notre Bible devant l’océan de la Loi orale de
Moïse, sans parler des probables milliers de leçons qui ont été perdues… Et
donc les accusateurs gagnent.
Cependant, il est vain de
chercher à tout propos une concordance littérale, comme si le mot et la chose
étaient toujours et à jamais identiques.
Que cette concordance
littérale n’existe pas n’empêche pas que le débat soit un débat à l’intérieur
même de la Loi.
Prenons un exemple, dans
le livre du Lévitique, au chapitre 20, qui est celui dont se réclament les
accusateurs de la femme. C’est vraiment un chapitre dans lequel éclate
l’obsession de sainteté (de pureté, rituelle, sociale, etc.) qui a habité
l’esprit de certains auteurs religieux de l’ancien Israël : pour presque
tous les écarts, la peine est toujours la même, la mort. Mais dans ce sinistre catalogue, il vient
ceci : « 7 Sanctifiez-vous donc pour être saints, car
c'est moi, le SEIGNEUR, votre Dieu. 8 Gardez mes lois et mettez-les
en pratique. C'est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie. » Alors, nul
doute qu’il ne faille respecter et faire respecter les lois, et que cela ne
peut pas nuire à la bonne santé du corps social, mais quant à les mettre en
œuvre littéralement, c’est une toute autre chose. Est-ce qu’on sanctifie le
corps social en multipliant les mises à mort ? Réponse : C’est Dieu
et Dieu seul qui sanctifie. La fin – finale – de la Loi lui appartient. Et ceux
qui, au nom de Dieu, mettraient à mort la femme adultère – et tous les autres –
prendraient à Dieu ce qui n’appartient qu’à Lui. De fait ils se prendraient
pour Lui, ce qui est au moins un péché, voire un blasphème.
Seulement, les bras déjà armés de pierres
ont-ils des oreilles pour entendre un
vague reste de sentiment humain, pour entendre la voix implorante d’une
malheureuse femme ?
Si nous faisons l’hypothèse que ces
bras armés de pierres avaient un rien, un soupçon de conscience de ce qu’ils
faisaient, alors, peut-être que la répartie de Jésus les rappelle à leur
conscience pécheresse : prétendre être autorisé à jeter la pierre est en
soi un péché. Et alors ils se retirent… et la femme est sauvée. Et nous en
revenons à l’essentiel. En ayant peut-être un peu mieux compris.
Troisième piste.
La répartie de Jésus suffit à sauver
cette femme, mais même si, en méditant ce récit et son commentaire nous ouvrons
nos esprit à une forme toute pratique de la miséricorde chrétienne, le salut de
cette femme est un salut tout littéraire. Ça se passe dans la Bible et dans nos
têtes.
Et pendant ce temps-là, ces
messieurs décident que les écoles ne seront pas ouvertes aux filles, et que
sans un chaperon, les femmes ne prendront pas l’avion. Nous pressentons que la
créativité de ces messieurs sera sans limites… Mais qu’y pouvons-nous ?
Quelque chose peut sortir de nous. Chose
dérisoire, et pourtant essentielle. Nous n’avons peut-être pas la répartie de
Jésus de Nazareth pour trouver la phrase qui sauve, ni celle qui change le
monde. Mais il y a, mais il reste notre prière. Nous pouvons, et nous pourrons,
toujours prier.
Puisse le Seigneur rendre justice à
toutes les femmes