Actes 10
1 Il y avait à Césarée un homme du nom de
Corneille, centurion à la cohorte appelée ‹l'Italique›. 2 Dans sa piété et sa crainte envers Dieu, que toute sa maison partageait,
il comblait de largesses le peuple juif (invention de la TOB) et invoquait Dieu en tout temps. (…)
25 Au moment où Pierre arriva, Corneille vint à sa rencontre et il tomba à ses pieds pour lui rendre hommage. 26 «Lève-toi!» lui dit Pierre, et il l'aida à se relever. «Moi aussi, je ne suis qu'un homme.» (…)
34 Alors Pierre ouvrit la bouche et dit: «Je me rends compte en vérité que Dieu est impartial, 35 et qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui. (…)
44 Pierre exposait encore ces événements quand l'Esprit Saint tomba sur tous ceux qui avaient écouté la Parole. 45 Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre: ainsi, jusque sur les nations païennes, le don de l'Esprit Saint était maintenant répandu! 46 Ils entendaient ces gens, en effet, parler en langues et célébrer la grandeur de Dieu. Pierre reprit alors la parole: 47 «Quelqu'un pourrait-il empêcher de baptiser par l'eau ces gens qui, tout comme nous, ont reçu l'Esprit Saint?» 48 Il donna l'ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ, et ils lui demandèrent alors de rester encore quelques jours.
Prédication
Lorsqu’on s’intéresse à
Pierre, et au chapitre 9 des Actes des Apôtres, lorsque, dans ce chapitre, on
s’intéresse aux destinations de Pierre, on se rend compte qu’il circule
beaucoup, et que ses destinations restent cantonnées à l’espace traditionnel
Judée Samarie Galilée dont nous avons déjà parlé. En particulier, Pierre ne s’aventure
pas au-delà de Jaffa, limite nord du territoire d’influence (70 km au
nord-ouest de Jérusalem) de la religion Juive. Ainsi donc peut-on dire que la
bonne nouvelle de Jésus Christ s’arrête là, c'est-à-dire là où elle est
susceptible d’être comprise par des populations traditionnellement imprégnées
par la Loi et par le Temple. Ce qui signifie que, dans la pensée de Pierre – et
donc sans doute dans la pensée des Apôtres – la Bonne Nouvelle de Jésus Christ,
affaire Juive, ne concerne pas les païens.
Or, indépendamment de
Pierre, à 90 km de Jérusalem, une affaire radicalement nouvelle est en train de
se tramer. A Césarée – ville assurément romaine – un certain Cornelius, romain,
centurion, semble-t-il sans avoir attendu de permission ni reçu d’instructions
de personne, vit pieusement, craint Dieu,
vient en aide aux Juifs – aux pauvres – du secteur et prie régulièrement
(Actes 10:2).
Ce qui signifie que là où
Pierre ne va pas, quelqu’un est déjà allé. Ou, pour le dire autrement, même si
Pierre n’y va pas, le centurion Cornelius a pu s’informer, considérer comme
bons – c'est-à-dire bons pour des Romains – certains éléments de la piété des
Juifs, et a mis en pratique certains de ces éléments.
Bons, c'est-à-dire bons pour des Romains, pour lui et pour sa famille, et nous aimerions pouvoir dire bon aussi pour les troupes qu’il commande, voire bon pour l’empire. Voire universellement bon…
Nous sommes tentés de dire
que cette Bonne Nouvelle de Jésus Christ est bonne pour le monde. Mais peut-on
oser dire une chose pareille ? Essayons de dire deux ou trois choses, à
partir de ce que nous avons lu.
- Cornelius, centurion romain dont nous avons
déjà repéré la piété, comblait « le peuple » de largesses.
Certains traduisent qu’il s’agissait du peuple Juif, les Juifs du coin ;
mais il nous semble qu’il s’agit du peuple, tout entier, du peuple de
Césarée, et de la Paix Romaine. Pour établir et maintenir la paix, les
voies de la répression peuvent être utilisées, mais elles ne sont pas les
seules et il semble bien que Corneille ait été capable de maintenir la
paix en déployant des mesures sociales dans une cité extrêmement
inégalitaire.
