samedi 3 juillet 2021

Devenir un simple prédicateur (Marc 6,1-6)

Marc 6

1 Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivent.

2 Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d'étonnement, de nombreux auditeurs disaient: «D'où cela lui vient-il? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains?  3 N'est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous?» Et il était pour eux une occasion de chute.  4 Jésus leur disait: «Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison.» 5 Et il ne pouvait faire là aucun miracle; pourtant il guérit quelques malades en leur imposant les mains.

 6 Et il s'étonnait de ce qu'ils ne croyaient pas. Il parcourait les villages des environs en enseignant.

Prédication

L’évangile qui était, la semaine dernière, proposé à notre lecture et à notre méditation rapportait deux miracles, la résurrection de la fille d’un notable, et le soulagement instantanée d’une femme qui souffrait depuis douze années d’une pénible perte de sang. La femme avait été guérie juste en touchant le manteau de Jésus. Quant à la jeune fille, Jésus l’avait simplement prise par la main en lui disant de se lever.

            Lorsque vos effets personnels deviennent surpuissants et que la plus banale de vos paroles peut réveiller les morts, plus rien ne devrait jamais vous résister.

            Or, Jésus partit de là et se rendit dans sa patrie, c'est-à-dire dans le village où avaient vécu ses pères (Nazareth peut-être), et où vivaient ses collatéraux, village où il était connu, comme nous l’avons lu. Il n’accomplit là que quelques guérisons de routine en imposant les mains, mais s’agissant de manifestations de la divine puissance, de miracles, Jésus ne pouvait rien faire.

            Et nous voici un peu étonnés, car cette impuissance de Jésus signifie qu’il existe sous le ciel quelque chose de plus puissant que la divine puissance, quelque chose qui peut faire que le Fils de Dieu lui-même devienne impuissant. Qu’est-ce à dire ?

            En ce lieu, Jésus est connu. Il est le charpentier, fils d’untel, frère de tels autres. En somme on sait d’où il vient. Mais on ne sait pas d’où lui vient sa sagesse, d’où lui vient la puissance qui s’exerce par ses mains... Jésus est, pour eux, occasion de chute. C’est comme si toute la connaissance disons généalogique qu’on a de lui devait impérativement conduire à ce que son présent et son futur soient connus également. Charpentier, fils et petit-fils de charpentier et assurément père de charpentier. Et tout cela habite pour toujours le paysage très régulier d’une existence villageoise. Alors bien entendu, il peut y avoir des charpentiers instruits, voire des charpentiers rabbins – charpentier, à cette époque, c’est un artisan, c’est notable, ça peut avoir des employés et du temps pour soi. Mais lorsque le charpentier commence à dire, et commence à faire, des choses extraordinaires, dont nul ne sait comment il les fait et d’où il les tient, ça étonne, ça crispe même.

            Il était pour eux occasion de chute. Ce qui signifie qu’ils étaient là, les collatéraux, les cohabitants, scotchés, comme on dit aujourd’hui, mais à comprendre en mauvaise part, c'est-à-dire avec une assez certaine nuance de méfiance, voire de défiance, voire même de rejet. De tout cela Jésus va prendre acte, en rappelant l’adage selon lequel "un prophète n’est méprisé que dans sa patrie…"

            Nous pourrions dire qu’il n’y a rien d’étonnant. On s’en tient à ce qu’est un village, une communauté humaine stable et d’une dimension qui fait qu’il n’y a pas en son sein d’anonymat possible. Et le résultat est celui que nous avons vu : Jésus ne peut faire là aucun miracle. Et tout serait simple, et bien explicité, s’il s’agissait de toute autre activité… mais là, il s’agit de miracles et de la libre – supposément libre – action puissante de Dieu dont nous pensons généralement qu’elle se passe bien de l’avis préalable, du consentement parlé ou muet, éclairé ou pas, de qui que ce soit. Mais le texte est têtu : Jésus "ne put faire là aucun miracle". Nous ne pouvons pas imaginer qu’il n’y ait pas eu là, dans cette communauté, quelques besoins de miracles. Devons-nous alors considérer que la puissance qui habitait Jésus n’était pas si puissante que cela, et donc réduite à la faiblesse, à néant, par obstruction humaine ? Nous avons en tout cas l’occasion de méditer sur cette puissance qui n’est pas toujours au rendez-vous… puissance bien réelle dans le texte mais à laquelle Jésus tournera le dos dans toute la deuxième partie de l’évangile, puissance qu’il rejettera totalement pendant sa passion… Est-ce déjà ce qui se manifeste dans nos versets d’aujourd’hui ? Peut-être.

