samedi 27 février 2021

Et Dieu demanda à Abraham de lui sacrifier son fils Isaac (Genèse 22)

 Genèse 22

1 Or, après ces événements, Dieu mit Abraham à l'épreuve et lui dit: «Abraham»; il répondit: «Me voici.» 2 Il reprit: «Prends ton fils, ton unique, Isaac, que tu aimes. Pars pour le pays de Moriyya et là, tu l'offriras en holocauste sur celle des montagnes que je t'indiquerai.»

3 Abraham se leva de bon matin, sangla son âne, prit avec lui deux de ses jeunes gens et son fils Isaac. Il fendit les bûches pour l'holocauste. Il partit pour le lieu que Dieu lui avait indiqué. 4 Le troisième jour, il leva les yeux et vit de loin ce lieu. 5 Abraham dit aux jeunes gens: «Demeurez ici, vous, avec l'âne; moi et le jeune homme, nous irons là-bas pour nous prosterner; puis nous reviendrons vers vous.» 6 Abraham prit les bûches pour l'holocauste et en chargea son fils Isaac; il prit en main la pierre à feu et le couteau, et tous deux s'en allèrent ensemble. 7 Isaac parla à son père Abraham: «Mon père», dit-il, et Abraham répondit: «Me voici, mon fils.» Il reprit: «Voici le feu et les bûches; où est l'agneau pour l'holocauste?» 8 Abraham répondit: «Dieu saura voir l'agneau pour l'holocauste, mon fils.» Tous deux continuèrent à aller ensemble.

9 Lorsqu'ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait indiqué, Abraham y éleva un autel et disposa les bûches. Il lia son fils Isaac et le mit sur l'autel au-dessus des bûches. 10 Abraham tendit la main pour prendre le couteau et immoler son fils. 11 Alors l'ange du SEIGNEUR l'appela du ciel et cria: «Abraham! Abraham!» Il répondit: «Me voici.» 12 Il reprit: «N'étends pas la main sur le jeune homme. Ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu crains Dieu, toi qui n'as pas épargné ton fils unique pour moi.»

13 Abraham leva les yeux, il regarda, et voici qu'un bélier était pris par les cornes dans un fourré. Il alla le prendre pour l'offrir en holocauste à la place de son fils. 14 Abraham nomma ce lieu «le SEIGNEUR voit»; aussi dit-on aujourd'hui: «C'est sur la montagne que le SEIGNEUR est vu.» 15 L'ange du SEIGNEUR appela Abraham du ciel une seconde fois 16 et dit: «Je le jure par moi-même, oracle du SEIGNEUR. Parce que tu as fait cela et n'as pas épargné ton fils unique, 17 je m'engage à te bénir, et à faire proliférer ta descendance autant que les étoiles du ciel et le sable au bord de la mer. Ta descendance occupera la Porte de ses ennemis; 18 c'est en elle que se béniront toutes les nations de la terre parce que tu as écouté ma voix.» 19 Abraham revint vers les jeunes gens; ils se levèrent et partirent ensemble pour Béer-Shéva. Abraham habita à Béer-Shéva.

Prédication

            Dieu, dans la Bible, est désigné par toute une collection de noms, plusieurs dizaines. Et nous tenons plus ou moins pour acquis qu’il s’agit toujours du même Dieu. Mais s’agit-il vraiment toujours du même ? Est-ce le même qui crée les cieux et la terre, qui indique au millimètre près la disposition des objets du culte, condamne à mort ceux qui auraient sacrifiés leurs enfants, et qui réclame l’extermination des peuples conquis ? Est-ce le même qui parle depuis la nuée au mont de la transfiguration et qui, selon Paul, livre son propre fils ?

            Est-ce donc le même, est-ce donc Dieu, qui réclame à Abraham le sacrifice de son fils Isaac, mais qui suspend ce sacrifice à la dernière seconde ?

            En lisant la Bible, nous pouvons remarquer qu’à ces plusieurs dizaines de noms de Dieu correspondent autant de traditions, traditions, dont chacune n’est peut-être même pas homogène, traditions qui sont par moment en discussion les unes avec les autres, pour ne pas dire en conflit.

