Ephésiens 2
1 Et vous, qui étiez
morts à cause de vos fautes et de vos péchés 2 où vous marchiez
autrefois, quand vous suiviez le mouvement de ce monde, le prince des
puissances de l’air, l'esprit qui agit encore maintenant en ceux qui sont
endurcis…
3 Nous étions de ce nombre, nous tous aussi, qui nous
abandonnions autrefois aux désirs de notre chair : nous faisions ses volontés,
suivions ses impulsions, et nous étions tout comme les autres, des gamins d’une
nature excessivement emportée.
4 Mais Dieu est riche en miséricorde; à cause du grand
amour dont il nous a aimés,
5 alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il
nous a donné la vie avec le Christ – c’est par grâce que vous avez été sauvés
–,
6 avec lui, il nous a ressuscités et faits asseoir dans
les cieux, en Jésus Christ.
7 Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a
voulu montrer dans les siècles à venir l'incomparable richesse de sa grâce.
8 C'est par la grâce, en effet, que vous avez été sauvés,
par le moyen de la foi; vous n'y êtes pour rien, c'est le don de Dieu.
9 Pas par les œuvres, afin que nul n'en tire orgueil.
10 Car c'est Lui qui nous a faits; nous avons été créés en
Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d'avance afin que nous
y marchions.
14 C'est Lui, en effet, qui est notre paix: de ce qui
était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de
séparation: la haine.
15 Il a aboli la loi et ses commandements avec leurs
observances. Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un
seul homme nouveau, en établissant la paix,
16 et les réconcilier avec Dieu tous les deux en un
seul corps, au moyen de la croix: là, il a tué la haine.
Prédication
Il y a, dans l’épître aux Ephésiens, une phrase qui doit
être chère aux oreilles des enfants de la Réforme, aux Protestants que nous
sommes : « C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la
foi. » C’est là la traduction la plus courante de ce verset, traduction
qui se poursuit par l’affirmation que cette foi – ou cette grâce avant la foi –
est un don de Dieu, que ce salut n’advient pas par les œuvres. Tout cela est,
si j’ose dire, bien de chez nous. Mais en même temps, vous
pouvez trouver pour ces versets des traductions très différentes les unes des
autres. Celle que je vous donne entend être aussi proche que possible du grec. Mais
le grec de ces versets n’est pas simple. Ma traduction porte la trace d’une
double perplexité que je voudrais partager avec vous. Premièrement, perplexité
au sujet de la foi, précisément sur l’expression « par le moyen de la
foi ». Deuxièmement, perplexité sur le salut : sauvé, mais de
quoi ? Ce sera là le plan de cette prédication.
Premièrement donc, la foi. Si c’est bien par grâce que nous sommes sauvés,
que manque-t-il, et pourquoi ajouter la foi ? A qui Dieu la donne-t-il
donc ? Et à quoi correspond-elle ? Dieu la donne à nous,
c'est-à-dire à l’auteur et aux destinataires de la lettre, mais, apparemment,
il ne la donne pas à certains autres. Le monde se partagerait donc entre les
sauvés, un groupe, et les autres, sur un critère avoir ou n’avoir pas reçu la foi. Qu’aura-t-on à se dire, de part
et d’autre d’une foi faisant mur de séparation ? Et lorsque quelqu’un
viendra nous affirmer que Dieu ne lui
a pas donné la foi, qu’aura-t-on à répondre ?
Mais qu’est-ce que la foi ? Une appétence,
donc un sentiment, dont l’être humain n’est pas l’auteur, qui est don de Dieu,
et qui fait que certains récipiendaires spécialement élus se tournent vers
Dieu… pendant que d’autres s’en détournent ? Est-ce cela, la foi ? Un
sentiment profond et inaltérable ? On peut le penser. Mais on ne peut pas bibliquement
le soutenir. Car en tant que sentiment soit disant d’origine divine, cette foi
ne résiste pas vraiment face à certaines passions humaines (lorsque le roi
David, à qui Dieu avait donné la foi, a regardé la belle Bethsabée, femme
d’Urie le Hittite, la foi de David s’est singulièrement délitée… lorsque le
prophète Elie, a reçu les menaces de mort de la part de la reine Jézabel, la
foi que Dieu lui avait donnée s’est évaporée… La foi, un sentiment ? David
et Elie feront, après leurs déconvenues, des expériences personnelles profondément
bouleversantes – initiative de Dieu – qui restaureront en eux un sentiment
d’humilité, de dépendance à l’égard de Dieu, de liberté face aux humains et
d’engagement… sentiment qu’on nomme la foi.
Mais chacun ne vit pas de telles expériences. On
ne peut pas dire de la foi qu’elle est seulement un état d’esprit que Dieu
donne à tous au moment d’expériences extraordinaires, expériences de salut...
