1 Corinthiens 9
13 Ne savez-vous pas que ceux qui assurent le service du
culte sont nourris par le temple, que ceux qui servent à l'autel ont part à ce
qui est offert sur l'autel?
14 De même, le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent
l'Évangile de vivre de l'Évangile.
15 Mais moi, je n'ai usé d'aucun de ces droits et je
n'écris pas ces lignes pour les réclamer. Plutôt mourir!... Personne ne me
ravira ce motif d'orgueil!
16 Car annoncer l'Évangile n'est pas un motif d'orgueil
pour moi, c'est une nécessité qui s'impose à moi: malheur à moi si je n'annonce
pas l'Évangile!
17 Si je le faisais de moi-même, j'aurais droit à un
salaire; mais si j'y suis contraint, c'est une charge qui m'est confiée.
18 Quel est donc mon salaire? C'est d'offrir gratuitement
l'Évangile que j'annonce, sans user des droits que cet Évangile me confère.
19 Oui, libre à l'égard de tous, je me suis fait l'esclave
de tous, pour en gagner le plus grand nombre.
20 J'ai été avec les Juifs comme un Juif, pour gagner les
Juifs, avec ceux qui sont assujettis à la loi, comme si je l'étais - alors que
moi-même je ne le suis pas - , pour gagner ceux qui sont assujettis à la loi;
21 avec ceux qui sont sans loi, comme si j'étais sans loi -
alors que je ne suis pas sans loi de Dieu, puisque Christ est ma loi - , pour
gagner ceux qui sont sans loi.
22 J'ai partagé la faiblesse des faibles, pour gagner les
faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver sûrement quelques-uns.
23 Et tout cela, je le fais à cause de l'Évangile, afin d'y
avoir part.
Prédication :
« Je
me suis fait tout à tous, pour en sauver sûrement quelques-uns », nous
venons de lire ce verset, nous l’avons lu aussi d’ailleurs la semaine dernière
– le même texte. Mais, parfois, les réflexions d’une semaine – et le sermon qui
s’ensuit – laissent de côté quelque chose qui, plus tard, semble important.
Nous sommes alors ramenés au texte… et le texte ne nous lâche plus, pas
d’avantage que ne nous lâchent certains de nos interlocuteurs.
« Se
faire tout à tous… qu’est-ce que cela signifie ? »
Nous avons, quelques chapitres
plus loin, dans la même épître de Paul, un verset qui présente presque la même
expression – en langue grecque – et qui dit ceci : « Et quand toutes choses
(auront été soumise au Fils), alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui
lui a tout soumis, pour que Dieu soit tout en tous. » (1 Corinthiens
15,28)
C’est ainsi que Paul imagine la pleine
manifestation de la royauté du Fils, lors du renouvellement de toutes
choses : Dieu sera tout en tous. Ce sont, en grec, les mêmes mots, aux
mêmes cas, que « se faire tout à tous ». Que Dieu soit un jour tout
en tous est une intuition que le prophète Jérémie a eue bien longtemps avant
Paul.
Jérémie le prophète constaté le désastre que les
Babyloniens ont infligé à la Judée. Il a constaté aussi le désastre que les
Judéens, les princes, les partis de Jérusalem, se sont infligé à eux-mêmes,
chaque parti invoquant Dieu pour son propre compte, chaque parti haïssant, et
mettant à mort parfois les prophètes de l’autre parti… Il a constaté un
déliquescence, et a imaginé un renouvellement de l’Alliance. Le renouvellement
de l’Alliance que Jérémie imagine est celui-ci : « 33 (…) - oracle du SEIGNEUR : je déposerai mes
directives (ma Torah, ma Loi) au fond d'eux-mêmes, les inscrivant dans leur
être ; je deviendrai Dieu-pour-eux, et eux, ils deviendront un peuple-pour-moi.
34 Ils ne s'instruiront plus entre compagnons, entre frères,
répétant: «Apprenez à connaître le SEIGNEUR», car ils me connaîtront tous,
petits et grands - oracle du SEIGNEUR. » (Jérémie 31).
Dieu donc, dans cette nouvelle Alliance que Jérémie
imagine, se donne entièrement à chaque être humain, donne sa Loi, sa réalité
humaine, sa vie, à chaque être humain. De sorte que la Loi de Dieu, amour de
Dieu et l’amour du prochain, seront tout entiers pleinement intégrés,
pleinement mis en œuvre, par chaque être humain.
Sauf que, lorsque nous parlons de Jérémie, c’est
Dieu qui sera tout en tous. Notre interrogation porte sur Paul. Paul
écrit : « Je me suis fait tout à tous… » Après avoir médité sur
Jérémie et la forme nouvelle de l’Alliance, nous pouvons maintenant méditer sur
la relation de Paul avec les Corinthiens. Paul a tout donné de lui-même, ses
certitudes, ses doutes, sa foi en Christ, son idée de liberté. Il a tout donné.
