1 Corinthiens 1
22 Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse; 23 mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, 24 mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. 25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.
Prédication
Je voudrais commencer en partageant avec vous une interrogation qui s’inscrit dans la suite du sermon du culte de dimanche dernier. Pour que cette interrogation ne soit pas seulement intelligible pour ceux qui étaient là dimanche dernier, je vais faire un petit rappel biblique. Il s’agit d’Abraham. Au 18ème chapitre de la Genèse, Abraham reçoit la visite de Dieu lui-même. Et lorsque Dieu apprend à Abraham que Sodome et Gomorrhe vont être détruites, Abraham prend la défense de Sodome. Il discute avec Dieu pour sauver des vies humaines. Au 22ème chapitre de la Genèse, Dieu réclame à Abraham la vie de son fils Isaac, et Abraham obéit, froidement, brutalement, sans même aucune ébauche de discussion. Pourquoi Abraham change-t-il aussi radicalement de comportement ? Nous laissons cette interrogation de côté.
Paul écrivit à l’Église de
Corinthe. Il avait séjourné à Corinthe de 50 à 52, si l’on se fie à la
chronologie des Actes des Apôtres. Dix-huit mois de prédication fondatrice et
d’enseignement oral de Paul dont nous ne savons rien, si ce n’est que cela
avait conduit à la constitution d’une communauté très probablement à l’image de
ce qu’était la ville de Corinthe. Un petit nombre de gens libres et riches, une
énorme majorité de petites gens, pour la plupart esclaves. S’agissant des
langues et des cultures d’origine, il devait y avoir là une considérable
diversité communiquant dans une langue grecque très simple. Sans doute quelques
personnes bien instruites, Juives et Grecques. Et si nous ajoutons que le
christianisme était une religion vraiment toute jeune, nous nous
demandons : ces gens-là, qu’avaient-ils en commun qui pouvait faire
lien ?
Tant que Paul était là,
nous pouvons imaginer que la présence et l’autorité de Paul suffisaient à faire
lien. Mais après le départ de Paul ? « Moi, j’appartiens à Paul !
Moi, à Apollos ! Moi, à Céphas ! Moi à Christ ! »
(1Co1,12). Querelles et divisions s’ensuivent, qui vont être l’occasion de
plusieurs lettres de Paul ; lettres dans lesquelles il pense certainement
s’adresser à tous – c'est-à-dire à chacun. Et pour cela, il va évoquer des
principes séparateurs, et un principe unificateur. Les principes séparateurs,
il peut les constater, mais le principe unificateur, il ne peut que le
proposer.
(1)
Premier principe séparateur : les Juifs demandent
des signes.
Ce ne sont certainement
pas uniquement les Juifs de la communauté de Corinthe qui sont ici mentionnés.
Paul évoque, tous ensemble, tous ceux qui
demandent – ou plutôt exigent – pour croire, que des actes de puissance
aient lieu qui certifient ce qui est avancé. La puissance de Dieu ne peut pas
rester une affirmation théologique, ni une confession de foi, elle doit être
manifestée. Cette requête peut évidemment être formulée par toute personne qui
aspire à croire, mais Paul en fait une spécificité Juive, et pas seulement des
Juifs de Corinthe. Car qu’est-ce, au fond que l’histoire des Juifs, l’histoire
du peuple hébreu, celle de l’exil et du retour, si ce n’est l’histoire de la
manifestation de la toute puissance de Dieu ? Il en est donc qui demandent
des signes.
(2)
Deuxième principe séparateur : les Grecs recherchent
la sagesse.
C’est une autre posture
possible, et donc une autre attente possible de la part de ceux qui aspirent à
croire : rechercher la sagesse, rechercher une doctrine satisfaisante pour
l’intelligence, recherche d’un texte qui, si on le lit jusqu’au bout, vous fait
arriver à une sorte de quod demonstrandum
qui correspond exactement à la foi. Au moment où Paul parle, la philosophie a
déjà bien six siècles d’âge… Dans l’Église de Corinthe, les Grecs d’origine ne
sont probablement pas les seuls à mener une quête intellectuelle. Mais c’est à
leur nom qu’est attachée la démarche. Il en est donc qui recherchent la
sagesse.
