lundi 19 février 2018

Ce qui reste d'espérance (Marc 1,40 - 2,2)


Marc 1
40 Un lépreux s'approche de lui ; il le supplie et tombe à genoux en lui disant : « Si tu le veux, tu peux me purifier. »
41 Pris de pitié, Jésus étendit la main et le toucha. Il lui dit : « Je le veux, sois purifié. »
42 À l'instant, la lèpre le quitta et il fut purifié.
43 S'irritant contre lui, Jésus le renvoya aussitôt.
44 Il lui dit : « Garde-toi de rien dire à personne, mais va te montrer au prêtre et offre pour ta purification ce que Moïse a prescrit: ils auront là un témoignage. »
45 Pourtant, une fois parti, il se mit à proclamer bien haut et à répandre la nouvelle, si bien que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais qu'il restait dehors en des endroits déserts. Cependant on venait à lui de toute part…
Marc 2
1 Quelques jours après, Jésus rentra à Capharnaüm et l'on apprit qu'il était à la maison.
2 Et tant de monde s'y rassembla qu'il n'y avait plus de place, pas même devant la porte. Et il leur annonçait la Parole.
Prédication :
            Une histoire de miracle, un miracle de plus dans le commencement du récit de Marc. Le Fils de Dieu, dans ce commencement, guérit beaucoup et parle peu.
En effet, du commencement de son ministère public nous n’avons que quelques mots. « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s'est approché, convertissez-vous et croyez à l'Évangile » et « Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d'hommes. » C’est très peu, alors que des villes entières se précipitent à sa porte et qu’on se bouscule pour être soulagé par Lui de toutes sortes de maux.
D’où quelques questions. Ce qui caractérise le Fils de Dieu, est-ce seulement son aptitude à accomplir des miracles ? Son ministère n’est-il pas autre chose qu’un ministère de guérison ? Quant aux disciples qu’il a appelés vont-ils être capables d’imiter un jour leur si puissant maître ?

Réglons déjà une de ces question : l’appel que Jésus a adressé à ses disciples n’est pas « …je ferai de vous des guérisseurs d’hommes », mais « …je ferai de vous des pêcheurs d’hommes ». Alors peut-être que nous pouvons déduire de cela qu’il est possible de pêcher des humains sans les guérir miraculeusement. Peut-être que ce que Jésus proclame concerne des gens bien portants. Peut-être même que, parfois, pour un être humain malade, il est plus important d’être pêché que d’être miraculeusement guéri… Mais restons-en aux miracles.
Les miracles sont rares dans la vie courante. Nul ne peut les prévoir, personne ne peut les promettre. Nous pourrions donc affirmer prudemment que ce récit ne nous concerne pas. Mais puisque les hasards du lectionnaire font que nous avons sous les yeux ce récit de miracle, tâchons de le comprendre. L’homme implore, Jésus s’émeut, touche et guérit. C’est la fin du récit de miracle et il n’y a rien à comprendre. Insistons tout de même un peu.
Nous avons vu que Jésus guérit. C’est la suite qui est plus étonnante. Il rappelle la Loi de Moïse, et nous ne devons pas nous étonner que l’homme ne la suive pas. Comment en effet pourrions-nous croire que cette Loi (celle du Lévitique) conçue pour un tout petit peuple bien homogène en train de migrer, ait une quelconque chance d’être observée à la lettre à l’échelle d’un pays tout entier, qui plus est en Galilée, alors que les prêtres sont en Judée ? Pourquoi donc ce rappel à la Loi ?
Ce renvoi à la Loi, à l’Ecriture commune, quelle signification a-t-il ? Si nous considérons que la venue de Jésus est le signe de la divine vitalité de l’ancienne tradition des Hébreux, nous arrivons à ceci, qui est très important : l’observance littérale de la Loi est, selon Jésus, à cet instant, condition de validation de cette vitalité : « ils auront là un témoignage ». Résultat étrange, sur lequel nous devons méditer : l’Evangile, cette prédication puissante en paroles et en actes, cette chose bonne et nouvelle, a besoin des rites de la première Alliance pour être authentifié. Et s’il n’est pas ainsi authentifié, il n’y a pas de Bonne Nouvelle, mais juste une magie puissante.

