Luc 9
30 Et voici que deux hommes s'entretenaient avec Jésus; c'étaient Moïse et Elie;
31 apparus en gloire, ils parlaient de son départ
qui allait s'accomplir à Jérusalem.
Voici deux versets du récit de la Transfiguration selon Luc. Notre
méditation va se dérouler en trois remarques.
(1) Il y a trois hommes.
Quel point commun entre ces trois hommes ?
La grandeur de leurs missions respectives : à Elie, la grandeur de
l’histoire des prophètes d’Israël, à Moïse, la grandeur de la Torah, à Jésus,
la grandeur de l’Evangile… mais surtout, pour les trois, personne ne sait où
repose leur corps. Il n’y a de tombeau ni d’Elie, enlevé au ciel, ni de Moïse,
enterré croit-on par Dieu lui-même quelque part en Transjordanie, et Jésus,
certes mort et enseveli on ne sait où, puis ressuscité, et surtout ascensionné.
Aucun pèlerinage en un lieu particulier n’est donc possible pour leurs
successeurs, et si l’on veut honorer leur mémoire, il faut se souvenir de leurs
paroles, de leurs gestes et surtout d’une simple injonction : « Va,
et toi fais de même ! », ce qu’on peut faire en tout lieu. Pas besoin
d’un mausolée, ni d’une basilique du Saint Sépulcre où des batailles rangées
éclatent régulièrement entre croyants, prêtres, moines et simples fidèles, mais
de différentes obédiences…
(2) Nous pouvons nous
demander à quoi l’on reconnaît Moïse et Elie.
Et bien, ce sont les deux seuls personnages importants qui soient
susceptibles d’apparaître ainsi. Le monisme matérialiste strict des Juifs empêche tout
mort normal de se manifester ainsi. Lorsqu’on est mort, on est mort ! Mais
ni Moïse ni Elie ne sont des morts ordinaires. Ils peuvent donc apparaître en
tout lieu et à n’importe quel moment.
Mais pourquoi les faire apparaître ? Manifestement, ils ont quelque
chose à se dire. Et ce quelque chose, lisons-nous, porte sur le prochain départ de Jésus à Jérusalem.
Le mot départ n’est pas très bien
choisi. Moïse et Elie, apparus en gloire, parlent avec Jésus, lui aussi apparaissant
en gloire, de son exode – de Jésus –
qui doit prochainement s’accomplir à Jérusalem. Il s’agit d’un exode. Exode qu’ont vécu en leur temps
tant Moïse qu’Elie.
(3) Exode ? Qu’est-ce
que c’est ?
Nous pensons au peuple hébreu quittant libre l’esclavage d’Egypte et s’en
allant dans le désert apprendre la foi en Dieu. Mais cela ne s’applique pas immédiatement
à la mort de Jésus (je laisse ceci de côté pour aujourd’hui et j’annonce une
prochaine prédication sur cette question).
Luc est le plus grec des auteurs d’évangile. Or, dans la tragédie grecque,
l’exode est la dernière partie du
spectacle : après la sortie du chœur qui a explicité dans ses chants les
enjeux de l’action, vient l’exode, la dernière
partie de la pièce, qui contient son dénouement.
Y a-t-il un dénouement à Jérusalem ? Oui, la fin du nouage entre Jésus
vivant et ses détracteurs, la fin du nouage avec ses disciples. Aux uns comme
aux autres ne restera que les souvenirs de l’enseignement du maître et, en
quelque manière, leurs actes – s’il leur en vient – pour honorer la mémoire de ce
maître. Et rien de plus, puisqu’il n’y aura pas de mausolée.
Lorsque Mao Zedong est mort, certains penseurs de la révolution se sont
demandé s’il y aurait un mausolée de Mao. Mao avait ordonné que son corps fût
incinéré et les cendres dispersées ; pas de mausolée. Mais lorsqu’il a été
connu qu’il y en aurait un, il a été clair pour ces penseurs qu’en plus du
Président Mao, c’est la Révolution elle-même que les caciques du Parti communiste
chinois avaient décidé d’enterrer.
Il n’y a pas de mausolée de Jésus de Nazareth, ni de mausolée de Moïse, ni
de mausolée d’Elie. Ce qui signifie que la parole prophétique est toujours prête
à appeler les humains à revenir à Dieu, qu’il est toujours nécessaire de
réinterpréter la Loi, et que l’Evangile a une actualité permanente, en tant que
parole de grâce, d’instruction et d’engagement.
Le chemin est toujours à réinventer. Notre Seigneur, qui n’a ni tombe ni
mausolée, nous précède et nous accompagne toujours sur ce chemin nouveau. Grâces
en soit rendues à Dieu. Amen
Cette méditation a été donnée pour l'ouverture de l'assemblée générale annuelle d'une Eglise membre de l'Eglise protestante unie de France. A la fin de cette même assemblée générale, une prière a été lue, que voici.
Seigneur notre Dieu !
Quand la peur nous prend, ne nous laisse pas désespérer ! Quand nous
sommes déçus, ne nous laisse pas devenir amers ! Quand nous n’y comprenons
plus rien et que nous sommes à bout de force, ne nous laisse pas périr !
Non, fais-nous sentir ta présence et ton amour, que tu as promis aux cœurs
humbles et brisés qui ont peut de ta Parole. C’est vers tous les hommes qu’est
venu ton Fils bien aimé, vers des hommes désemparés. Parce que nous le sommes
tous, il est né dans une étable et mort sur la croix. Seigneur, réveille-nous
et tiens-nous éveillés pour le reconnaître et le confesser.
Nous pensons à toute l’obscurité et à toutes les
souffrances de ce temps qui est le nôtre, aux erreurs et aux malentendus
nombreux par lesquels nous nous tourmentons les uns les autres, à tous les
fardeaux que tant d’hommes doivent porter sans connaître de consolation, à tous
les graves dangers qui menacent le monde sans qu’il sache comment les
affronter. Nous pensons aux malades, aux aliénés, aux exilés, aux opprimés, aux
victimes de l’injustice, aux enfants qui n’ont pas de parents ou pas de bons
parents. Nous pensons à tous ceux qui sont appelés à servir, dans la mesure où
les hommes le peuvent : aux autorités de notre pays et de tous les pays,
aux juges et aux fonctionnaires, aux maîtres et aux éducateurs, aux écrivains
et aux journalistes, aux médecins et aux infirmières des hôpitaux, aux
prédicateurs de ta Parole dans les diverses Églises et communautés, au près et
au loin. Nous pensons à eux en te priant de faire luire pour eux et pour nous
la lumière de Noël (ta lumière), de
la rendre encore plus brillante encore que jusqu’ici, afin qu’ils y trouvent,
et nous avec eux, le secours dont ils ont besoin. Nous te demandons tout cela
au nom du Sauveur en qui tu nous as déjà exaucés et en qui tu veux continuer de
nous exaucer. Amen.
Karl
Barth ; Se présenter devant Dieu,
p.26-28