Esaïe
6316 C'est que notre Père,
c'est toi! Abraham en effet ne nous connaît pas, Israël ne nous reconnaît pas
non plus; c'est toi, SEIGNEUR, qui es notre Père, notre Rédempteur depuis
toujours, c'est là ton nom.
17 Pourquoi nous fais-tu errer, SEIGNEUR, loin de tes
chemins, et endurcis-tu nos coeurs qui sont loin de te craindre? Reviens, pour
la cause de tes serviteurs, des tribus de ton patrimoine.
18 C'est pour peu de temps que ton peuple saint est entré
dans son héritage; nos agresseurs l'ont écrasé, ton sanctuaire!
19 Et depuis longtemps nous sommes ceux sur qui tu
n'exerces plus ta souveraineté, ceux sur qui ton nom n'est plus appelé. Ah! si
tu déchirais les cieux et si tu descendais, tel que les montagnes soient
secouées devant toi,
641 tel un feu qui brûle des taillis, tel un feu qui fait bouillonner des
eaux, pour faire connaître ton nom à tes adversaires; les nations seraient
commotionnées devant toi,
2 si tu faisais des choses terrifiantes, que nous
n'attendons pas: tu descendrais, les montagnes seraient secouées devant toi.
3 Jamais on n'a entendu, jamais on n'a ouï dire, jamais
l'oeil n'a vu qu'un dieu, toi excepté, ait agi pour qui comptait sur lui.
4 Tu surprends celui qui se réjouit de pratiquer la
justice, ceux qui sur tes chemins se souviennent de toi. Te voilà irrité, car
nous avons dévié; c'est sur ces chemins d'autrefois que nous serons sauvés.
5 Tous, nous avons été comme l'impur, et tous nos actes de
justice, comme les linges répugnants; tous, nous nous sommes fanés comme la
feuille, et nos perversités, comme le vent, nous emportent.
6 Nul n'en appelle à ton nom, nul ne se réveille pour t'en
saisir, car tu nous as caché ton visage, tu as laissé notre perversité nous
prendre en main pour faire de nous des dissolus.
7 Cependant, SEIGNEUR, notre Père c'est toi; c'est nous
l'argile, c'est toi qui nous façonnes, tous nous sommes l'ouvrage de ta main.
Prédication :
Commençons notre méditation avec le dernier verset que nous avons lu dans
le prophète Esaïe : « Et pourtant, Seigneur, notre Père c'est toi ;
c'est nous l'argile, c'est toi qui nous façonnes, tous, nous sommes l'ouvrage
de ta main. » C’est une belle affirmation que bien des croyants sont prêts
à ratifier. Mais, tout de même, cette affirmation appelle une question : comment
le Seigneur façonne-t-il ?
Nous tâchons de répondre à cette question juste en lisant le texte. Nous
voyons que ces gens dont le prophète se fait le porte-voix sont ignorés ou méprisés,
que leur sanctuaire a été détruits, qu’ils errent, abandonnés des hommes et de
Dieu… ils vont d’épreuve en épreuve. Si c’est ainsi que le Seigneur façonne,
cela revient à énoncer qu’il façonne en imposant aux siens toutes sortes
d’épreuves, en restant silencieux lorsqu’ils crient, et plus encore, en attendant
qu’ils s’accusent de fautes, dont ils doivent reconnaître qu’ils sont
incapables de se purifier...
Est-ce ainsi que le Seigneur Dieu façonne ? Le prophète Esaïe est
affirmatif. Pouvez-vous l’être autant que lui ? Et bien, vous le pouvez.
Je ne dis pas que vous le devez, mais vous le pouvez, Bible en main, en vous
réclamant, justement, par exemple, du prophète Esaïe. Mais, tout de même, il
semble que ce Seigneur Dieu soit un rien sadique, et même pervers.
Si c’est ainsi que Dieu façonne, cela conduit plutôt à ne pas croire en
Dieu, et, sans doute, un jour, à le rejeter.
Mais n’avons-nous pas cependant parlé trop vite ? En posant la
question : est-ce ainsi que Dieu façonne, n’avons-nous pas cherché à
énoncer un savoir sur Dieu, alors que le prophète, au nom du groupe qu’il
représente, entreprend de parler à Dieu ? Ces gens, justement, auquel le
prophète s’adresse, dans la situation qui est la leur, pourraient bien être
tentés de tout envoyer balader – à commencer par Dieu. Mais quel serait le Dieu
qu’ils enverraient balader ? Ils seraient tentés d’envoyer balader un Dieu
dont on dit justement que c’est ainsi qu’il façonne, en vous imposant
toutes sortes de malheurs. Ils pourraient même être tentés d’envoyer balader,
avec leur Dieu, ceux qui parlent ainsi de Dieu. Et ils feraient bien !
Avant d’agir peut-être comme eux, repérons – et respectons – que le
prophète Esaïe ne parle pas de Dieu comme on peut parler de Dieu au café du
commerce. Il est toujours très facile de parler de Dieu, de dire des choses sur
Dieu. Ce n’est pas ce que fait le
prophète Esaïe. Il parle à Dieu, au nom du groupe auquel il appartient, dans la
situation de vie qui est la leur.
