Jérémie 31
27 Des jours viennent - oracle du SEIGNEUR - où j'ensemencerai Israël et Juda de semences d'hommes et de semences de bêtes. 28 Et ensuite je veillerai sur eux pour bâtir et pour planter, comme j'ai veillé sur eux pour déraciner et renverser, pour démolir et ruiner, pour faire mal - oracle du SEIGNEUR. 29 En ce temps-là, on ne dira plus: «Les pères ont mangé du raisin vert et ce sont les enfants qui en ont les dents rongées!» 30 Mais non! Chacun mourra pour son propre péché, et si quelqu'un mange du raisin vert, ses propres dents en seront rongées.
31 Des jours viennent - oracle du SEIGNEUR - où je conclurai avec la communauté d'Israël - et la communauté de Juda - une nouvelle alliance. 32 Elle sera différente de l'alliance que j'ai conclue avec leurs pères quand je les ai pris par la main pour les faire sortir du pays d'Égypte. Eux, ils ont rompu mon alliance; mais moi, je reste le maître chez eux - oracle du SEIGNEUR. 33 Voici donc l'alliance que je conclurai avec la communauté d'Israël après ces jours-là - oracle du SEIGNEUR: je déposerai mes directives au fond d'eux-mêmes, les inscrivant dans leur être; je deviendrai Dieu pour eux, et eux, ils deviendront un peuple pour moi. 34 Ils ne s'instruiront plus entre compagnons, entre frères, répétant: «Apprenez à connaître le SEIGNEUR», car ils me connaîtront tous, petits et grands - oracle du SEIGNEUR. Je pardonne leur crime; leur faute, je n'en parle plus.
Prédication
En commençant cette
prédication, je pense à Gédéon (Juges 6), le petit gars que Dieu se prit un
jour à appeler pour libérer Israël, et qui osa poser à Dieu une question grave,
une question essentielle, une question qui tient en peu de mots, voire en un
seul mot – vous connaissez ce mot, puisque l’évangile de Marc vous parle en
araméen : « Eloï, Eloï, lama sabaqthani? (Mar 15:34) » ; le mot araméen c’est lama, et le mot français, c’est
pourquoi. Gédéon posa à Dieu la question pourquoi : « Pourquoi tout
cela nous arrive-t-il ? »
De cette question, nous retenons le
collectif, le nous qui unit sans le dire les générations les unes aux
autre et qui unit aussi tous ceux qui constituent un peuple à un moment donné
de l’histoire.
Il y a quelque chose de collectif,
l’idée d’une culpabilité collective, c’est le point de départ, une culpabilité
que Dieu punit collectivement en actionnant l’invasion des Babyloniens, qui
ravagèrent le pays vers la fin du VIème siècle. Cette culpabilité, selon les
auteurs, peut tenir à l’inconduite du roi, mais peut tenir aussi à l’inconduite
de tout ou partie du peuple, la catastrophe divine atteignant ensuite
indistinctement les uns et les autres, indépendamment de vices et surtout de
vertus personnelles. En somme, dans ce premier moment de la réflexion de
Jérémie, Dieu fait périr le juste avec le pécheur, le juste à cause du pécheur,
et le fils avec le père, le fils à cause du père. Ce qui signifie qu’un homme
est défini, caractérisé, de manière essentielle par le sang qui coule dans ses
veines, par son appartenance familiale, clanique, et tribale, mais guère
au-delà… Si bien que si une génération interroge « Pourquoi cela nous
arrive-t-il ? », la réponse est finalement très simple. Tous
coupables parce que tous membres d’une même ethnie, et Dieu maître de
l’histoire lorsqu’il s’agit de détruire.
C’est très simple. C’est très simple
surtout lorsque ça arrive aux autres. C’est très simple aussi lorsqu’il s’agit
de mettre en avant une certaine image d’un certain Dieu, au mépris de ce
qu’endurent les vraies victimes sur les vrais terrains de vraies catastrophes,
lesquelles n’arrivent pas toutes loin de chez nous. Et puis, surtout, une telle
théologie est le degré zéro de l’espérance.
C’est en tout cas une théologie et
un discours que le prophète Jérémie a dû entendre en son temps, et qu’il a entrepris
d’interroger.
