samedi 23 avril 2022

Actes des Apôtres, quelle évangélisation ? (Actes 5,12-16)

 

Actes 5

12 Beaucoup de signes et de prodiges s'accomplissaient dans le peuple par la main des apôtres. Ils se tenaient tous, unanimes, sous le Portique de Salomon,

 13 mais personne d'autre n'osait s'agréger à eux; le peuple faisait pourtant leur éloge,

 14 et des multitudes de plus en plus nombreuses d'hommes et de femmes se ralliaient, par la foi, au Seigneur.

 15 On en venait à sortir les malades dans les rues, on les plaçait sur des lits ou des civières, afin que Pierre, au passage, touche au moins l'un ou l'autre de son ombre.

 16 La multitude accourait aussi des localités voisines de Jérusalem, portant des malades et des gens que tourmentaient des esprits impurs, et tous étaient guéris.

Prédication : 

            Nous venons de lire un court extrait des Actes des Apôtres, 5 versets. Et dans ces 5 versets, il y a un fragment qui est, pour moi, essentiel.

            Avant de dire quel est ce fragment, j’en appelle à votre mémoire.

           

            Souvenez-vous, souvenons-nous. Au commencement des Actes des Apôtres, il y a les disciples de Jésus. Il y a Jésus ressuscité qui promet à ses disciples qu’une force viendra bientôt sur eux, une force avec laquelle ils deviendront témoins de l’Évangile, d’abord à Jérusalem, puis dans le reste d’Israël, puis à Rome, puis dans le monde entier.

            Le propos du livre des Actes des Apôtres est donc de rapporter ce qu’on peut appeler la première évangélisation du monde romain (à l’est de l’empire romain, il y avait un autre empire, l’empire parthe, mais dans la Bible nous n’avons pas de récit d’une première évangélisation de l’empire parthe).

            50 jours après Pâques, c’est Pentecôte, fête juive, Chavouot, fête du début de la moisson, et du don de la Loi, l’un des trois pèlerinages annuels au Temple, qui amène un monde fou à Jérusalem.

            C’est ce jour-là que s’accomplit la promesse faite par Jésus. L’esprit descend, ceux qui le reçoivent se mettent à parler des langues et autre idiomes qu’ils n’ont jamais appris, mais que comprennent les étrangers… L’esprit descend. Mais sur qui descend-il ? Nous pensons d’habitude à un groupe constitué des Apôtres et d’autres gens, hommes et femmes, qui les accompagnaient depuis plus ou moins longtemps. Mais en lisant, nous voyons que ceux qui reçoivent l’esprit sont des ils, ou eux, pronoms neutres, et nous pouvons tout à fait attacher le don de l’esprit aux seuls Apôtres, évoqués d’ailleurs, eux seuls, juste avant et juste après Pentecôte… Sur qui donc l’esprit descend-il à cette étape ? N’y aurait-il pas là, mal dissimulé, un privilège apostolique ? (nous laissons ça de côté pour l’instant).

            Retour au récit. Suite à ce tumulte, Pierre prend la parole et donne un beau discours, qui est en fait un beau catéchisme, catéchisme à la suite duquel trois mille personnes se convertissent, reçoivent le baptême, et rejoignent les rangs des Apôtres. Quant aux Apôtres eux-mêmes, ayant reçu l’esprit saint, ils se rangent pour l’heure silencieusement semble-t-il, derrière Pierre.

            (ce qui est étonnant, c’est que certains fragments des Actes mettent en scène Pierre seul, d’autres Pierre et Jean – avec préséance de Pierre – et d’autres les Apôtres, de manière collégiale ; et c’est donc, pour le lecteur, comme si l’unité, et l’unanimité, des Apôtres, et donc de l’Eglise, n’allaient absolument pas de soi ; c’est comme si la supériorité et la primauté de Pierre faisaient l’objet de discussions, voire de disputes ; nous allons revenir là-dessus).