Pour être le plus clair possible, en matière de foi en Dieu, il ne s’agit
jamais de dire que Dieu est ceci ou cela, qu’il est Père, ou mère, ou quoi que
ce soit d’autre, jamais. En matière de foi en Dieu, il s’agit, dans toute
situation de vie, de dire « Notre Père, c’est toi », de le dire
envers et contre tout, non pas en parlant de Dieu, mais en parlant à Dieu…
envers et contre tout, c'est-à-dire, comme le fait Esaïe, oser peut-être
demander : « Pourquoi nous fais-tu errer ? » ; et, à
l’extrême, comme le fait le Psaume 22, ou le Christ en croix, la foi en Dieu
s’exprime lorsque jaillit ce cri, vers Dieu, mais surtout vers un ciel
désespérément muet : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu
abandonné ? »
Vous le savez bien, nous le savons bien tous, et parfois nous savons bien
l’oublier : la question de Dieu, la question de la foi en Dieu, la
question de la foi, ne se pose réellement que lorsque quelqu’un, s’adressant à
Dieu, crie « Ah, si le ciel se déchirait… », et que le ciel ne se
déchire pas, que ni Dieu ni personne ne répond. C’est ainsi que nous devons
comprendre ce que dit le prophète : « Jamais on n'a entendu, jamais on n'a ouï dire,
jamais l'oeil n'a vu qu'un dieu, toi excepté, agisse pour qui attend après
lui » (Esaïe 64,3). Prenons ici le texte tel qu’il est. Jamais on n’a
entendu dire, jamais on n’a vu un Dieu qui en fasse aussi peu pour son peuple
qui souffre et qui attend. Dieu n’agit pas ! C’est le motif du texte,
justement, l’inaction de Dieu dans le sens où l’on aimerait bien que Dieu
agisse, dans le sens où l’on aimerait bien que son action ait des raisons et
des buts qui nous soient compréhensibles et favorables. Or le prophète Esaïe
affirme que non, et même, il affirme que tant qu’il s’agit de raisons et de
but, il ne s’agit pas de foi en Dieu. Et surtout, surtout, n’allez pas conclure
de cela, comme pour rattraper Dieu, que c’est dans sa faiblesse que Dieu est
puissant, que c’est dans son silence qu’il parle, ou que c’est dans son
inaction qu’il agit. Ces genres d’affirmation ne font qu’augmenter la
jouissance de ceux qui les énoncent, et qu’aggraver la souffrance de ceux qui les
entendent.
La question demeure : est-ce ainsi que le Seigneur façonne ? Après
le premier développement de notre méditation, il serait tentant de répondre par
la négative. Ce n’est pas ainsi que Dieu façonne… nous n’allons pas répondre
ainsi. Ce serait une fois de plus s’exprimer sur Dieu, parler de Dieu, alors
qu’il nous faut parler à Dieu, ou encore parler en Dieu. Le prophète Esaïe, qui
guide jusqu’ici notre méditation, ne parle pas de Dieu, pas plus que Jésus ne
le fait dans l’extrait de Marc que nous avons lu – nous allons venir dans un
instant à cet extrait. Alors, puisqu’il faut répondre à cette question qui nous
poursuit, nous y répondons, à la suite du prophète Esaïe, par l’affirmative. Oui,
c’est ainsi qu’il nous façonne. En substance Esaïe dit ceci : « Cependant,
envers et contre tout, contre toutes les images que nous nous faisons de Dieu,
contre tout ce qu’on nous dit sur Dieu… Seigneur, notre Père, c’est toi ;
c’est nous l’argile – ce n’est pas toi, Dieu, qui est l’argile, c’est nous – et
c’est toi qui nous façonnes – ce n’est pas nous qui te façonnons – nous sommes
l’ouvrage de ta main – et ce n’est pas toi qui est l’ouvrage de nos mains. »
Cette affirmation ne porte pas sur Dieu. Elle est une confession de foi et, en
tant que telle, dans une situation de vie particulière, elle est l’affirmation
d’une décision de vivre. Une confession de foi, c’est l’expression d’une
décision de vivre.
Mais quelle vie ? Quelle vie lorsque vous avez tout perdu, lorsque vos
semblables vous ignorent ou vous rejettent, et lorsque le ciel se tait, quelle
vie ? Une vie éprouvée, une vie obstinée, une vie communautaire.
« Envers et contre tout, notre Père – le mien et le tien – c’est toi, et
ce par quoi il te façonne est aussi ce par quoi il me façonne. » Ainsi
cette confession foi est-elle à la fois un
cri, et un engagement, l’engagement de se tenir proche, justement, au nom de
Dieu et en Dieu, proche de ceux qui, dans des situations parfois épouvantables,
choisissent la vie.
Mais quelle vie ? Une vie d’épreuves, de tristesse et de
déréliction ? Nous n’avons que notre pauvre foi en Dieu à opposer au
silence des plus grandes douleurs. Notre foi, notre espérance et cette
injonction : « Restez éveillés ! »
Veillez, dit notre Seigneur Jésus Christ. Et ce n’est pas une menace ;
ce ne peut pas en être une, car nul ne sait ni le jour ni l’heure. C’est une
promesse. Veillez, ensemble, l’un avec l’autre, l’un pour l’autre ! Car
vous ne savez pas quand le bonheur et la joie vont venir ou revenir, ni même à
quoi ils ressembleront lorsqu’ils viendront.
Mais ils viendront. Amen