lundi 5 février 2018

Parler librement (Marc 1,21-39)

On me pardonnera, j'espère, ce long silence. J'ai été malade, et hospitalisé. Il me faut encore me reposer un peu. Je rends grâce à Dieu en qui je crois pour les gens qu'il m'a été donné d'approcher pendant ces quelques semaines - c'est bien plutôt eux qui se sont approchés de moi - et qui ont été pour moi comme le Samaritain de la parabole. Certains ont été aussi gênés lorsque je les ai remerciés. "Nous n'avons fait que notre travail." Certes, mais avec élégance. Je renoue maintenant avec la discipline de l'étude et du commentaire du texte biblique. Mais c'est seulement en mars que je remonterai dans la chaire. Je suis plein de reconnaissance pour celles et ceux qui m'ont envoyé de petits mots sympathiques et fraternels. Il est bon de savoir que, quelque part, quelqu'un pense à vous, prie pour vous.
Marc 1
21 Ils pénètrent dans Capharnaüm. Et dès le jour du sabbat, entré dans la synagogue, Jésus enseignait.
22 Ils étaient frappés de son enseignement, car il les enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes.
23 Justement il y avait dans leur synagogue un homme possédé d'un esprit impur; il s'écria:
24 «Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth? tu es venu pour nous perdre. Je sais qui tu es: le Saint de Dieu.»
25 Jésus lui commanda sévèrement: «Tais-toi et sors de cet homme.»
26 L'esprit impur le secoua avec violence et il sortit de lui en poussant un grand cri.
27 Ils furent tous tellement saisis qu'ils se demandaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela? Voilà un enseignement nouveau, plein d'autorité! Il commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent!»
28 Et sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de Galilée.

29 Juste en sortant de la synagogue, ils allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d'André.
30 Or la belle-mère de Simon était couchée, elle avait de la fièvre; aussitôt on parle d'elle à Jésus.
31 Il s'approcha et la fit lever en lui prenant la main: la fièvre la quitta et elle se mit à les servir.
32 Le soir venu, après le coucher du soleil, on se mit à lui amener tous les malades et les démoniaques.
33 La ville entière était rassemblée à la porte.
34 Il guérit de nombreux malades souffrant de maux de toutes sortes et il chassa de nombreux démons; et il ne laissait pas parler les démons, parce que ceux-ci le connaissaient.
35 Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s'en alla dans un lieu désert; là, il priait.
36 Simon se mit à sa recherche, ainsi que ses compagnons,
37 et ils le trouvèrent. Ils lui disent: «Tout le monde te cherche.»
38 Et il leur dit: «Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, pour que j'y proclame aussi l'Évangile: car c'est pour cela que je suis sorti.»
39 Et il alla par toute la Galilée; il prêchait dans leurs synagogues et chassait les démons.
 
Prédication :
            Un petit rappel du texte : « 23 il y avait dans leur synagogue un homme possédé d'un esprit impur; il s'écria: 24 « Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? tu es venu pour nous perdre. Je sais qui tu es : le Saint de Dieu.» 25 Jésus lui commanda sévèrement : « Tais-toi et sors de cet homme. » Et un peu plus loin : «… il ne laissait pas parler les démons, parce que ceux-ci le connaissaient. »
Par deux fois au moins, Jésus impose le silence à des esprits impurs, ou à des démons. Pourtant, ce qui est proclamé par eux à son sujet est parfaitement juste, puisqu’ils le connaissent. Alors pourquoi leur ordonne-t-il le silence ? La question mérite d’être posée ; elle a un enjeu : dans certaines circonstances et sous certaines conditions, une confession de foi peut sortir d’une bouche qualifiée, être donc parfaitement exacte – oui, Jésus est le Saint de Dieu – et pourtant cette confession est d’essence démoniaque.
Nous allons méditer là-dessus et reprenant quelques éléments du texte.