            Si nous nous souvenons des deux miracles rapportés à la fin du 5ème chapitre de Marc, ces deux femmes dont nous avons parlé, nous voyons se mettre en place des désirs, des volontés, des chemins, des espérances qui tous convergent vers Jésus, qui aspirent à se tenir proche de lui, au contact de lui. C’est en parcourant ces chemins que les humains se rendent disponible à ce qu’ils espèrent de la part de Jésus. Et pour ceux-là, Jésus n’est pas une occasion de chute, Jésus n’est pas un piège qui immobilise. Mais il est, tout au contraire, et dès avant le miracle, un élan, le commencement d’un chemin. Commencement d’un chemin pour qui ?

            Et bien nous lisons que Jésus "s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas". A cet endroit les traducteurs ne nous aident guère. Car il n’est pas écrit que Jésus s’étonnait ; il est écrit qu’il était stupéfait, tout comme sont stupéfaits ceux qui assistent à un miracle, tout comme sont stupéfaits ceux qui ont été épargnés par la maladie ou le danger imminent, et dont la vie va être transformée à cause de ça. Jésus était stupéfait, et l’objet de sa stupéfaction était l’absence de foi, l’étendue de leur absence de foi. Disons que Jésus sait bien qu’un prophète n’est méprisé que dans sa patrie… mais qu’il ne sait pas à quel point, et c’est avec ses compatriotes qu’il le découvre.

            Et cela tout à la fois le touche, et le manque. Cela le manque parce que, dans cet épisode, aucune violence ne lui sera faite, mais cela le touche au point que sa vie va en être marquée.

            Plusieurs marques, la première, il ne put faire aucun miracle, aucun acte de puissance. Nous nous sommes déjà étonnés que, dans ce texte, l’expression de la puissance divine puisse être limitée par une volonté humaine. C’est même presque choquant et ça sera effectivement choquant pour nous si nous voulons imaginer Dieu tout puissant, et son Messie tout puissant… il y a quantité de matériaux bibliques qui vont dans ce sens. Mais nous devons aussi considérer d’autre matériaux, d’autres versets, qui montrent la faiblesse de Dieu, l’invincible amour de Dieu pour son peuple, amour en lequel il est faible. Ici, Marc 6:5, on nous parle du Dieu faible d’un Messie faible, incapable du moindre acte de puissance, alors que, très peu de temps auparavant, il aurait plutôt été le Messie puissant d’un Dieu Tout Puissant… Alors, bien sûr, un Messie puissant aurait bien pu rétablir sa renommée à la manière du prophète Élie (2Rois1:10), en déchaînant le feu du ciel sur certains de ses compatriotes, jusqu’à ce que les survivants s’inclinent. Mais ça n’est pas le choix que Jésus fait.

            Deuxième marque de cet épisode sur la vie de Jésus : ne pouvant faire aucun miracle, Jésus se convertit. Il se convertit à l’enseignement oral itinérant : il parcourut les villages des environs en enseignant. Jésus se convertit à ce que, dans ce contexte, nous pouvons appeler la discipline de la parole faible.

            Et par contraste avec le personnage qu’il était, surhumain et capable d’actes de puissance, il se convertit ici à la simple humanité.

            Messie de puissance et de miracles, il devient un Messie qui parle. Et, disons-le, c’est tant mieux. Le miracle n’est pas réitérable et n’a qu’un seul auteur. Mais l’enseignement – surtout lorsque l’enseignant est consciemment marqué par la faiblesse – n’est la propriété de personne, peut être médité par chacun, et partagé entre tous. Amen