Marc 1
40 Un lépreux s'approche de lui ; il le supplie et tombe à
genoux en lui disant : « Si tu le veux, tu peux me
purifier. »
41 Pris de pitié, Jésus étendit la main et le toucha. Il
lui dit : « Je le veux, sois purifié. »
42 À l'instant, la lèpre le quitta et il fut purifié.
43 S'irritant contre lui, Jésus le renvoya aussitôt.
44 Il lui dit : « Garde-toi de rien dire à
personne, mais va te montrer au prêtre et offre pour ta purification ce que
Moïse a prescrit: ils auront là un témoignage. »
45 Pourtant, une fois parti, il se mit à proclamer bien
haut et à répandre la nouvelle, si bien que Jésus ne pouvait plus entrer
ouvertement dans une ville, mais qu'il restait dehors en des endroits déserts.
Cependant on venait à lui de toute part…
Marc 2
1 Quelques jours après, Jésus rentra à Capharnaüm et
l'on apprit qu'il était à la maison.
2 Et tant de monde s'y rassembla qu'il n'y avait
plus de place, pas même devant la porte. Et il leur annonçait la Parole.
Prédication :
Une
histoire de miracle, un miracle de plus dans le commencement du récit de Marc. Le
Fils de Dieu, dans ce commencement, guérit beaucoup et parle peu.
En effet, du commencement de son
ministère public nous n’avons que quelques mots. « Le temps est accompli,
et le Règne de Dieu s'est approché, convertissez-vous et croyez à
l'Évangile » et « Venez à ma suite, et je ferai de vous des
pêcheurs d'hommes. » C’est très peu, alors que des villes entières se
précipitent à sa porte et qu’on se bouscule pour être soulagé par Lui de toutes
sortes de maux.
D’où quelques questions. Ce qui caractérise le
Fils de Dieu, est-ce seulement son aptitude à accomplir des miracles ? Son
ministère n’est-il pas autre chose qu’un ministère de guérison ? Quant aux
disciples qu’il a appelés vont-ils être capables d’imiter un jour leur si
puissant maître ?
Réglons déjà une de ces question : l’appel
que Jésus a adressé à ses disciples n’est pas « …je ferai de vous des
guérisseurs d’hommes », mais « …je ferai de vous des pêcheurs
d’hommes ». Alors peut-être que nous pouvons déduire de cela qu’il est
possible de pêcher des humains sans les guérir miraculeusement. Peut-être que
ce que Jésus proclame concerne des gens bien portants. Peut-être même que, parfois,
pour un être humain malade, il est plus important d’être pêché que d’être
miraculeusement guéri… Mais restons-en aux miracles.
Les miracles sont rares dans la vie courante. Nul
ne peut les prévoir, personne ne peut les promettre. Nous pourrions donc
affirmer prudemment que ce récit ne nous concerne pas. Mais puisque les hasards
du lectionnaire font que nous avons sous les yeux ce récit de miracle, tâchons
de le comprendre. L’homme implore, Jésus s’émeut, touche et guérit. C’est la
fin du récit de miracle et il n’y a rien à comprendre. Insistons tout de même
un peu.
Nous avons vu que Jésus guérit. C’est la suite qui
est plus étonnante. Il rappelle la Loi de Moïse, et nous ne devons pas nous
étonner que l’homme ne la suive pas. Comment en effet pourrions-nous croire que
cette Loi (celle du Lévitique) conçue pour un tout petit peuple bien homogène
en train de migrer, ait une quelconque chance d’être observée à la lettre à
l’échelle d’un pays tout entier, qui plus est en Galilée, alors que les prêtres
sont en Judée ? Pourquoi donc ce rappel à la Loi ?
Ce renvoi à la Loi, à l’Ecriture commune, quelle
signification a-t-il ? Si nous considérons que la venue de Jésus est le
signe de la divine vitalité de l’ancienne tradition des Hébreux, nous arrivons
à ceci, qui est très important : l’observance littérale de la Loi est,
selon Jésus, à cet instant, condition de validation de cette vitalité :
« ils auront là un témoignage ». Résultat étrange, sur lequel nous
devons méditer : l’Evangile, cette prédication puissante en paroles et en
actes, cette chose bonne et nouvelle, a besoin des rites de la première
Alliance pour être authentifié. Et s’il n’est pas ainsi authentifié, il n’y a
pas de Bonne Nouvelle, mais juste une magie puissante.