« …il y avait dans leur synagogue un homme possédé d’un esprit impur. » Nous n’allons pas pérorer sur les esprits impurs. Nous allons seulement repérer que cet homme est contraint, qu’il ne peut pas s’empêcher de parler. Ce qu’il énonce est énoncé en l’absence totale de liberté. Il faut l’autorité de Jésus pour qu’il se taise, comme si Jésus refusait quelque chose. Quelle chose ? Il ne s’agit pas que des mots justes soient dits ; un homme possédé n’est pas un homme libre. Il faut que les mots soient dits librement. Jésus est le Saint de Dieu, ou Jésus est Seigneur, ou toute autre confession de foi n’a de valeur que si c’est librement qu’elle est dite. Toute contrainte qu’on impose, toute contrainte qu’on subit, annule la confession de foi, la rend sans valeur.
Jésus manifeste ici, dès le début de l’évangile, qu’il veut pour disciples des humains libres. Et il restera à ses disciples – et au lecteur de l’évangile – toute la suite du récit, peut-être même toute une vie, pour s’éduquer à la liberté. Alors vous pouvez poursuivre la lecture de l’évangile de Marc jusqu'au dernier verset, en vous posant à chaque page cette question : « Est-ce librement qu’untel parle ou agit ? » Et sans doute arriverez-vous au bout de cette lecture en vous disant parfois non, d’autres fois oui. Et lorsque vous serez arrivé à la fin de votre lecture, vous recommencerez au premier chapitre, premier verset : « Commencement de l’évangile de Jésus Christ, fils de Dieu ». Et peut-être votre appréciation des situations rencontrées changera-t-elle. Peut-être aussi vous sentirez-vous plus libres…
Nous verrons d’ailleurs dans quelques instants si nous pouvons répondre pour nous-mêmes à la question : « Est-ce librement que je confesse Jésus Christ ? » 

Revenons d’abord au texte, et repérons maintenant que, par deux fois, il est fait mention de savoir et de connaître quelque chose sur Jésus. Les démons savent et connaissent qui est Jésus ; ils disent le concernant des choses parfaitement justes, et pourtant Jésus les réduit au silence. Il s’agit alors de comprendre qu’en matière d’Evangile – plus généralement même dès qu’il s’agit de Dieu – il n’est jamais question de savoir ou de connaître, mais de croire. La question à poser n’est pas « Sais-tu cela ? » et sous cela vous pouvez mettre tous les énoncés des meilleurs catéchismes. La question à poser est « Crois-tu cela ? » Il y a un abîme entre les deux, entre savoir et croire. La foi ne sait pas, la foi croit, la foi n’explique pas, elle crie. Et elle crie : « Je crois, viens au secours de mon manque de foi » (Marc 9,24). La foi ne se justifie pas, elle espère. La foi ne compte sur aucun savoir, elle croit, et ne sait même pas si Dieu répond, ou encore si Jésus est Fils de Dieu, elle le croit, et c’est tout. Mais en même temps que la foi croit, elle connaît aussi bien son catéchisme, sa confession de la Rochelle, et la déclaration de foi de son Eglise.
Alors nous nous demandons maintenant comme l’on fait le tri, entre la foi de l’Eglise que partagent les fidèles, qui peut être un savoir, et la foi qui est au fond du cœur de chacun, au fond de mon cœur ?
 
Pour faire la part des choses, il n’y a qu’une seule voie : interroger son cœur. Que chacun s’examine, disait une ancienne liturgie.
Que va-t-on trouver au fond d’un cœur ? Certainement de la liberté. Notre monde est très sécularisé, la foi relève de l’intimité, et les liens qui nous unissent à notre Eglise sont aujourd’hui ainsi faits que la liberté y trouve aisément son compte. C’est librement que vous venez ou que vous ne venez pas. Et vous n’éprouvez en général pas le besoin de vous en justifier. La liberté n’est pas par chez nous un signe très probant de la foi.
En plus de cette liberté, vous allez trouver dans vos cœurs une part d’hésitation, d’incertitude, de doute. Ce peut être un doute léger, mais parfois aussi cela peut être un doute violent. « Crois-tu cela ? » Et votre cœur hésite, il porte le oui, et le non. Il voudrait croire, faire confiance, s’en tenir aux promesses du Christ ressuscité, et il n’y parvient que très imparfaitement. Et bien cette part de doute, est en vous aussi le signe de la foi, le signe que vous ne savez pas, que vous espérez que vous croyez seulement.

Enfin, pour discerner en vous ce qui relève authentiquement de la foi, vous pourrez interroger vos actes. Nous pouvons ici recoller au texte qui est sur ce point assez concret. Des actes ! Guérir, si vous en avez le pouvoir – ou aider sous une forme ou une autre – sans attendre de récompense, juste pour guérir. Servir, si comme la belle-mère de Pierre votre santé vous le permet, et servir gratuitement. Et annoncer l’Evangile, dans le langage du monde comme dans le langage de l’Eglise, par vos mots et par vos gestes, une fois encore gratuitement.

Sœurs et frères, au terme de cette méditation, vous avez éprouvé vos actes et votre foi. Vous avez trouvé en vous la liberté et le doute. Je pense que l’une et l’autre sont appelés à grandir en vous – à grandir en nous – chaque jour.

Chaque jour aussi, le Seigneur nous accompagne, je le crois – même dans les moments les plus difficiles, je le crois. Amen