- Dieu est le maître de l’histoire, tant pour détruire que pour
bâtir
Il est important ici de repérer
l’ordre dans lequel les choses sont dites, détruire vient avant bâtir. La
théologie de la destruction, dont nous parlions il y a un instant, doit être si
fortement ancrée dans le temps tragique de Jérémie qu’il est impossible de la
contrer. Et ce temps d’ailleurs n’est pas un temps pour argumenter longuement,
car on n’argumente pas longuement, ni devant les hérauts de la punition divine,
ni non plus devant des désespérés. Devant des désespérés le prophète se doit de
prêcher l’espérance. Et l’espérance, c’est que Dieu va veiller sur la
construction, sur l’ensemencement, autant qu’il a veillé sur le ravage et la
destruction. Est-ce ironiquement que Jérémie affirme cela, est-ce pour railler
ceux qui savent trop bien que Dieu punit ? Il y a, dans le propos de
Jérémie, matière à espérer pour les désespérés. Et pour ceux qui, un peu
requinqués, voudraient faire un peu de théologie, il y a matière : quel
est donc ce Dieu, qui est Dieu qui, soudainement, passe de détruire à bâtir, de
maudire à bénir les mêmes gens ? A quel titre, pourquoi fait-il
cela ? Certains auteurs bibliques placent là des raisons liées à l’idée
d’un terme de l’expiation, ou à l’accomplissement par la terre elle-même des
sabbats profanés. Jérémie n’invoque aucun motif, si ce n’est une sorte de bon
plaisir de Dieu qui ressemble un peu à la grâce…
- Chacun mourra pour son propre péché
La seconde proposition que fait le
prophète Jérémie porte sur la responsabilité. La faute et la peine étaient-elles
collectivisées ? Jérémie tourne le dos à ce système, et propose une
individualisation de la faute et de la peine. Pour nous c’est sans doute peu de
chose, mais pour des gens qui avaient vécu des générations entières dans le
cadre de l’appartenance à une famille, à
un clan et à une tribu, cette soudaine individuation devait être extrêmement
surprenante, peut-être même révoltante. Elle changeait le lien social. Mais
peut-être changeait-elle le lien social parce que le lien social précédent,
celui des tribus… avait été, et allait être totalement défait par l’exil et
qu’il était nécessaire d’adapter la structure aux nouvelles données de l’existence.
Et puis, nous pouvons penser qu’en agissant ainsi, Jérémie qui changeait
l’homme changeait aussi Dieu : ce Dieu qui se contentait d’un certain oui
collectif, voire du oui du chef de clan, allait réclamer un oui individuel.
Serait-il encore Dieu, ce Dieu qui faisant cas de la singularité de chacun, allait
risquer à chacun instant de disloquer le groupe ?
Il faut ici faire une petite pause.
Signalons d’abord qu’enseigner que
Dieu est maître de l’histoire en même temps qu’enseigner que Dieu s’intéresse à
chacun, cela commence à ressembler à ces théologies de la grâce qui nous sont
assez familières et que nous mettons en œuvre dans chacun de nos cultes
dominicaux.
Signalons aussi que les idées si
profondes de Jérémie laissent quelque chose de côté. Lorsque l’ennemi
l’emporte, pille et massacre, il massacre en même temps le juste et le pécheur.
Si chacun doit mourir pour son propre péché, pourquoi le juste doit-il
souffrir ? Et bien Jérémie ne le sait pas, et ne le dit pas.
- L’alliance nouvelle
La troisième proposition que fait le
prophète Jérémie, c’est celle d’une alliance nouvelle. Mot à mot Je donnerai ma Loi (Torah) en eux, je
l’écrirai sur leurs cœurs. Souvenir de la première alliance : la Loi
est devant le croyant, à l’extérieur de lui, sous la forme d’un texte écrit, un
texte dont l’esprit est difficile à saisir dans l’instant et avec lequel on
peut toujours s’arranger. Avec lequel aussi les croyants peuvent discuter, et
disputer entre eux. La dispute va toujours à la fin porter sur la compréhension
de ce que Dieu veut. Untel comprend Dieu mieux que tel autre, comprend même
parfois Dieu mieux que Dieu lui-même. Et ceux qui comprennent si bien Dieu
n’ont de cesse qu’ils n’enseignent à tous ce qu’ils savent de Dieu. La nouvelle alliance selon Jérémie met
tous les hommes à égalité. Non pas une égalité d’ignorance, mais une égalité de
connaissance ; non pas une égalité de connaissance, livresque et
imaginaire, mais une égalité d’intimité personnelle et fraternelle.
Telle est la troisième proposition
de Jérémie. Elle change l’homme pour faire de chaque homme un saint. Et elle
change Dieu, elle fait se changer Dieu. Car une fois que toute la Loi est
inscrite dans le cœur de chaque homme, il n’est plus nécessaire de rendre Dieu
présent dans toutes sortes de cultes, ni de le faire apparaître pour justifier
telle action ou telle autre.
Avec cette proposition, la théologie
qui se résorbe dans l’éthique, c’est toute la piété qui se résorbe dans la
fraternité. « Je suis à eux comme Dieu. Ils sont à moi comme
peuple. »
Pas de grande conclusion, juste un
rappel. Dieu seul est maître de l’histoire, quel que soit le cours de
l’histoire. Chacun répond pour lui-même. La Loi est inscrite dans les cœurs.
A partir de ces trois idées, Jérémie
recommence l’aventure des hommes et de Dieu, sur des bases nouvelles et avec un
horizon nouveau.
Nous regardons vers cet horizon, nous marchons vers lui.
Amen