- Cornelius, centurion romain, se prosterne
devant Pierre. C’est un Romain qui se prosterne devant un Juif, le
dominant se prosternant devant le dominé. Mais Pierre ne veut pas de cette
prosternation. Tout se passe comme si un nouveau commandement était à
l’œuvre : Personne ne se
prosternera devant toi, ou Tu
relèveras celui qui se prosternera devant toi.
- (proche de 2) Avec ce commandement nouveau, il n’y a rien d’autre que des êtres humains, et tous sont égaux, en humanité, et aussi en divinité. Pierre dit : « … et moi aussi je suis un homme. » Et voici que la société selon l’Évangile est une société d’égaux.
Nous pouvons penser que
nous tenons là quelque chose d’universellement bon… mais nous devons rester
prudents, et modestes avec l’universel. Notre petit projet de société juste,
paisible et égalitaire est issu d’un choix approprié de versets bibliques… Le
chapitre 10 des Actes des Apôtres est bien porteur de ce projet, mais il est
porteur aussi d’un projet théologique, et d’un projet d’Église.
- Pierre affirme dans la maison de Cornelius, En vérité je comprends enfin que Dieu ne regarde pas au faciès.
Et nous n’avons pas de difficultés à adhérer à cette affirmation
théologique au titre de laquelle le nom de Dieu et une certaine
miséricorde de Dieu – on l’espère aussi de ceux qui parlent de lui –
couvrent la terre entière.
- Plus délicate est la suite, qui affirme qu’en toute nation, quiconque le révère et
travaille à la justice est bienvenu auprès de Lui. C’est plus délicat,
parce que cela introduit un étrange clivage entre des ouvriers de justice
qui seraient laïcs et des ouvriers de justice qui seraient religieux. La
question d el’ouvrier de justice qui ignore Dieu, et sans doute y en
avait-il dans le monde romain, voire même à Césarée, n’est pas abordée
(cet ouvrier de justice doit-il avoir connu et accepté Dieu pour que ses
péchés lui soient pardonnés ?). Et on se retrouve ici, en Actes 10, dans la même situation qu’avec la
fin de l’évangile de Marc, c'est-à-dire avec un projet théologique
extraordinairement ouvert, simple, et peut-être même universel, mais qui
se trouve articulé avec un projet ecclésiastique apostolique d’emblée restrictif.
Bien sûr, nous n’allons pas bouder le Saint Esprit qui prend Pierre de cours et qui tombe sur des païens convertis d’on ne sait où et à peine catéchisés. Nous n’allons pas bouder non plus sur la stupeur qui saisit les croyants circoncis – des vrais légitimes – qui avaient accompagné Pierre, mais nous nous demandons, La situation étant porteuse de tellement de promesses et de liberté, pourquoi donc fallait-il, que ces gens-là soient immédiatement baptisés ? La reconnaissance de la fraternité avec ces Romains chrétiens incirconcis ayant reçu le Saint Esprit devant des témoins qualifiés… la reconnaissance de la fraternité exigeait-t-elle que ces gens soient baptisés ? Ne répondons pas trop vite que leur baptême était une sorte d’abus de la part de Pierre et de la part de l’Église naissante. Le récit de Luc rapporte qu’ils furent baptisés sans délai.
Mais il y a encore à dire. Lorsque Pierre demande Quelqu’un pourrait-il empêcher de baptiser par l’eau ces gens qui, tout comme nous, ont reçu l’Esprit Saint, il suggère que certains s’opposaient au baptême d’eau des Romain – de tous les étrangers, des non Juifs – convertis… Il était donc audacieux de baptiser ainsi des païens. Et le geste de Pierre, les baptisant était peut-être un geste par lequel il entendait ouvrir les portes de l’Église à toutes les nations...
Alors, ce projet d’Église
selon Pierre, et selon l’Esprit Saint, et le projet de monde qui va avec ces
projets d’Église, sont-ils des projets ouverts, et égalitaires ? Ou
sont-ils des projets structurés par certains rites obligatoires, par
l’appartenance ethnique, et par des considérations hiérarchiques ? Le 10ème
chapitre des Actes des Apôtres, dont nous venons de lire juste quelques
versets, médite ces questions, sans, nous semble-t-il, trancher. Il ne nous
enseigne pas en disant Voici ce qui doit
être. Tout est, en quelque manière, remis par le texte entre les mains du
lecteur. Quelle Église, et quel monde, veux-tu ?
Nous restons sur cette
question. Puisse l’Esprit Saint apporter la réponse.