 

            Et maintenant, relisons, Actes 5 « 12 Beaucoup de signes et de prodiges s'accomplissaient dans le peuple par la main des apôtres. Ils se tenaient tous, unanimes, sous le Portique de Salomon, 13 mais personne d'autre n'osait s'agréger à eux; le peuple faisait pourtant leur éloge, 14 et des multitudes de plus en plus nombreuses d'hommes et de femmes se ralliaient, par la foi, au Seigneur. »

            De ces trois versets nous retenons ceci : « Mais personne d’autre n’osait s’agréger à eux » Eux, ce sont les Apôtres. Nous avons déjà parlé de la possible première communauté chrétienne, et de ceux qui la composaient. Mais nous n’avons pas pris le temps de nous rappeler que, pour que cette communauté vive, tous les biens étaient mis en commun… Un engagement considérable. Nous n’avons pas non plus pris le temps de nous rappeler un épisode dérangeant, celui d’un homme, Ananias, et de sa femme, Saphira qui, membres de la première communauté apostolique, avaient vendu un champ et qui, d’un commun accord, n’avaient pas fait don à la communauté de l’intégralité du produit de la vente… Pierre, extra lucide et super puissant, les ayant confondus, l’homme et la femme furent foudroyés sur place.

            Et là, le lecteur s’inquiète, car devenir membre de cette communauté s’avère être tout à coup extrêmement exigeant et extrêmement dangereux. Et c’est donc tout comme nous avons lu, et comme nous lisons encore : « 12 Beaucoup de signes et de prodiges s'accomplissaient dans le peuple par la main des apôtres. (…) 13 mais personne d'autre n'osait s'agréger à eux ; le peuple faisait pourtant leur éloge (…) »       Seriez-vous, sœurs et frères, devenu membres d’une communauté exigeant l’assiduité, l’unité, l’unanimité, la soumission et la pauvreté, le tout sous peine de mort ? Personne d’autre n’osait s’agréger à eux. On parle ici des Apôtres, même si l’ombre de Pierre n’est pas loin.  En tout cas, les gens se détournent…

            Ils se détournent des Apôtres, au profit manifestement d’un autre mode de vie communautaire.  Ils se rassemblaient et se ralliaient, par la foi, au Seigneur (par la foi et non par le catéchisme). Ce qui signifie qu’ils avaient confiance dans le fait que quelque chose de bon pouvait leur arriver, de la part du Seigneur – entendons miraculeusement – au passage de tel apôtre, surtout Pierre – mais que de l’enseignement des Apôtres ils ne voulaient pas, tout comme ils ne voulaient pas de l’engagement des Apôtres.

            Que devient alors l’évangélisation ? Les Apôtres sont off… Ne reste que l’évangélisation de l’ombre de Pierre. « 15 On en venait à sortir les malades dans les rues, on les plaçait sur des lits ou des civières, afin que Pierre, en passant, touche au moins l'un ou l'autre de son ombre. » Et ça marche. «  16 La multitude accourait aussi des localités voisines de Jérusalem, portant des malades et des gens que tourmentaient des esprits impurs, et tous étaient guéris. »

 

            Et, dans le livres des Actes, toute une discussion va être menée, à savoir quel modèle communautaire – disons ecclésiastique – sera privilégié. Soit le modèle historique,  apostolique, son enseignement, sa discipline, son autorité et sa hiérarchie, ou un modèle spontané qui voit les communautés se former sur le mode d’une joie extraordinaire, dont on partage l’attente et la venue.

 

            … mais personne n’osait s’agréger à eux. C’est le bout de verset dont je souhaitais parler. Il trace une sorte de frontière, entre une foi qui pourrait être professée, mais pas vécue, et une foi qui ne pourrait être que vécue, mais pas professée.

            Je me souviens d’un cours d’histoire ancienne qui portait le titre « Orthodoxie et hérésies » (orthodoxie ne désigne pas ici les chrétiens orientaux mais les confessions de foi reçues unanimement dans les premiers siècles de l’ère chrétienne). Un cours passionnant, parce que l’enseignant avait introduit l’idée que ce qu’on professe – la confession de foi – c’est ce qu’on vit, et qu’il faut que la foi qu’on professe ne soit pas réservée à des champions (ascètes, vivant au fond du désert, ou perchés au sommet d’une colonne…), mais reste en somme vivable pour le plus grand nombre. En conséquence de quoi, disait-il, l’orthodoxie n’est pas une doctrine qui aurait été brutalement imposée, mais une proposition de vie qui aurait été laborieusement élaborée, avec le souci du peuple, des petites gens et des grandes personnes. L’orthodoxie serait donc le beau fil de la fraternité.

            Nous pourrons essayer de nous en souvenir lorsque, dans quelques instants, nous lirons le Symbole des Apôtres. Amen. 



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