Marc 16
1 Quand le sabbat fut passé, Marie de Magdala,
Marie, mère de Jacques, et Salomé achetèrent des aromates pour aller
l'embaumer.
2 Et de grand matin, le premier jour de la semaine,
elles vont à la tombe, le soleil étant levé.
3 Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera
la pierre de l'entrée du tombeau?»
4 Et, levant les yeux, elles voient que la pierre
est roulée; or, elle était très grande.
5 Entrées dans le tombeau, elles virent, assis à
droite, un jeune homme, vêtu d'une robe blanche, et elles furent saisies de
frayeur.
6 Mais il leur dit: «Ne vous effrayez pas. Vous
cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié: il est ressuscité, il n'est pas ici;
voyez l'endroit où on l'avait déposé.
7 Mais allez dire à ses disciples et à Pierre: ‹Il
vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez, comme il vous l'a dit.› »
8 Elles sortirent et s'enfuirent loin du tombeau,
car elles étaient toutes tremblantes et bouleversées; et elles ne dirent rien à
personne, car elles avaient peur.
Il faudrait relire aussi Marc 8.31-33, Marc 9.30-32, Marc 10.32-34 et Marc 14.26-28. Relire, se souvenir, et raconter. |
Prédication :
« …et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur »
Fin du dernier texte lu ce matin. Et fin de l’évangile de Marc dans sa version
la plus ancienne. Une fin pitoyable : trois femmes ont vu le tombeau vide
et entendu la parole de l’ange mais elles s’enfuient, se taisent à jamais, et
il n’y a aucune apparition du ressuscité. Ajoutez à ceci que les disciples ont
disparu dans la nature et vous avez le bilan de l’évangile de Marc. On se
demande si c’est la peine d’en parler…
Bien entendu, si vous prenez vos Bibles, vous allez voir, dans
l’évangile de Marc, que Jésus apparaît de multiples façons (Marc 16.9 et
suivants), ce qui peut rassurer. Ouf, il y a bien des attestations de la
résurrection. Mais toutes les bonnes Bibles vous signaleront à cet endroit
qu’il est manifeste que ces apparitions sont des ajouts au texte
original : ce n’est pas la même langue grecque, ni le même style, ni le
même auteur. Ce sont des rajouts, canoniques, oui, mais des rajouts tout de même…
La question à laquelle nous nous attaquons est celle des attestations
de la résurrection de Jésus Christ Fils de Dieu. Quelqu’un demande « d’où
tiens-tu que Jésus est ressuscité ? » et l’on répond « des gens
l’ont vu, c’est écrit dans la Bible ». C’est vrai, Marc, dans son état
final, ainsi que Matthieu, Luc et Jean introduisent, chacun dans son récit, des
apparitions du ressuscité. Et pour certains lecteurs, cela va suffire pour
prouver la résurrection. Pourtant prétendre que les récits bibliques de la
résurrection constituent des preuves de la résurrection, c’est faire montre
d’une naïveté considérable. C’est exactement comme affirmer que Dieu a créé
l’univers en 6 jours calendaires il y a 6000 ±100 années, et s’est reposé le septième jour,
c’est écrit dans la Bible…
Le génie de l’évangile de Marc dans sa première écriture, c’est
d’attester la résurrection – d’en donner une attestation, un témoignage – sans
jamais que n’apparaisse le ressuscité. Mais que se passe-t-il alors dans l’évangile
de Marc qui atteste la résurrection ?
Pour tâcher de l’expliquer un peu, je voudrais commencer par vous faire
remarquer que, dans l’évangile de Marc, lorsque Jésus ayant fait un miracle
commande qu’on se taise, tout le monde en parle. Pourtant, si Jésus commande
qu’on taise ses miracles, c’est qu’il souhaite que sa messianité ne soit pas
confondue avec sa puissance miraculeuse. C’est qu’il souhaite que sa messianité
survive à sa disparition. La foi au Fils de Dieu, comme la foi en Dieu le Père,
doit être en mesure de répondre positivement de leur silence et de leur absence,
et de répondre autre chose que c’est dans leur absence même qu’ils se rendent
le plus présents. La preuve par le miracle n’est guère solide, la preuve par
l’absence l’est encore moins…
La preuve par la présence présente aussi bien des inconvénients. Si Jésus
ressuscité apparaît une fois il faudra, pour susciter l’adhésion du plus grand
nombre, que beaucoup d’apparitions aient lieu. Heureux ceux qui, sans avoir vu,
ont cru, est-il écrit, dans l’évangile de Jean. Mais Jean, hélas dirais-je
aujourd’hui, dit cela après – et avant – tout un tas d’apparitions… Marc est plus
conséquent, et plus radical. Nous pouvons estimer que pour Marc, dans sa
version la plus ancienne, une apparition du ressuscité est le plus grand poison
de la foi en la résurrection.