Et Paul n’introduit pas de troisième terme. S’agissant de Dieu et d’entrer dans ce que Paul appelle « la communion avec son Fils Jésus Christ » (1Co1,9), Paul ne distingue que deux voies, la voie du miracle et la voie de la sagesse. Et toutes deux sont des voies contraignantes. Car on ne peut pas nier l’évidence d’un miracle lorsque celui-ci vient d’avoir lieu sous vos yeux ; et on ne peut pas non plus nier la véracité du résultat d’une démonstration lorsque celle-ci est suffisamment bien menée.
Mais… car il y a un mais : nous, dit Paul, nous
prêchons un messie crucifié.
Repérons tout d’abord ceci, qui devait être assez compréhensible à
l’époque : si l’on est messie, on n’est pas crucifié, et si l’on est
crucifié, on n’est pas messie. Messie crucifié est un oxymore. Cette figure de
style vise à minimiser, voire à casser, les termes auxquels elle se réfère.
Messie, homme ayant reçu onction divines, cela renvoie à la puissance, et
crucifié, cela casse cette même puissance. Car qu’est-ce que ce Dieu
supposément puissant, mais qui se montre incapable d’arriver à ses fins ?
Et quelles peuvent bien être les fins d’un tel Dieu ?
Repérons aussi que ce messie crucifié est prêché. Que signifie donc prêcher ?
Disons d’abord que prêcher n’est pas une démonstration. Positivement, repérons
qu’en langue grecque, dans le verbe prêcher il y a le mot cœur. C’est une
étymologie un peu hardie, mais elle nous permet de préciser que, s’il s’agit de
prêcher, il s’agit du cœur. Bien sûr, la prédication espère demeurer
intelligible, mais elle ne prétend à rien de contraignant. Prêcher, cela espère
l’intelligence du cœur, et cela appelle l’adhésion du cœur. C’est un appel, ça
ne peut être rien d’autre qu’un appel.
Nous citons encore Paul : « Pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. »
Mais voici la suite :
« Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est
faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. » Ces derniers mots, et
le petit car… qui les précède, relèvent-ils encore du verbe prêcher ?
Sont-ils un appel ? L’appel expliqué, l’appel raisonné, est-il encore
l’appel ? Peut-on, sans contradiction, être certain d’avoir raison de
répondre ou d’avoir répondu à cet appel ?
Nous le pouvons. Dans nos cœurs nous le pouvons : cette certitude nous est accessible. Mais elle ne concerne que nous. Seul celui qui croit peut accéder à la certitude de ce qu’il croit. Mais s’il entend imposer à autrui les raisons et les formulations de sa foi, ça n’est plus du Messie crucifié qu’il est question, et ça n’est plus de prêcher qu’il s’agit.
C’est ici que nous pouvons
retrouver Abraham. Nous le retrouvons dans notre méditation qui est une
méditation sur la foi.
Dieu parle, et Abraham
entend. Dieu ordonne et Abraham obéit. Telles sont les voies de Dieu, tel est
le chemin d’Abraham. Mais le chemin d’Isaac, son chemin avec Dieu, doit-il
passer nécessairement par le chemin d’Abraham ? Si Isaac est bien un autre
croyant, son chemin avec Dieu ne peut-il pas être un autre chemin, un chemin
original ?
Toujours est-il qu’Abraham
obéit et s’en alla sacrifier son fils. Pourquoi ? Au terme de cette
méditation, nous pouvons estimer qu’Abraham n’avait pas encore pensé que Dieu attendait
une réponse personnelle de la part de chaque être humain qu’il appelle
personnellement.
Puisse chacune et chacun
répondre à l’appel que Dieu lui adresse. Amen