            Par exemple, dans le 22ème chapitre de la Genèse, et dans la traduction que nous avons lue, Dieu porte deux noms. D’abord Dieu, lorsque Dieu mit Abraham à l’épreuve, puis le Seigneur, lorsqu’il s’agit d’arrêter le sacrifice et de renouveler la promesse.

            Dieu, au début du texte, c’est la traduction de Elohim, les dieux. Un collègue professeur d’Ancien Testament suggérait que c’est là le nom commun des dieux. Le Seigneur, à la fin du texte, c’est les quatre lettres (IHVH) imprononçables du nom propre de Dieu.

            Il est bien tentant alors de se dire que, dans le 22ème chapitre de la Genèse, le propos est de disqualifier les dieux communs qui réclament leur lot de chair humaine, et de se convertir au Seigneur unique et un (IHVH), qui ne cesse de renouveler son alliance avec Abraham. C’est une tentation pour le lecteur, tentation de la simplification, qui se heurterait à ceci : c’est bien le nom commun des dieux qui est utilisé dans le premier chapitre de la Genèse (Au commencement (les) dieu(x) créa les cieux et la terre), et c’est bien le Seigneur (IHVH) qui se déclarera jaloux (Exode 20) et agira ensuite tant que tel, c'est-à-dire comme un jaloux. Donc rien n’est simple ; rien ne peut être trop simple lorsqu’il s’agit de Dieu, car rien ne peut être trop simple lorsqu’il s’agit de la foi de l’homme.

             Ceci étant dit, Dieu mit Abraham à l’épreuve (Dieu tenta Abraham) en lui demandant de lui offrir en holocauste – sacrifice dans lequel tout est consumé - son fils Isaac. Et Abraham obéit, sans aucune hésitation.

            Le sacrifice humain a dû être assez courant dans des temps reculés. Les prémices, premiers fruit d’un animal ou d’une plante, étaient réservés, et offerts au dieu. Il semble bien que le premier enfant d’une femme ait dû subir le même sort. Plus tard, l’offrande des premiers fruits, végétaux et animaux, se poursuivit, et il resta des sacrifices le devoir que le premier enfant d’une femme soit voué au service de la religion, ou qu’il soit racheté par un sacrifice particulier. Mais il semble que des sacrifices d’enfants aient encore eu lieu, premier fils du roi, premier fils de prince, ou premier fils de chaque famille, en temps de siège… Les Hébreux que nous fréquentons dans l’Ancien Testament ont, semble-t-il abhorré ces sacrifices humains (Lévitique 20).

           

            Ceci dit, Abraham, disons-nous, obéit sans aucune hésitation. Ce qui nous conduit à nous poser deux questions : (1) Qui est-ce qui est l’auteur de cette tentation ? (2) Qui est cet homme qui est tenté ?

(1)  Qui est-ce qui tente ? C’est Dieu. Nous avons parlé du nom commun de Dieu, mais nous ne pouvons pas évacuer le fait que, même sous ce nom commun, nous identifions Dieu ; nous n’allons pas évacuer cet épisode au motif qu’il a Dieu (nom commun), comme sujet. Si nous le faisions, nous devrions aussi évacuer le premier chapitre de la Genèse… Aussi devons-nous faire face à Dieu qui met Abraham à l’épreuve – ou, traduction possible, Dieu qui tente Abraham. C’est bien Dieu qui est à l’origine de cette affaire – un Dieu bien inquiétant, à vrai dire.

(2)  L’homme qui est tenté, c’est Abraham. Et Abraham obéit, sans discussion aucune, exactement tout comme il avait obéi lorsque le Seigneur (IHVH) lui avait dit de quitter son pays et de partir vers la Terre Promise. A cause de cette obéissance à la promesse de Dieu, Abraham est vu comme le père de tous ceux qui croient. Sa mise à l’épreuve est mise à l’épreuve de sa foi en Dieu : Dieu lui réclame ce qu’il a de plus précieux. Abraham obéit, c’est donc que, pour de vrai, Abraham croit en Dieu ; c’est d’ailleurs ce qui sera retenu en sa faveur une fois que le Seigneur (IHVH) aura interrompu l’implacable déroulement du sacrifice. Mais le Seigneur (IHVH), s’il s’agissait de la foi d’Abraham, ne disposait-il pas d’autres moyens ou, tout simplement, parce qu’il est le Seigneur, et connaissant déjà Abraham, ne savait-il pas à quel point la foi d’Abraham était profonde ? Étrange Seigneur (IHVH) à vrai dire…

