Luc 24
35 Et eux (les pèlerins d'Emmaüs) racontèrent (aux disciples) ce qui s'était passé sur la
route et comment ils l'avaient reconnu (Jésus) à la fraction du pain.
36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fut présent au
milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»
37 Effrayés et remplis de crainte, ils pensaient
voir un esprit.
38 Et il leur dit: «Quel est ce trouble et pourquoi
ces objections s'élèvent-elles dans vos cœurs?
39 Regardez mes mains et mes pieds: c'est bien moi.
Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en
ai.»
40 À ces mots, il leur montra ses mains et ses
pieds.
41 Comme, sous l'effet de la joie, ils restaient
encore incrédules et comme ils s'étonnaient, il leur dit: «Avez-vous ici de quoi
manger?»
42 Ils lui offrirent un morceau de poisson grillé.
43 Il le prit et mangea sous leurs yeux.
44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous
ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce
qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»
45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour
comprendre les Écritures,
46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le
Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour,
47 et on prêchera en son nom la conversion et le
pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
48 C'est vous qui en êtes les témoins.
Prédication :
Reprenons deux versets, 44 et 46. « Il faut
que s’accomplisse tout ce qui a été dit de moi dans la Loi de Moïse, les
Prophètes et les Psaumes », et « C’est comme il a été écrit : le
Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour. »
Où donc ceci est-il
écrit ? Consultons des Bibles savantes, celles qui ont des références dans
les marges et des notes en bas de page. Nous nous attendons à une profusion de renvois
à de nombreux versets bibliques de l’Ancien Testament. Nous trouvons… nous ne
trouvons rien. Nous sommes étonnés. Nous espérions au moins quelques fragments
du Psaume 22, ou d’Esaïe 52, ou d’Osée 6. Mais non. Nous ne trouvons aucun
renvoi.
Il y a juste la version
ZeBible (traduction en français courant, avec guide de lecture) pour considérer
ces deux versets comme une invitation à relire la Bible – entendez l’Ancien
Testament – à la lumière de la résurrection, mais ça n’est pas ce que nous
cherchons ni ce que Jésus annonce. Jésus n’annonce pas que le nouveau éclaire l’ancien mais au contraire, que l’ancien précède et explique le nouveau.
Bref, si nous sommes en
quête d’une correspondance littérale, nous faisons fausse route. Et pourtant,
Luc l’évangéliste proclame cet accomplissement. Alors, que s’accomplit-il
ici ?
Pour répondre à cette
question, il nous faut nous demander ce que nous retenons de fondamental dans
l’Ancien Testament, non pas un ou deux versets, mais dans l’ensemble. Ici, je ne peux que vous faire une
proposition toute personnelle. Cette
proposition tient en deux grands volets théologiques.
(1) Dieu observe son peuple, constate qu’il n’est
pas tel qu’il le voudrait, et donc Dieu corrige ce peuple en lui infligeant toutes
sortes de maux. Parmi ces maux, l’épidémie, la famine, la domination étrangère,
l’exil…
(2) Dieu aime inlassablement son peuple ;
quelles que soient les avanies de l’histoire, et quelles que soient les égarements
de ce peuple, il le rassemble, le ramène, le protège et le bénit.
Je ne veux faire aucune synthèse entre ces deux
théologies, celle du jugement impitoyable et celle de la bienveillance infinie.
Si vous voulez un texte qui dise les deux en même
temps, voici Exode 20, 5-6 : « (Je suis ton Dieu), poursuivant la
faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations – s'ils me
haïssent – et prouvant sa
fidélité à des milliers de générations – si elles m'aiment et gardent mes
commandements ».
Ces deux théologies sont exposées simultanément
par l’Ancien Testament et j’aimerais suggérer – non pas prouver mais suggérer
seulement – qu’elles ne sont pas séparables l’une de l’autre… qu’elles ne
devraient jamais être séparées l’une de l’autre… que si elles sont séparées
l’une de l’autre elles sont anéanties l’une comme l’autre, l’une par
l’autre ; mais ensemble, elles se fécondent mutuellement.
C’est ce que nous retenons
et ce par quoi nous revenons à la lecture de Luc.
Nous devons maintenant
nous demander comment en Jésus tout cela, c'est-à-dire le cœur de l’Ancien
Testament, est accompli, et mené, concernant l’humanité entière, à une
indépassable plénitude.
