dimanche 10 mars 2019

Tentations (Luc 4,1-14)


Luc 4
1Jésus, rempli  d’Esprit Saint, revint du Jourdain et il fut dans le désert, dans l’esprit, 2 pendant quarante jours, et il était tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et lorsque ce temps fut écoulé, il eut faim. 

3 Alors le diable lui dit: «Si tu es Fils de Dieu, dit à cette pierre de devenir du pain.»
4 Jésus lui répondit: «Il est écrit: Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra.»

5 Le diable le conduisit plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre 6 et lui dit: «Je te donnerai tout cette autorité avec la gloire de ces royaumes, parce que c'est à moi qu'elle a été remise et que je la donne à qui je veux.
7 Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu l'auras tout entière.»
8 Jésus lui répondit: «Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c'est à lui seul que tu rendras un culte.»

9 Le diable le conduisit alors à Jérusalem; il le plaça sur le faîte du temple et lui dit: «Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d'ici en bas; 10 car il est écrit: Il donnera pour toi ordre à ses anges de te garder, 11 et encore: ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre.»
12 Jésus lui répondit: «Il est dit: Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu.»
Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu
13 Alors, ayant épuisé toute tentation possible, le diable s'écarta de lui jusqu'au meilleur moment.

14 Alors Jésus, dans la force de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région. 15 Il enseignait dans leurs synagogues, étant glorifié par tous.

Prédication
         Il enseignait dans leurs synagogues, étant glorifié par tous. Glorifié ? Mais qu’est-ce que glorifier ? Cela peut-être exalter, honorer, louanger toutes sortes de manifestations liées à de belles actions. Mais ici, il est question d’enseignement oral. Jésus est glorifié pour son enseignement. Et peut-être bien alors que glorifier signifie élever, apothéoser, ou même déifier. En entendant son enseignement, les auditeurs le déifiaient, c'est-à-dire faisaient de lui l’égal d’un dieu, voire l’égal de Dieu.

            Hélas – et frustration – nous n’avons pas eu accès à cet enseignement oral. En nous disant que Jésus, enseignant dans les synagogues de Galilée, était glorifié par tous, Luc ne nous donne accès qu’à la réaction des auditeurs à cet enseignement, mais il nous donne aussi accès au soubassement de cet enseignement, c'est-à-dire à ce qui le rend possible, ce sur quoi cet enseignement s’appuie. Et cet enseignement s’appuie sur deux piliers.

Premier pilier : « Alors, Jésus, dans la force de l’esprit… » Jésus est dans la force de l’esprit, esprit qu’il a reçu lors de son baptême d’eau, esprit dans lequel il a été quarante jours dans le désert. Ce premier pilier ne tient pas à lui, il est don de Dieu, et nous n’en dirons pas d’avantage pour l’instant sur ce premier pilier.

Deuxième pilier : « Alors, ayant épuisé toute tentation possible, le diable s’écarta de lui… » Ce deuxième pilier correspond aux trois tentations de Jésus par le diable, trois tentations qu’il surmontera. Mais quelles sont ces trois tentations ? Nous connaissons bien ces trois tentations, et nous venons de lire qu’ayant épuisé ces trois tentations-là, le diable a épuisé toute tentation possible. Il nous faut comprendre ce toute, ce toute qui tient en trois. Pour ce faire, nous allons méditer ces tentations, l’une après l’autre.
1.      Première tentation : « Si tu es fils de Dieu, dis à cette pierre de devenir du pain ». Bien sûr, dans les circonstances du récit, Jésus a faim. Et, fils de Dieu, rempli d’esprit saint, rien ne pourrait l’empêcher de transformer une pierre plate en tartine ou une pierre ronde en miche. Pourtant, il ne le fait pas. Ça n’est pas qu’il ne soit pas fils de Dieu, bien au contraire ! En tant que fils de Dieu, il refuse de disposer des pierres pour sa propre satisfaction. Et bien plus encore, en tant que fils de Dieu, il refuse de disposer de n’importe quelle autre chose pour sa propre satisfaction, ou pour asseoir sa propre notoriété. Cela ne signifie pas qu’il restera les bras croisés. S’agissant d’ailleurs de pain, qui est une chose, il en disposera un jour et le multipliera, non pas pour assouvir sa propre faim, mais pour assouvir celle d’une foule. Retenons de cette première tentation le commandement par lequel Jésus la surmonte : « Tu ne disposeras pas des choses pour ta propre satisfaction », ou encore : « Tu ne feras pas des choses tes obligées ».

