samedi 12 janvier 2019

La consolation (Matthieu 2,13-18)

 

Dimanche dernier, nous avons lu et médité le récit bien connu de la visite des mages (Matthieu 2,1-12). Et nous nous sommes réjouis de la naissance du roi des Juifs. Nous fêtons encore l’Epiphanie aujourd’hui, occasion de faire retour sur le 2ème chapitre de l’évangile de Matthieu, et de remarquer que la coupure au verset 12 est une prudente coupure : puis divinement avertis en songe de ne pas retourner vers Hérode, (les mages) rentrèrent dans leur pays par un autre chemin. Une belle et heureuse fin de la visite des mages.
Voici la suite :

13 Après leur départ, voici que l'ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: «Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte; restes-y jusqu'à nouvel ordre, car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr.»
14 Joseph se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Égypte.
15 Il y resta jusqu'à la mort d'Hérode, pour que s'accomplisse ce qu'avait dit le Seigneur par le prophète: D'Égypte, j'ai appelé mon fils.
16 Alors Hérode, se voyant joué par les mages, entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem et tout son territoire, tous les enfants jusqu'à deux ans, d'après l'époque qu'il s'était fait préciser par les mages.
17 Alors s'accomplit ce qui avait été dit par le prophète Jérémie:
18 Une voix dans Rama s'est fait entendre, des pleurs et une longue plainte: c'est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu'ils ne sont plus.
            Et voilà… la chose a eu lieu, la foudre s’est abattue sur ces pauvres gens, et le solde de l’Epiphanie est massivement négatif. Car même s’agissant de l’enfant sauvé, qui est le Roi des Juifs, sa survie n’est pas opposable à l’immense douleur des jeunes mères, des parents de toute une province : Rachel pleure ses enfants et ne veut pas être consolée, parce qu’ils ne sont plus.
            Qu’est-ce qui pourrait consoler l’inconsolable Rachel ? Qu’est-ce que la consolation ? En langue hébraïque nous avons un verbe (מאן) qui signifie refuser, refuser comme l’on refuse d’abord de croire que tel malheur vous est arrivé à vous, comme l’on refuse tout contact, toute parole, tant la douleur est forte… en hébreu, nous avons un autre verbe (אמן), composé des trois mêmes lettres que le premier, on permute les deux premières lettre de (מאן) qui signifie refuser, et apparaît le verbe (אמן), un verbe que vous connaissez, qui signifie amen, oui, j’ai confiance, oui je crois, oui je vivrai… en somme, c’est le verbe qui manifeste une consolation avérée. Permuter deux lettres d’un verbe, c’est facile, ce n’est presque rien… mais pour consoler l’inconsolable, que faut-il faire ?
Matthieu, de fait, ne fait rien. Il poursuit son récit et ne parle plus de Rachel, ni de ses enfants à jamais perdus.

            En fait, Matthieu ne fait pas tout à fait rien. Il fait une citation, une citation du prophète Jérémie. Le contexte si manifestement hébraïque de l’évangile de Matthieu nous laisse à penser que les premiers lecteurs de cet évangile savent exactement ce qu’est et ce que signifie cette citation. C’est au 31ème chapitre du prophète Jérémie, l’immense soliloque du prophète devant Dieu, plus la déclaration de Dieu, qui affirment que des jours viennent où les exilés reviendront, qui déclarent « ton avenir est plein d’espérance » (v.17). Dieu parle au cœur des éprouvés.
            Oui, dirons-nous, mais, en attendant que Dieu parle au cœur des éprouvés et des inconsolables, que faut-il faire ? Que faire pour l’inconsolable Rachel ? Rachel est juste à côté de nous, en larmes, ou silencieuse, et nous ne savons comment l’atteindre. Pouvons-nous, comme Dieu, parler au cœur des éprouvés ? Mais comment atteint-on le cœur des éprouvés inconsolables ?
            Vous vous souvenez sans doute du récit qui rapporte comment le roi David s’appropria Bethsabée, femme de Uri, et comment l’enfant qui naquit de ce rapt mourut à peine étant né. Il est écrit qu’après ces événements, David consola Bethsabée, et il la consola en passant la nuit avec elle, et de cette nuit-là un autre enfant vint au monde. Le seul commentaire que nous pouvons faire de cette consolation-là est que David trouva un moyen de signifier à Bethsabée que la vie n’était pas finie… Consoler quelqu’un, c’est lui signifier concrètement que la vie n’est pas finie. Mais notre réflexion doit porter plus loin que cette simple consolation, parce qu’il s’agit pour nous de réfléchir à la consolation de l’inconsolable – qui sans doute vient avant tout autre consolation, et qui rend possible toute consolation.

            Ça n’est pas pour rien que, dans le livre du prophète Jérémie, cela se passe entre le prophète et Dieu. Et ça n’est pas pour rien non plus que, dans le livre de Job, cette consolation de l’inconsolable se fait en tête à tête avec Dieu. Dieu seul peut parler au cœur de l’être humain inconsolable ; le statut – et la définition opérationnelle de la parole de Dieu – c’est qu’elle parle au cœur de l’homme, et qu’elle change le cœur de l’homme. Elle fait que l’inconsolable passe du non au oui, du refus à l’amen. Il se peut que cette parole passe par notre bouche – elle n’en est pas moins parole de Dieu. Elle passera quand elle passera. Elle parlera quand elle parlera – c’est une promesse divine.
            Nous ne pouvons douter qu’elle passera et parlera. Nous pouvons dans la prière, l’étude et le recueillement, nous préparer à nous laisser traverser par elle. Mais elle ne le fera qu’en son temps. Et pendant ce temps, nous devons dire notre foi, rester proche de l’inconsolable, lui signifier avec tact, avec délicatesse, avec amitié, qu’il y a de l’espérance pour son avenir. Et il nous faut attendre.

            Attendre, jusqu’à quand ? Retour vers le prophète Jérémie, même chapitre. « Sur ce je m’éveillai et je compris ; mon sommeil m’avait été agréable. » Signe que la divine parole a parlé, que le cœur change… Et nous, qui attendions quelque chose pour l’inconsolable, nous verrons… quelque chose a changé.
Consolation, Edvard Munch (1894)
            Sœurs et frères, en prononçant l’amen à la fin de cette méditation, nous affirmons notre foi. Dieu en son temps consolera l’inconsolable ; à nous de nous tenir près de l’inconsolable, prêts à être témoin de sa consolation.
Serviteurs nous sommes. Serviteurs nous demeureront. Béni soit Dieu. Amen