Jean 16 :
12 J'ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne
pouvez les porter maintenant ; 13 lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder
à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il
dira ce qu'il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir.
14 Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi, et
il vous le communiquera.
15 Tout ce que possède mon Père est à moi; c'est pourquoi
j'ai dit qu'il vous communiquera ce qu'il reçoit de moi.
Prédication :
En lisant
ces quelques versets, il me revient le souvenir de Jacques et Jean, disciples
de Jésus qui, un jour que l’hospitalité leur avait été refusée dans un village de
Samarie, se proposèrent de commander au feu du ciel de descendre et d’annihiler
ce village et ses habitants (Luc 9). Ça n’est pas pour rien que ces deux
disciples étaient surnommés ‘fils du tonnerre’ ; ils se proposaient de
reproduire l’acte du prophète Elie qui, lorsqu’il était en colère, commandait
au feu du ciel de consumer un taureau sur un autel, ou une troupe de cinquante
hommes (2 Rois 1)… Jésus, réprimanda ses disciples et leur dit :
« Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ». Et cela suffit
pour calmer leurs ardeurs. Mais il ne se trouva personne pour calmer les
ardeurs du prophète Elie, dont la trace est pour toujours maculée de cendres et
de sang.
Toujours en
lisant ces quelques versets, me reviennent les souvenirs des leaders protestants
du renouveau charismatique des années 70, leaders que les circonstances de la
vie m’ont amené à fréquenter d’assez près. Même si, dans un second temps de ma
réflexion, je me souviens de quelques personnalités lumineuses et joyeuses, je
me souviens aussi – et c’est ce qui revient en premier – de toute une série de
personnes dont le point commun était leur violence, la violence des réunions
qu’ils présidaient, la violence de leurs enseignements, et la violence des
propos qu’ils tenaient lorsqu’ils parlaient les uns des autres. J’en ai entendu
douter publiquement qu’untel, autre leader de ce temps-là, fût animé par
l’esprit.
Des années
70 (du 20ème siècle) aux années 30 (du 16ème siècle), il
y a peu de distance et il se trouva qu’un jour, Luther et Zwingli ayant été
capables de s’entendre sur tout sauf sur le sens de « ceci est mon
corps », Luther apostropha Zwingli de cette manière : « Nous
n’avons pas le même esprit ! »
Il va
demeurer de cette introduction la parole de Jésus transmise par l’évangile de
Luc : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés ». Ce
qui est étonnant, c’est que les principaux manuscrits que nous possédons de
l’évangile de Luc ne comportent pas cette phrase ; c’est une variante intéressante,
mais tout de même un peu mineure ; un peu comme s’il y avait là déjà une
question délicate, pénible, voire brûlante : avant la Pentecôte, dès lors
qu’il est question d’actes de puissance, ou après la Pentecôte et l’onction que
nous savons, de quel esprit tous ces gens sont-ils animés ?
Nous avons
sous les yeux quelques versets de l’évangile de Jean. Dans cet évangile,
l’esprit porte plusieurs noms. L’un de ces noms est parfois simplement
translittéré : paraclet. En tant que tel, ça ne veut rien dire. Le mot
paraclet reporté dans sa langue d’origine signifie avocat, ou consolateur.
L’esprit, sous ce nom, a pour mission de consoler les disciples de Jésus
anéantis par la violence de la perte de leur maître. Demandons-nous si cette
consolation, la dernière prédication de leur maître ayant justement porté sur
l’amour, cette consolation peut conduire les disciples à une conduite violente.
Lorsqu’on lit après l’évangile de Jean les trois épîtres de Jean, on ne peut
que constater cette violence. Alors, au sujet de ces gens qui ont suivi la voie
particulière de cet évangile, nous pouvons nous demander : de quel esprit
étaient-ils animés ?
De quel esprit suis-je animé ? |
L’esprit
porte, dans l’évangile de Jean, encore un autre nom, que nous avons sous les
yeux : l’esprit de vérité. « Lorsque viendra celui-là, l’esprit de vérité,
il vous guidera dans toute la vérité » ou dans la vérité toute entière.
Guider, c’est mener, c’est conduire sur un chemin, le chemin de la vérité, le
chemin vers la vérité. Et s’il y a un chemin, et un guide, c’est que la vérité
ne se présente pas comme un donné que l’on pourrait posséder. Et puisque
l’adresse de Jésus est à la deuxième personne du pluriel (vous
conduira), c’est que ce chemin a une double dimension : une dimension
collective, et une dimension individuelle : et chacun peut bien comprendre
il me conduira, et il nous conduira. Il me conduira dans
la vérité et vers la vérité de ce que je suis et il nous conduira dans
la vérité et vers la vérité de ce que nous sommes. Puis-je – et pouvons-nous –
porter, supporter ce qu’en vérité nous sommes ? Puisse cet esprit venir,
qu’il nous guide, et qu’il nous soit en aide.
Pourquoi
lire ce texte aujourd’hui, dimanche de la Trinité ? Et pourquoi insister
sur cet esprit dont il semble qu’au fil des âges bien des gens se soient
réclamés, parfois avec violence, avec grave violence ?
En
seulement quatre versets, l’évangile de Jean rassemble le Père, le Fils, et
l’esprit. Il unifie le Père et le fils, et il subordonne l’esprit au Fils uni
au Père. De cette opération nous pourrions dire qu’elle est d’une subtilité
toute théologique. Mais en commençant par évoquer certains débordements,
parfois graves, commis au fil de l’histoire par des êtres humains se réclamant
presque exclusivement de l’esprit, nous suggérons que l’enjeu de la Trinité –
car il s’agit bien de cela – n’est pas, pas seulement, et peut-être pas du
tout, un enjeu théologique.
En
seulement quatre versets, l’esprit – esprit de vérité – est subordonné au Père
uni au Fils. Or, dans l’évangile de Jean, le moment culminant du message est
l’engagement suprême, le don de soi sans retour et sans reste. Et tout le
parcours de l’évangile – pas seulement le parcours du Christ – mais aussi le
parcours du disciple du Christ, est orienté vers ce don, avec la mesure du
chemin parcouru, avec la mesure aussi du chemin restant à parcourir. Et dans
ces versets, comme nous les comprenons aujourd’hui, l’enjeu de la doctrine de
la Trinité n’est pas – pas seulement – un enjeu théologique – et j’ose dire ‘au
diable les enjeux théologiques !’ – mais aussi, d’une manière essentielle,
un enjeu éthique. Ainsi cet esprit, en tant qu’Esprit de vérité, ne parle ni de
lui-même, ni pour lui-même. Il ne parle pas en sa propre faveur, mais pour dire
et rappeler l’engagement de Dieu envers le monde (Dieu a tant aimé le monde qu’il
a donné…), et il laisse ensuite les humains prendre la mesure de leur réponse à
cet engagement, c'est-à-dire la mesure de leur engagement : aimer, donner
et, peut-être aimer sans reste et donner sans reste.
Quel est
mon engagement ? Quel est notre engagement ? Sœur et frères, puisse
cet esprit de vérité souffler sur nous, et puisse-t-il être aussi esprit de
consolation. La route est encore longue. Amen.