On peut, sur la base de cette considération, comprendre pourquoi Jésus se fâche, non pas contre cet homme, mais contre lui-même. Il est responsable de cette situation et ces accumulations de miracles en l’absence de toute médiation institutionnelle sont étrangères à la messianité hébraïque, si belle, si puissante et si profonde qu’elle a permis à un peuple de survivre, avec son culte, ses Saintes Ecritures et sa Loi à la main, survivre alors que l’histoire lui était parfois abominablement cruelle, que son exil était un exil sans fin, Dieu totalement muet et que tout semblait se liguer contre lui.
 Jésus se fâche contre sa propre faiblesse, l’émotion qui l’a étreint, en raison de laquelle il a accompli ce miracle, un de plus – peut-être un de trop – parce que tous ces miracles appellent encore plus de miracles – tant mieux pour les miraculés – mais qu’une mission uniquement dévouée à la production de miracles et pas soutenue par un enseignement durable, est fatalement une mission sans postérité, un beau feu certes, mais un feu de paille…
Pour insister encore un peu, Jésus se fâche, et il vient juste de décider, après une série de miracles ou guérisons spectaculaires, d’aller ailleurs, non pas pour faire des miracles, mais pour proclamer l’Evangile. « Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, pour que j'y proclame aussi l'Évangile, car c'est pour cela que je suis sorti. » Or, au lieu de proclamer l'Évangile – un Évangile de conversion – il se surprend à être ému par la misère et à accomplir un miracle de plus. Un miracle après l’autre, des miracles après d’autres miracles, parce qu’on ne peut pas ne pas être ému par tant de misère et tant de souffrance. Mais alors, quand proclamera-t-il l’Évangile ?

Laissons Jésus à sa colère, colère qui ne change rien au fait que les gens le retrouvent, même en des lieux déserts, et qu’ils se précipitent vers lui.
Jésus n’échappe pas au succès populaire, c’est ainsi, c’est inévitable, et il faudra bien qu’il s’y fasse. Il ne peut pas annoncer l'Évangile et faire l’impasse sur les miracles. Sa messianité n’est pas une demi-messianité. D’ailleurs, sa colère ne dure guère, et sa préférence pour les lieux isolés ne durera pas non plus. Nous lisons qu’il « restait dehors en des endroits déserts. Mais on venait à lui de toute part. », puis, un verset plus loin, nous lisons que « Quelques jours après, (il) rentra à Capharnaüm et l'on apprit qu'il était à la maison ». Quelle maison ? La maison de prière, la maison d’un particulier. Il va y accomplir un miracle, un de plus, mais il va aussi délivrer là un enseignement capital.
Laissons cet enseignement, car ce qui importe pour nous maintenant, c’est que Jésus semble bien décidé à affronter et à assumer un certain succès populaire, dû à ses miracles, succès dont il ne peut pas ignorer l’aspect éphémère. Mais Jésus est aussi décidé à proclamer l'Évangile. L’un, ou l’autre ? Les deux en même temps.

Mais de ces deux il y en a un qui prendra de plus en plus d’importance au détriment de l’autre. La parole de la prédication sera de plus en plus importante, et il y aura de moins en moins de miracles, jusqu’à la Passion, jusqu’à la Croix. Et cela par décision de Jésus. En quoi il délivrera finalement quelque chose de très précieux : l'Évangile. Quoi, l'Évangile ?
L'Évangile, c’est la parole d’espérance qui demeure lorsque tous les faiseurs de miracles ont disparu.

Puissions-nous recevoir cet Evangile. Puissions-nous le comprendre dans les moments faciles, dans les moments difficiles, le partager, et le transmettre concrètement. Amen