dimanche 1 avril 2018

Elles ne dirent rien à personne (Marc 16,1-8) Pâques


Marc 16
1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller l'embaumer.
2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont à la tombe, le soleil étant levé.
3 Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera la pierre de l'entrée du tombeau?»
4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre est roulée; or, elle était très grande.
5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur.
6 Mais il leur dit: «Ne vous effrayez pas. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié: il est ressuscité, il n'est pas ici; voyez l'endroit où on l'avait déposé.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre: ‹Il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.› »
8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur.
Il faudrait relire aussi Marc 8.31-33, Marc 9.30-32, Marc 10.32-34 et Marc 14.26-28. Relire, se souvenir, et raconter.
Prédication :
« …et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur » Fin du dernier texte lu ce matin. Et fin de l’évangile de Marc dans sa version la plus ancienne. Une fin pitoyable : trois femmes ont vu le tombeau vide et entendu la parole de l’ange mais elles s’enfuient, se taisent à jamais, et il n’y a aucune apparition du ressuscité. Ajoutez à ceci que les disciples ont disparu dans la nature et vous avez le bilan de l’évangile de Marc. On se demande si c’est la peine d’en parler…


Bien entendu, si vous prenez vos Bibles, vous allez voir, dans l’évangile de Marc, que Jésus apparaît de multiples façons (Marc 16.9 et suivants), ce qui peut rassurer. Ouf, il y a bien des attestations de la résurrection. Mais toutes les bonnes Bibles vous signaleront à cet endroit qu’il est manifeste que ces apparitions sont des ajouts au texte original : ce n’est pas la même langue grecque, ni le même style, ni le même auteur. Ce sont des rajouts, canoniques, oui, mais des rajouts tout de même…
La question à laquelle nous nous attaquons est celle des attestations de la résurrection de Jésus Christ Fils de Dieu. Quelqu’un demande « d’où tiens-tu que Jésus est ressuscité ? » et l’on répond « des gens l’ont vu, c’est écrit dans la Bible ». C’est vrai, Marc, dans son état final, ainsi que Matthieu, Luc et Jean introduisent, chacun dans son récit, des apparitions du ressuscité. Et pour certains lecteurs, cela va suffire pour prouver la résurrection. Pourtant prétendre que les récits bibliques de la résurrection constituent des preuves de la résurrection, c’est faire montre d’une naïveté considérable. C’est exactement comme affirmer que Dieu a créé l’univers en 6 jours calendaires il y a 6000 ±100 années, et s’est reposé le septième jour, c’est écrit dans la Bible…

Le génie de l’évangile de Marc dans sa première écriture, c’est d’attester la résurrection – d’en donner une attestation, un témoignage – sans jamais que n’apparaisse le ressuscité. Mais que se passe-t-il alors dans l’évangile de Marc qui atteste la résurrection ?
Pour tâcher de l’expliquer un peu, je voudrais commencer par vous faire remarquer que, dans l’évangile de Marc, lorsque Jésus ayant fait un miracle commande qu’on se taise, tout le monde en parle. Pourtant, si Jésus commande qu’on taise ses miracles, c’est qu’il souhaite que sa messianité ne soit pas confondue avec sa puissance miraculeuse. C’est qu’il souhaite que sa messianité survive à sa disparition. La foi au Fils de Dieu, comme la foi en Dieu le Père, doit être en mesure de répondre positivement de leur silence et de leur absence, et de répondre autre chose que c’est dans leur absence même qu’ils se rendent le plus présents. La preuve par le miracle n’est guère solide, la preuve par l’absence l’est encore moins…
La preuve par la présence présente aussi bien des inconvénients. Si Jésus ressuscité apparaît une fois il faudra, pour susciter l’adhésion du plus grand nombre, que beaucoup d’apparitions aient lieu. Heureux ceux qui, sans avoir vu, ont cru, est-il écrit, dans l’évangile de Jean. Mais Jean, hélas dirais-je aujourd’hui, dit cela après – et avant –  tout un tas d’apparitions… Marc est plus conséquent, et plus radical. Nous pouvons estimer que pour Marc, dans sa version la plus ancienne, une apparition du ressuscité est le plus grand poison de la foi en la résurrection.
Aussi affirmons-nous que la fuite et le silence des femmes apparaissent comme le meilleur moyen possible pour que la foi des disciples en la résurrection du Fils de Dieu ne soit pas fondée sur le vent d’apparitions. Mais sur quoi cette foi va-t-elle se fonder ?

Nous allons répondre. Qui sont les disciples de Jésus ? Ces gens sont des Hébreux et, depuis l’aube des temps, la survie spirituelle des Hébreux – leur foi – leur survie tout court parfois – tient à l’obéissance à deux commandements très simples : souviens-toi, raconte. Et vous savez bien que, pour les Hébreux, le verbe raconter ne signifie pas seulement faire un reportage exact et circonstancié, mais tâcher aussi d’interpréter, de donner à comprendre, ce qui se passe.

Et que se passe-t-il  donc, lorsqu’on lit l’évangile de Marc dans sa version la plus ancienne ? Il est manifeste, l’existence même de l’évangile de Marc indique clairement, que, après la mort du Fils de Dieu, il y a eu chez ses disciples, envers et contre tout, en l’absence de toute apparition du Ressuscité… il y a eu une activité – réflexion, écriture, prédication – qui correspondait à l’enseignement et à l’exemple reçus du Maître. L’actualité de la résurrection du Fils de Dieu, ce n’est pas l’activité du Fils de Dieu après sa mort, mais l’activité des disciples du Fils de Dieu après que celui-ci soit mort.
Alors quelle attestation, voire quelle preuve, avons-nous donc de la résurrection du Fils de Dieu ? Nous avons pour attestation l’évangile de Marc dans sa version la plus ancienne. Et nous devons cet évangile à quelques braves hébreux qui ont fait ce que tout hébreu peut faire lorsque son monde s’écroule : se souvenir, raconter. C’est ce qu’ils ont fait et c’est ce que fait pour nous le texte lui-même. En refusant toute apparition merveilleuse du Fils de Dieu à Pâques, et en parlant pourtant de sa résurrection, Marc veut orienter le regard de son lecteur sur tout le reste essentiel de la vie de Jésus. En somme, pour Marc, celui qui apparaît sous l’identité de Jésus de Nazareth et se fait baptiser dans le Jourdain (Marc 1.9), c’est le Ressuscité. Et il ne cesse d’apparaître pendant tout le récit. Et qui donc le fait apparaître ? L’auteur, les auteurs du texte – béni soit leurs noms !
Et après l’auteur du texte, vient le lecteur du texte. Lorsqu’il lit, puis se souvient, lorsqu’il raconte, c'est-à-dire met en œuvre ce qu’il a reçu et compris, il rend présent et visible le Fils de Dieu ressuscité.

Nous allons finir en revenant à notre point de départ : « Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent jamais rien à personne, car elles avaient peur. »
Que reste-t-il à faire, si l’on tout de même voir le Fils de Dieu Ressuscité ? Recommencer dans la joie et sans tarder la lecture, au début, en Marc 1.1 : « Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu ». Ce verset est le titre de tout l’ouvrage. De Marc 1.1 à Marc 16.8, nous n’avons que le commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu.
La suite de l’évangile, il nous appartient de l’écrire, c'est-à-dire de la penser, de la vivre et de la raconter. Qu’il en soit ainsi. Amen