A Corinthe, il y avait, dans la communauté chrétienne, des gens instruits et
des gens sans instruction, des riches et des pauvres, des gens d’origine
grecque ou païenne, et d’autres d’origine juive, des gens pétris de certitudes
et d’autres rongés par le doute… Paul s’est adressé à chacune et chacun à son
propre niveau, dans sa propre situation, avec ses propres mots, dans le plus
profond respect pour dire…
Pour dire quoi ? Pour dire à chacun ce que
chacun avait envie d’entendre ? Que Dieu l’aime tel qu’il est, etc. ?
Certainement pas ! Pour dire à chacun l’Evangile. Mais quoi,
l’Evangile ? La grâce divine que Dieu fait en Christ à l’humanité tout
entière ? Soit… mais infiniment plus. L’annonce gratuite de cette grâce,
qui n’appelle aucune rétribution de celui qui l’annonce, et qui appelle celui
qui la reçoit à une gratuite mise à disposition de soi pour tous. Qui appelle à
ne pas prendre sa propre parole pour la Parole divine, sa propre situation pour
un exemple, son propre malaise pour un drame cosmique… qui appelle à ne pas
prendre sa propre manière de célébrer pour la seule qui plaise à Dieu… qui
appelle à écouter, et à interpeler s’il le faut, à consoler s’il le faut,
toujours au nom de Dieu, jamais deux fois de la même manière, dans chaque
situation.
Annoncer l’Evangile et se faire gratuitement
serviteur non pas de tous, mais de chacune et chacun, c’est une seule et même
chose pour Paul. Il se fait tout entier à tous, il se consacre, tout entier, chaque
fois, à chacun et à tous.
Mais ça n’est pas tout. Lisons encore : « Je
me suis fait tout à tous pour en sauver sûrement quelques-uns. » Voilà…
Paul annonce gratuitement l’Evangile, il n’exige aucune rétribution, il se fait
tout à tous, mais il semble toutefois qu’il ait un but : en sauver
quelques-uns.
C’est étonnant, d’ailleurs, que dans un premier
temps, Paul espère en gagner le plus grand nombre (v.19), et qu’il espère un
peu plus tard en sauver seulement quelques-uns (v.22). La prédication d’un
prédicateur comme Paul devait effectivement, généreuse, gratuite, ouverte,
peut-être, gagner des foules mais, sur le fond, s’agissant de l’exigence
radicale du don total et gratuit de soi, qui – semble-t-il pour Paul –
correspond au salut, c’est une toute autre affaire. Seuls quelques-uns se
feront tout à tous, seuls quelques-uns suivront le chemin le plus aride, le
plus difficile. Seuls quelques-uns se feront solitaires, voyageurs, écrivains
de lettres. Rares sont ceux qui consentiront pour eux-mêmes totalement à
l’extrême faiblesse de l’Evangile. Et je crois que même un serviteur de Dieu de
la trempe de Paul aimerait bien être certain qu’il ne prêche pas totalement
pour rien, totalement dans le désert…
Mais qu’en sait-il au fond, lui qui n’est qu’un
écrivain qui ne sait même pas ce que ses lettres deviennent ?
« Je me suis fait tout à tous pour en
sauver sûrement quelques-uns » Nous ne pouvons pas en vouloir à Paul de ce
qui est, peut-être, un moment de faiblesse, un reste de prétention ou un léger
manque de foi. Nous ne valons guère mieux que lui, nous sommes vis-à-vis de
Paul dans une infinie reconnaissance. Il n’aurait exigé de nous aucune
rétribution. Et il continue de nous tourmenter, d’interroger notre foi, de nous
annoncer l’Evangile dans toute sa radicalité.
Nous revenons encore un instant au texte grec.
Est-ce vraiment écrit « sûrement » ? Ce pourrait-être « du
moins »… pour en sauver du moins quelques-uns. C'est-à-dire, peut-être
quelques-uns… Voyez-vous, Paul n’est peut-être pas si certain que cela d’en
sauver quelques-uns. Le traducteur, lui, semble plus certain que Paul. Alors,
qui manque de foi ? Paul, son traducteur, ou nous-mêmes ?
Sœurs et frères, quoi qu’il en soit de Paul,
souvenons-nous que Christ seul est notre salut. Aspirons à être gratuitement
serviteurs les uns des autres. Demandons à notre Seigneur de faire grandir en
nous la foi. Amen
Et que si c'est pas sûr c'est quand même peut-être... |