2.      Deuxième tentation : Si tu te prosternes devant moi, tu obtiendras de moi gloire et autorité sur tous les royaumes de la terre. Entendons bien qu’avec cette autorité et cette gloire sur tous les royaumes de la terre, Jésus aurait autorité sur tous les humains. Autorité et gloire qu’il aurait obtenues sur autrui en se prosternant devant plus grand que soi... C’est la bonne vieille sale manière d’obtenir le pouvoir : plier le genou devant un suzerain pour dominer des vassaux, être soumis lorsqu’on regarde vers le haut et dominateur lorsqu’on regarde vers le bas… Sale mécanique au titre de laquelle on prend le pouvoir sur les âmes et sur les corps… sale mécanique qui souille le nom de Dieu. Mécanique à laquelle Jésus s’oppose en indiquant bien qu’on ne se prosterne que devant Dieu et qu’à lui seul on rend un culte, ce qui a pour corollaire immédiat qu’en tant que fils de Dieu il ne disposera d’aucun être humain. Bien entendu, en quelque manière, Jésus disposera de tel ou tel être humain, mais ça sera pour lui rendre la vue, le guérir, le libérer... et le rendre à lui-même. Nous retiendrons de cette deuxième tentation le commandement par lequel Jésus la surmonte : « Tu ne disposeras pas des humains pour ta propre satisfaction », ou encore : « Tu ne feras pas des humains tes obligés ».
3.      Troisième tentation : puisqu’il est écrit que Dieu donnera ordre à ses anges de te servir de parachute, tu peux sauter depuis le sommet du Temple. Le sommet du Temple, c’est le plus haut sommet de Jérusalem, sommet architectural, et sommet théologique ! Le sommet du Temple est au-dessus même de la demeure de Dieu. Symbolique forte : Dieu au-dessous du fils de Dieu, Dieu, au-dessous des Saintes Ecritures. Cette possibilité est effectivement inscrite dans la lettre des Saintes Ecritures, mais Dieu serait-il encore Dieu si ce qui a été écrit sur lui par les humains l’affaiblissait à ce point ? Non ! Et c’est pour cela qu’à ceux qui affirment que telle chose est appréciée par Dieu, voire requise par Dieu, parce que c’est écrit, il faut répondre : « C’est écrit ? Et alors ? » La proposition que le diable fait à Jésus, troisième tentation, est qu’en tant que fils de Dieu il fasse de Dieu sa chose. Dieu lui-même est l’objet de cette troisième tentation, que Jésus surmonte en rappelant que les Saintes Ecritures ne sont pas un recueil des exigences de Dieu auxquelles tout être humain doit satisfaire, mais la trace écrite d’une parole qui ne peut être retrouvée que dans l’exercice de réflexion, d’interprétation, et dans la prière. Le cri de celui qui croit n’est pas « C’est écrit ! », cri par lequel tout devient possible, y compris les violences les plus laides accomplies au nom de Dieu, voire in persona Dei, mais « Parle Seigneur, ton serviteur écoute. » Et bien, le commandement par lequel Jésus surmonte la troisième tentation est « Tu ne feras pas de Dieu ton obligé. »

Est-ce qu’avec ces trois tentations toutes les tentations possibles sont mentionnées et surmontées ? Reprenons les commandements que nous avons formulés au fil de notre méditation : tu ne feras pas des choses tes obligées, tu ne feras pas des humains tes obligés, tu ne feras pas de Dieu ton obligé. Il semble bien qu’en évoquant successivement les choses, les humains et Dieu tout soit dit. Une formulation proche pourrait être : tu ne feras pas des choses tes choses, tu ne feras pas des humains tes choses, tu ne feras pas de Dieu ta chose. D’autres formulations proches sont encore possibles, mais, d’une certaine manière, tout est dit. Et ces trois interdits ne sont pas seulement hiérarchiques ou consécutifs. Ils s’appellent et se tiennent les uns les autres, noués comme des anneaux borroméens… Et, tous trois ensemble, ils balisent et délimitent l’espace de l’enseignement oral de Jésus, et ils baliseront et délimiteront aussi tous ses actes.

Mais, tout de même, nous aimerions bien avoir entendu ce tout premier enseignement de Jésus, celui qui fit qu’il fut glorifié par tous. Nous ne sommes pas pauvres pour autant, puisqu’il nous reste tout l’évangile de Luc, et les Actes des Apôtres, pour évaluer les dires et les actes de Jésus et de ses Apôtres à l’aune de ces trois commandements : tu ne feras pas des choses tes choses, tu ne feras pas des humains tes choses, tu ne feras pas de Dieu ta chose.
Et puisque nous croyons que l’Esprit Saint est toujours répandu en abondance, il nous reste à évaluer nos propres actes et nos propres paroles, et à apprendre à surmonter toutes les tentations possibles.
Puisse Dieu nous prendre en pitié et nous venir en aide. Il le fera, nous le croyons. Amen