Luc 9 :
10 À leur retour, les apôtres racontèrent à Jésus
tout ce qu'ils avaient fait. Il les emmena et se retira à l'écart du côté d'une
ville appelée Bethsaïda.
11 L'ayant su, les foules le suivirent. Jésus les
accueillit; il leur parlait du Règne de Dieu et il guérissait ceux qui en
avaient besoin.
12 Et le jour commença de baisser. Les Douze
s'approchèrent et lui dirent: «Renvoie la foule; qu'ils aillent loger dans les
villages et les hameaux des environs et qu'ils y trouvent à manger, car nous
sommes ici dans un endroit désert.»
13 Mais il leur dit: «Donnez-leur vous-mêmes à
manger.» Alors ils dirent: «Nous n'avons pas plus de cinq pains et deux
poissons... Faudra-il que nous allions nous-mêmes acheter de la nourriture pour
tout ce peuple.»
14 Il y avait en effet environ cinq mille hommes. Il
dit à ses disciples: «Faites-les s'installer par groupes d'une cinquantaine.»
15 Ils firent ainsi et les installèrent tous.
16 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons
et, levant son regard vers le ciel, il prononça sur eux la bénédiction, en fit
des morceaux, et il les donnait aux disciples pour les présenter à la foule.
17 Ils mangèrent et furent tous rassasiés; et l'on
emporta ce qui leur restait des morceaux: douze grands paniers.
Prédication :
Les
disciples revinrent vers Jésus. Il les avait envoyés de par le monde pour
proclamer la Bonne Nouvelle et faire des guérisons. Ce qu’ils firent. Et lui,
le maître, pendant ce temps, ne faisait en somme rien de différent : proclamer,
guérir…
Je me
souviens des jours de lessive chez ma grand-tante, des souvenirs de plus de
cinquante ans. Dans le milieu des années 60, j’avais au plus cinq ans, on
continuait chez elle à faire bouillir le linge blanc dans des lessiveuses
chauffées par un feu de charbon posé à même le sol. Le rinçage final se faisait
à l’eau de pluie, eau qu’il fallait puiser dans une grande citerne située sous
la buanderie : un seau de 20 litres dont l’anse était reliée à une chaîne
devait être lancé dans l’eau puis hissé à la force des bras ; toutes les
lavandières n’ayant pas la force nécessaires, elles s’y mettaient à deux, mais on
faisait aussi parfois appel à Alfred le jardinier. On ne pratiquait plus le
blanchiment sur pré ; le linge était mis à sécher sur un étendage, au
second étage de la grande maison. La buanderie étant en rez-de-jardin, le linge
mouillé était transporté dans d’immenses paniers d’osier. Une fois encore, une
seule personne ne suffisait pas…
Lorsqu’un jour on raconta aux
enfants comment Jésus avait multiplié les pains, et qu’il y avait eu douze
paniers de restes, l’un des enfants demanda de quelle taille étaient les
paniers. Comme ceux de la buanderie ? Oui, comme ceux de la buanderie. C’est
ainsi que, depuis toujours, je me représente les paniers d’osiers dans lesquels
furent recueillis les restes de la multiplication des pains : immenses,
tellement immenses que je pourrais tenir tout entier dedans.
Les restes du repas furent ainsi
en quantité considérable. Même après plusieurs dizaines d’années, mon étonnement demeure. Comment les restes
d’un repas peuvent-ils excéder les quantités initialement apportées ?
Comment une quantité si négligeable de nourriture put-elle rassasier autant de
monde et produire autant de surplus ? Cette histoire nous parlait, à nous
les enfants, parce que, dans la grande maison, nous étions toujours fort
nombreux à table. Bien moins que 5000, mais, tout de même, toujours plusieurs
dizaines, et nous voyions bien que les plats qui arrivaient bien chargés de
nourriture repartaient toujours vides.
Dieu voulant, cette
multiplication advint, et pas qu’une fois dans les évangiles. Cela advint aussi
lorsque des prophètes s’invitaient en temps disette chez des femmes étrangères ;
avec Elie, et avec Elisée, des cruches d’huile et de modestes réserves de
farine ne s’étaient pas épuisées pendant tout le temps que duraient les famines.
Peut-être que pendant que la
femme qui hébergeait le prophète survivait avec lui, on mourrait de faim autour
d’eux. Et peut-être que pendant que Jésus multipliait les pains pour 5000
hommes, d’autres hommes, dans les environs, périssaient dénutris. Ceci nous
suggère que la première interprétation de cette histoire de multiplication des
pains doit être une interprétation pratique. Nous voyons des camions qui
transportent des sacs de riz, et des humains faméliques qui attendent. Nous
voyons d’autres humains, apparemment bien nourris, qui distribuent de la
nourriture… miracles certainement pour les affamés, 800 millions sur notre
planète, aujourd’hui. Oui, la foi se doit d’être pratique.
Mon stock de nourriture est-il suffisant ? |
Et de cette
vie communautaire, nous pouvons dire qu’elle a le don pour point de départ.
« Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Or les disciples n’ont
presque rien, et de ce presque rien c’est la totalité qui leur est réclamée par
Jésus. Ainsi la foi exige-t-elle un don sans reste, et c’est seulement ce don
sans reste que notre Seigneur multiplie au point que les restes excèdent le don.
Et les 12 disciples qui, tous
ensemble avaient donné à Jésus tout ce dont ils disposaient, repartirent chacun
avec un grand panier de restes.
Voici que
nous sommes que nous sommes disciples de Christ. Où en sommes-nous de ce don
sans reste ? Donne-t-on chez nous ainsi sans reste, ou se consacre-t-on
ainsi sans restes à l’Évangile de Jésus Christ ? La communauté pourrait
être amenée à répondre, ce qui laisse à supposer que chacun aussi devrait
répondre pour lui-même. Que chacun s’examine, disons-nous toujours, et que
chacun aussi poursuive au-delà de Luc 9 sa lecture de l’évangile. L’injonction
à tout donner ne cesse de rebondir, d’un chapitre à l’autre. Toutes sortes de
gens s’approchent de Jésus, et souvent s’en éloignent, parce que tout donner,
c’est trop. Même les disciples de Jésus, qui ont pourtant tout abandonné pour
le suivre, persistent à se demander qui d’entre eux est le plus grand,
persistent à affirmer que oui, que bien sûr, ils le suivront toujours et
jusqu’au bout… Nous savons bien ce qu’il en est de la fin de l’évangile... Pour
les disciples de Jésus, avoir tout donné était encore trop peu : du reste
à donner leur demeurait encore.
Quant à Jésus, il persiste et
persistera à se donner, opérant pour ses disciples d’abord et pour l’humanité
entière le don entier de lui-même. Il se donnera lui-même à manger, il se
livrera totalement, corps et âme, gestes et paroles, sans reste. L’homme ne
vivra pas de pain seulement, dit-il au commencement de l’évangile. Le fils de
l’homme ne vivra pas autrement que par les hommes et pour les hommes, c’est ce
qui se dessine tout au long de l’évangile, et s’accomplit à la croix.
Et après ?
Après la croix, la mesure est prise et de l’engagement de Jésus – tout est
donné – et de ce que sont les humains, tous, même ses disciples, et même nous. Le
don que Jésus fait de lui-même est sans réserve et sans reste. C’est à partir
de ce don ultime que la résurrection advient, qui rend le fils de l’homme à la
vie, et qui est promesse de vie pour tous les hommes. Amen