On peut, sur la base de cette considération,
comprendre pourquoi Jésus se fâche, non pas contre cet homme, mais contre
lui-même. Il est responsable de cette situation et ces accumulations de
miracles en l’absence de toute médiation institutionnelle sont étrangères à la
messianité hébraïque, si belle, si puissante et si profonde qu’elle a permis à
un peuple de survivre, avec son culte, ses Saintes Ecritures et sa Loi à la
main, survivre alors que l’histoire lui était parfois abominablement cruelle, que
son exil était un exil sans fin, Dieu totalement muet et que tout semblait se
liguer contre lui.
Jésus se
fâche contre sa propre faiblesse, l’émotion qui l’a étreint, en raison de
laquelle il a accompli ce miracle, un de plus – peut-être un de trop – parce
que tous ces miracles appellent encore plus de miracles – tant mieux pour les
miraculés – mais qu’une mission uniquement dévouée à la production de miracles
et pas soutenue par un enseignement durable, est fatalement une mission sans
postérité, un beau feu certes, mais un feu de paille…
Pour insister encore un peu, Jésus se fâche, et il
vient juste de décider, après une série de miracles ou guérisons spectaculaires,
d’aller ailleurs, non pas pour faire des miracles, mais pour proclamer
l’Evangile. « Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, pour que j'y
proclame aussi l'Évangile, car c'est pour cela que je suis sorti. » Or, au
lieu de proclamer l'Évangile – un Évangile de conversion – il se surprend à
être ému par la misère et à accomplir un miracle de plus. Un miracle après
l’autre, des miracles après d’autres miracles, parce qu’on ne peut pas ne pas
être ému par tant de misère et tant de souffrance. Mais alors, quand
proclamera-t-il l’Évangile ?
Laissons Jésus à sa colère, colère qui ne change
rien au fait que les gens le retrouvent, même en des lieux déserts, et qu’ils
se précipitent vers lui.
Jésus n’échappe pas au succès populaire, c’est
ainsi, c’est inévitable, et il faudra bien qu’il s’y fasse. Il ne peut pas
annoncer l'Évangile et faire l’impasse sur les miracles. Sa messianité n’est
pas une demi-messianité. D’ailleurs, sa colère ne dure guère, et sa préférence
pour les lieux isolés ne durera pas non plus. Nous lisons qu’il « restait
dehors en des endroits déserts. Mais on venait à lui de toute part. »,
puis, un verset plus loin, nous lisons que « Quelques jours après, (il)
rentra à Capharnaüm et l'on apprit qu'il était à la maison ». Quelle
maison ? La maison de prière, la maison d’un particulier. Il va y
accomplir un miracle, un de plus, mais il va aussi délivrer là un enseignement
capital.
Laissons cet enseignement, car ce qui importe pour
nous maintenant, c’est que Jésus semble bien décidé à affronter et à assumer un
certain succès populaire, dû à ses miracles, succès dont il ne peut pas ignorer
l’aspect éphémère. Mais Jésus est aussi décidé à proclamer l'Évangile. L’un, ou
l’autre ? Les deux en même temps.
Mais de ces deux il y en a un qui prendra de plus
en plus d’importance au détriment de l’autre. La parole de la prédication sera
de plus en plus importante, et il y aura de moins en moins de miracles, jusqu’à
la Passion, jusqu’à la Croix. Et cela par décision de Jésus. En quoi il délivrera
finalement quelque chose de très précieux : l'Évangile. Quoi,
l'Évangile ?
L'Évangile, c’est la parole d’espérance qui
demeure lorsque tous les faiseurs de miracles ont disparu.
Puissions-nous recevoir cet Evangile.
Puissions-nous le comprendre dans les moments faciles, dans les moments
difficiles, le partager, et le transmettre concrètement. Amen