(3)  (2bis) Nous revenons à l’idée de la tentation d’Abraham. En quoi, et par quoi est-il tenté ? Et nous allons répondre qu’il est tenté exactement par ce qui fait sa grandeur et sa renommée. Abraham est tenté par la foi. La foi d’Abraham, sa grandeur, c’est obéir à Dieu. La faiblesse, la petitesse d’Abraham, c’est d’obéir à Dieu. Et donc, après avoir reçu de Dieu le commandement de sacrifier son fils Isaac, Abraham met en place tout ce qu’il faut pour le sacrifice, accompli au bon endroit (le Mont Moriyya est l’emplacement du Temple à venir), et de la bonne manière (vocabulaire technique précis).

            Or, le Seigneur (IHVH) intervient, comme nous l’avons lu et Isaac est sauvé, in extrémis. Lisons le texte à cet endroit : « …ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu crains Dieu, toi qui n'as pas épargné ton fils unique pour moi. »

            Ainsi traduit, nous devons comprendre que le Seigneur (IHVH) sachant désormais jusqu’à quel point Abraham craint – respecte – obéit à – Dieu, le sacrifice devient inutile. En somme, nous sommes en train avec cette phrase de nous réjouir avec Dieu de la profondeur de la foi d’Abraham. C’est un Hourra que nous sommes en train de porter sur toute cette affaire !

            Mais pouvons-nous nous réjouir de cette affaire ?

            Alors reprenons au même endroit : « …ne lui fais rien ; oui, je sais maintenant que tu crains Dieu, etc. » Sur un ordre de Dieu (nom commun), Abraham se met en demeure de mettre à mort l’enfant de la promesse… Lorsque le Seigneur (IHVH) dit à Abraham « car maintenant je sais… » ça n’est pas un Hourra ! Mais c’est un Hélas. Hélas, dit le Seigneur à Abraham, je sais jusqu’où tu peux aller lorsque, dans ta tête de croyant, il passe une idée extrême, venant de Dieu, ou n’en venant pas, mais que tu peux attribuer à Dieu, ou au Seigneur… Au fond, cher Abraham, l’existence des humains tes frères, l’existence de ton fils, sont-elles plus ou moins importantes que l’intégrité de ta soi-disant propre foi ?

            L’interrogation la plus difficile est ici atteinte : dans la foi en Dieu il faut choisir entre les humains et Dieu, et que choisirons-nous ?

             L’histoire du sacrifice d’Isaac a plein de fins possibles, portant sur le Temple de Jérusalem, portant sur les sacrifices, portant sur la foi, portant sur l’hypothétique survie d’Isaac et sur son devenir. Nous laissons en suspens toutes ces fins. Pour n’en retenir qu’une seule aujourd’hui. Une fin en creux, sur la foi. Lorsque le Seigneur (IHVH) apparaît à Abraham (Genèse 18) et qu’il annonce la prochaine destruction de Sodome et Gomorrhe, Abraham discute avec le Seigneur, en tête à tête, avec une pugnacité de marchand. Il discute pour sauver des vies, et chacun reconnaît là une manifestation de sa foi. Mais pourquoi ne discute-t-il pas avec Dieu lorsqu’il s’agit de sauver la vie de son fils ? Nous avons, il me semble, effleuré cette question. Il en va de notre foi, de la foi en Dieu que de méditer, de réfléchir, et de discuter, sur ce qui vient ou semble venir de Dieu.

            Et puis, puisqu’il arrive de par le monde que d’aucuns mettent leurs semblables à mort en invoquant tel ou tel nom de Dieu, nous prions, et nous prierons, que Dieu protège efficacement les croyants contre les excès de leur propre foi en Lui. Amen