Cela suppose que nous
considérions, que nous affirmions même, que ce qui est écrit de Jésus de
Nazareth est susceptible de concerner profondément l’humanité. C’est assez
audacieux – il nous faut bien prendre garde à ce que cette audace ne soit pas
une insoutenable prétention. Que dirons-nous donc, avec hésitation ? En
reprenant l’inspiration qui est la nôtre en parcourant l’Ancien Testament, nous
dirons que partout où de grandes promesses sont suivies de grandes trahisons et
de grands repentirs, l’Evangile – en tant que Nouveau Testament – est
susceptible de concerner individuellement chaque être humain et collectivement
tout groupe humain. Nous reprenons notre lecture en considérant les deux
théologies mentionnées ci-dessus.
(1) En Jésus vivant, mort et ressuscité, il y a un
jugement. Ce n’est pas seulement aux premiers disciples que s’adresse ce
jugement : ils n’ont pas compris leur maître, ne l’ont pas défendu, et
l’ont abandonné. Ce jugement concerne toutes celles et ceux qui ont entendu
parler du Christ. L’histoire du monde est là pour l’indiquer, l’état du monde
est là pour le confirmer : les humains se sont rendus, et se rendent
encore coupables, de grands abandons, de grandes trahisons, de grands massacres
et génocides. Jésus vivant, sa vie, son enseignement, sont le nom du jugement. Ce
jugement concerne tous les humains – ou presque – et aussi toutes les institutions
ecclésiastiques, ou séculières – comme l’ONU – les grandes et les petites…
toutes étant en quelque manière plus intéressées par leurs traditions et leur
survie que par le message de l’Evangile. Pour un Martin Luther King, pour une
Mère Teresa, combien de légions de Tartuffes, ou seulement
d’indifférents ?
Lorsqu’on voit jusqu’où va l’engagement de Jésus, lorsqu’on
comprend même un peu son enseignement, lorsqu’on saisit jusqu’à quel point il
fait don de lui-même, on ne peut qu’être confondu. Combien de fois les perles
auront-elles été données à des cochons ? Combien de fois son enseignement
aura-t-il été transmis et ignoré, sa personne invoquée et bafouée ?
Combien de fois encore faudra-t-il qu’il meure ? Et combien de fois
faudra-t-il encore qu’il ressuscite ?
Pour tous ceux qui le connaissent, Jésus de
Nazareth est leur jugement. C’est ainsi que l’Ancien Testament donne à
comprendre le Nouveau.
(2) Cependant ça n’est pas tout. En Jésus vivant,
mort et ressuscité, il y a une inépuisable source de bénédiction. Son
enseignement, même mille fois ignoré, demeure accessible : les Saintes
Ecritures sont le livre le plus diffusé dans le monde. L’enseignement de Jésus
ne cesse d’inspirer des humains, connus, ou inconnus, célèbres ou anonymes :
d’authentiques témoins du ressuscité ne cessent d’apparaître dans l’histoire.
La résurrection du Fils de Dieu ne s’épuise pas en
une fois au matin de Pâques, mais elle advient encore et encore, concrètement,
dans des vies abimées, bouleversées. Elle advient non seulement comme espérance
mais aussi comme réalité d’une vie renouvelée. Elle est autant de possibilités
nouvelles, de chemins nouveaux, de pardon, de repentir et de réconciliation.
C’est ainsi aussi que l’Ancien Testament donne à
comprendre le Nouveau.
Mais, direz-vous, tout ce langage est le langage
de l’Alliance. Qu’est-ce qui change
entre l’une et l’autre ? Ce qui change, c’est que le monde s’est
ouvert. Certaines composantes du Judaïsme de l’Antiquité avaient commencé à
penser l’universel, à se penser comme religion de justice et de paix pour
l’humanité. IHVH qui était un Dieu ethnique est devenu, en Jésus Christ, et
dans le monde gréco-latin, un Dieu universel. Par son Messie – si l’on veut
parler de Messie – qui a été cet homme-là, Dieu s’est adressé à tout homme, et
l’intuition universalisante de certains maîtres juifs est devenue une espérance
possible pour chaque être humain. Une branche du Judaïsme du premier siècle a
été capable de transmettre cette espérance au plus grand nombre. Et c’est de
cette branche-là que nous sommes issus.
Vous pourrez objecter que cette intuition
universalisante a été capable d’horreurs, de massacres et de persécutions. Et vous
aurez raison. Mais ces horreurs n’épuisent pas la théologie de la divine
miséricorde. Les deux théologies dont nous parlons sont inséparables, pour le
pire, et pour le meilleur, c’est la conviction qui nous porte maintenant.
Qui mettra le meilleur en œuvre ? La réponse
est en toutes lettres dans le texte. « On prêchera (au nom du Christ) la
conversion et le pardon des péchés à toutes les nations (…). C’est vous –
auditeurs, lecteurs – qui en êtes les témoins. » Amen