Aussi affirmons-nous que la fuite et le silence des femmes apparaissent
comme le meilleur moyen possible pour que la foi des disciples en la
résurrection du Fils de Dieu ne soit pas fondée sur le vent d’apparitions. Mais
sur quoi cette foi va-t-elle se fonder ?
Nous allons répondre. Qui sont les disciples de Jésus ? Ces gens
sont des Hébreux et, depuis l’aube des temps, la survie spirituelle des Hébreux
– leur foi – leur survie tout court parfois – tient à l’obéissance à deux
commandements très simples : souviens-toi, raconte. Et vous savez bien
que, pour les Hébreux, le verbe raconter ne signifie pas seulement faire un
reportage exact et circonstancié, mais tâcher aussi d’interpréter, de donner à
comprendre, ce qui se passe.
Et que se passe-t-il donc,
lorsqu’on lit l’évangile de Marc dans sa version la plus ancienne ? Il est
manifeste, l’existence même de l’évangile de Marc indique clairement, que, après
la mort du Fils de Dieu, il y a eu chez ses disciples, envers et contre tout,
en l’absence de toute apparition du Ressuscité… il y a eu une activité – réflexion,
écriture, prédication – qui correspondait à l’enseignement et à l’exemple reçus
du Maître. L’actualité de la résurrection du Fils de Dieu, ce n’est pas
l’activité du Fils de Dieu après sa mort, mais l’activité des disciples du Fils
de Dieu après que celui-ci soit mort.
Alors quelle attestation, voire quelle preuve, avons-nous donc de la
résurrection du Fils de Dieu ? Nous avons pour attestation l’évangile de
Marc dans sa version la plus ancienne. Et nous devons cet évangile à quelques
braves hébreux qui ont fait ce que tout hébreu peut faire lorsque son monde
s’écroule : se souvenir, raconter. C’est ce qu’ils ont fait et c’est ce
que fait pour nous le texte lui-même. En refusant toute apparition merveilleuse
du Fils de Dieu à Pâques, et en parlant pourtant de sa résurrection, Marc veut
orienter le regard de son lecteur sur tout le reste essentiel de la vie de
Jésus. En somme, pour Marc, celui qui apparaît sous l’identité de Jésus de
Nazareth et se fait baptiser dans le Jourdain (Marc 1.9), c’est le Ressuscité.
Et il ne cesse d’apparaître pendant tout le récit. Et qui donc le fait
apparaître ? L’auteur, les auteurs du texte – béni soit leurs noms !
Et après l’auteur du texte, vient le lecteur du texte. Lorsqu’il lit, puis
se souvient, lorsqu’il raconte, c'est-à-dire met en œuvre ce qu’il a reçu et
compris, il rend présent et visible le Fils de Dieu ressuscité.
Nous allons finir en revenant à notre point de départ :
« Elles sortirent et s’enfuirent loin du tombeau, car elles étaient toutes
tremblantes et bouleversées ; et elles ne dirent jamais rien à personne,
car elles avaient peur. »
Que reste-t-il à faire, si l’on tout de même voir le Fils de Dieu
Ressuscité ? Recommencer dans la joie et sans tarder la lecture, au début,
en Marc 1.1 : « Commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de
Dieu ». Ce verset est le titre de tout l’ouvrage. De Marc 1.1 à Marc 16.8,
nous n’avons que le commencement de l’évangile de Jésus Christ Fils de Dieu.
La suite de l’évangile, il nous appartient de l’écrire, c'est-à-dire de
la penser, de la vivre et de la raconter. Qu’il en soit ainsi. Amen