Dans Ephésiens 2, ne dire que cela reviendrait à faire de la communauté un
petit groupe d’élus, au langage uniformisé, en somme, une petite secte…
Il y a une autre manière d’envisager la foi, qui
est de dire que la foi est le trésor mis à portée de tous premièrement dans les
Saintes Ecriture et secondement dans les grands textes traditionnels, comme le
Credo, les catéchismes, les textes des grands commentateurs, les propos des
grands prédicateurs. « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent… »
Il y a là un trésor qui est à la portée de tous. C’est un moyen, un moyen que Dieu
emploie pour se faire connaître ; ce moyen est mis à la disposition de
tous. On l’appelle aussi la foi. Ce patrimoine est si ancien, si riche, si
complexe et si beau qu’on peut le dire don de Dieu, même si des milliers
d’hommes nous ont précédés pour le constituer et pour le transmettre.
Par la lecture, par l’étude, par la fréquentation
de ce grand trésor, les yeux de chacun peuvent un jour s’ouvrir, les oreilles
peuvent entendre comme un faible appel, une invitation à changer de vie, à
transformer le monde… par la foi, le
salut étant l’horizon de cette vie. On peut bien dire alors que c’est par le
moyen de la foi qu’on est sauvé.
Alors, la foi est-elle un sentiment intime partagé
par une poignée d’élus ? La foi est-elle le trésor de toute l’Eglise ?
Nous n’allons exclure ni l’un ni l’autre. Nous refusons de trancher.
Deuxième partie de notre
méditation, maintenant, de quoi sommes nous sauvés ? Il faut toujours être
prudent lorsque, Bible en main, on parle de salut. Car le mot salut peut
prendre une bonne dizaine de sens : on peut être sauvé du néant, guéri miraculeusement
d’une maladie, retrouver une terre promise, rebâtir un temple, être libéré d’un
oppresseur, être délivré d’une angoisse existentielle, retrouver la joie
liturgique… et tout cela s’appelle salut. Rien que dans les 13 versets d’Ephésiens
que nous méditons, il y a 5 – au moins – réalités différentes qu’on peut
appeler salut. Chacune de ces 5 réalités peut être vue comme essentielle par tel
petit groupe de personnes ; ce petit groupe emploiera exclusivement le mot
salut pour parler de cette réalité, a tel point qu’il se peut que méfiance,
puis défiance, division, haine s’ensuivent. Dans ces 13 versets :
-
Etre sauvé : ce peut être acquérir une certaine
maîtrise de soi,
-
Etre sauvé : ce peut être être libéré du tourment de
ses fautes,
-
Etre sauvé : ce peut être prendre conscience de
réalités mystiques supérieures (être ressuscité
et être assis dans les cieux en Jésus
Christ ; on peut dans ce registre friser ici la révélation gnostique,
-
Etre sauvé : ce peut être être rendu capable d’œuvres
bonnes (le salut est alors diaconal),
-
Etre sauvé : ce peut être être libéré des
obligations de la Loi (un salut libertaire)…
Et ce n’est sans doute pas sans raisons sérieuses
que l’auteur de l’épître aux Ephésiens, autour de ces idées de salut, emploie
les mots d’orgueil, de haine, de murs de séparation, de mort, et place en face
de ces mots des expressions comme créer
un seul homme nouveau, établir la paix, faire une unité… Il a dû, le
pauvre, assister à des déchirements funestes. Et quand ces déchirements
arrivent, la question qui se pose n’est pas “Qu’est-ce que le salut ?”
mais “Que dis-tu, toi, du salut que proposent tes semblables ?” Et il est
impossible de dire que tout se vaut. Ce n’est pas vrai.
Ce qui est vrai, c’est qu’il y a des manières de
mettre en avant son propre salut qui
sont des manières arrogantes, orgueilleuses, manières qui, parfois, deviennent
violentes, voire meurtrières.
Ce qui est vrai aussi, c’est que tous n’ont
peut-être pas besoin du même salut à tel moment de leur vie, et selon leur
propre caractère.
Que faire, donc, de tous ces gens, de toute cette complexité ?
Comment vivre ensemble alors qu’existe une diversité apparemment
irréconciliable sur l’essentiel ? Le troisième moment de notre méditation
porte sur les derniers mots du texte : « par le moyen de la croix,
là, il a tué la haine ».
Que reste-t-il du ministère public de Jésus de
Nazareth une fois qu’il a été crucifié ? Avoir fini crucifié est si
infâmant que s’il reste quelque chose de ses enseignements et de ses miracles,
ce ne peut être qu’un très faible appel, un discret « Va et fais de
même », appel qui attend, appelle qui espère une réponse.
Et il faut bien dire alors que la foi chrétienne
n’est pas un recueil de vérités qu’on proclame haut et fort, mais un faible
appel auquel humblement on répond, sans rien attendre, ni de reconnaissance, ni
de rétribution.
Sommes-nous de ce bord-là ? Sommes-nous de ce
presque rien d’espérance, et d’engagement pourtant inconditionnel ? Dieu
sonde les reins et les cœurs. Et nous, nous avons à marcher, à vivre notre vie
et notre foi.