Matthieu 19
29 Et quiconque aura laissé maisons, frères, sœurs, père,
mère, enfants ou champs, à cause de mon nom, recevra beaucoup plus et héritera
la vie éternelle.
30 Beaucoup de premiers seront derniers et beaucoup de
derniers, premiers.
Matthieu 20
1 «Le Royaume des
cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand
matin, afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2 Il convint avec les ouvriers d'une pièce d'argent pour
la journée et les envoya à sa vigne.
3 Sorti vers la troisième heure, il en vit d'autres qui se
tenaient sur la place, sans travail,
4 et il leur dit: ‹Allez, vous aussi, à ma vigne, et je
vous donnerai ce qui est juste.›
5 Ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure,
puis vers la neuvième, il fit de même.
6 Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva
d'autres qui se tenaient là et leur dit: ‹Pourquoi êtes-vous restés là tout le
jour, sans travail?› -
7 ‹C'est que, lui disent-ils, personne ne nous a
embauchés.› Il leur dit: ‹Allez, vous aussi, à ma vigne.›
8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant:
‹Appelle les ouvriers, et remets à chacun son salaire, en commençant par les
derniers pour finir par les premiers.›
9 Ceux de la onzième heure vinrent donc et reçurent chacun
une pièce d'argent.
10 Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu'ils
allaient recevoir davantage; mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce
d'argent.
11 En la recevant, ils murmuraient contre le maître de
maison:
12 ‹Ces derniers venus, disaient-ils, n'ont travaillé
qu'une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du jour
et la grosse chaleur.›
13 Mais il répliqua à l'un d'eux: ‹Mon ami, je ne te fais
pas de tort; n'es-tu pas convenu avec moi d'une pièce d'argent?
14 Emporte ce qui est à toi et va-t'en. Je veux donner à ce
dernier autant qu'à toi.
15 Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux de mon
bien? Ou alors ton œil est-il mauvais parce que je suis bon?›
16 Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers
seront derniers.»
17 Sur le point de monter à Jérusalem, Jésus prit les Douze
à part et leur dit en chemin:
18 «Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme
sera livré aux grands prêtres et aux scribes; ils le condamneront à mort
19 et le livreront aux païens pour qu'ils se moquent de
lui, le flagellent, le crucifient; et, le troisième jour, il ressuscitera.»
20 Alors la mère des fils de Zébédée s'approcha de lui,
avec ses fils, et elle se prosterna pour lui faire une demande.
21 Il lui dit: «Que veux-tu?» - «Ordonne, lui dit-elle, que
dans ton Royaume mes deux fils que voici siègent l'un à ta droite et l'autre à
ta gauche.»
Prédication :
Commençons avec ceci que Jésus annonce à ses disciples au sujet du Fils
de l’homme : « …le troisième jour, il ressuscitera ». Nous
savons tous ce qu’il en sera de la fin du ministère de Jésus, de sa Passion, de
sa mort, et de sa résurrection. Mais, les Douze, lorsque Jésus leur annonce le
sort du Fils de l’homme, que comprennent-ils de tout cela ?
A ce moment du récit de Matthieu, ceux qui accompagnent Jésus, les
Douze et la mère de deux d’entre eux, ne comprennent sans doute pas grand-chose.
Ils en sont plutôt à se demander s’ils seront bien récompensés pour avoir suivi
Jésus. Une rétribution, c’est ce qu’ils attendent, ici-bas et dans l’au-delà. Jésus
ne les détrompe d’ailleurs aucunement : rétribution il y aura. Qu’en
sera-t-il de cette rétribution ?
C’est pour répondre à cette question que Jésus propose une parabole,
‘les ouvriers de la 11ème heure’ que seul Matthieu a recueillie.
Il est constamment question de rétribution
dans cette parabole. Mais il n’est question qu’une seule fois d’un prix convenu
d’avance : le maître de maison discuta avec les ouvriers embauchés les
premiers, et il convint avec eux du prix d’un denier, salaire parfaitement correct,
on pourrait dire minimum légal, pour une journée de travail. Tous les autres
ouvriers qu’il appelle par la suite, il les invite à aller à la vigne, et il leur
promet de leur donner ce qui est juste. Répondant à l’appel, sans aucune
discussion préalable, ils y vont.
Tous ces ouvriers étaient des
journaliers. Les journaliers se tenaient sur la place publique, offrant leurs
services, le plus souvent pour des travaux de force. Ceux qui avaient besoin de
main d’œuvre les prenaient pour une journée. On peut évidemment penser – sans
doute d’ailleurs ont-ils tous ainsi pensé – que chacun serait payé
proportionnellement à son temps de travail. Alors l’échelle des salaires entre
ces hommes aurait été de 1 à 12. Qui se serait ému de ce que certains auraient
touché 1/12ème du salaire d’une journée ? Qu’achète-t-on, et
que mange-t-on avec 1/12ème du salaire d’une journée payée au
minimum en vigueur ?
Lorsque le maître de maison commande qu’on rémunère en premier les
derniers embauchés, c’est juste un artifice narratif, pour laisser les
lecteurs, s’imaginer que les premiers embauchés vont toucher 12 fois plus que
les derniers… et qu’ils vont être payés 12 fois au-dessus du taux en vigueur.
Mais, cette rétribution considérable aurait-elle été plus juste que
celle qui fut mise en œuvre ? Elle aurait seulement satisfait un certain
sens de l’arithmétique, et une certaine idée de l’équivalence travail salaire
que nous appelons parfois justice.
Dans ce moment d’évangile où chacun s’intéresse à sa petite rétribution
personnelle, qu’est-ce qui serait juste ? Que Jacques et Jean soient assis
l’un à la droite et l’autre à la gauche de Jésus dans son royaume, serait-ce
juste ? Pourquoi eux plutôt que d’autres ? Que ceux qui auraient tout
abandonné à cause du nom de Jésus héritent la vie éternelle, serait-ce
juste ? Que savons-nous de ce qu’abandonnent ceux qui suivent Jésus, et
que savons-nous nous-mêmes de ce que nous abandonnons ?
Oui, c’est bien à un moment précis de son ministère que Jésus raconte
cette parabole. Il est entouré, voire harcelé, par des gens qui veulent le
suivre, mais qui voudraient savoir ce que cela leur rapportera, ou qui veulent
être certains que la respectabilité d’un disciple et l’honneur qu’il doit
recevoir sont proportionnels à son ancienneté dans la fonction… Et bien, à tous
ces gens, Jésus annonce que oui, rétribution il y aura et que, quelle qu’elle
soit, elle sera juste. Nous devons considérer, parce qu’il s’agit d’une
parabole de Jésus, que la rétribution de tous les ouvriers, sans exception, est
une rétribution juste. Et comme Jésus poursuit son enseignement en annonçant sa
Passion, nous devons aussi considérer aussi sa Passion est la rétribution de
son saint ministère, et que c’est une rétribution juste.
A ce point de notre méditation, je
partage avec vous un souvenir récent. Méditant sur ce texte, et parti dans
Paris faire quelques achats, je passe par hasard rue Geoffroy l’Asnier (Paris 4ème),
où se trouve le mémorial parisien de la Shoah ; perpendiculaire à cette
rue, il y a l’allée des Justes. Les noms des Justes de France sont gravés là. J’y
prends le temps du recueillement. Je prends aussi le temps de rechercher
Madeleine Davaine, et Madeleine Dietz. Je suis petit-fils de l’une et
petit-neveu de l’autre… Tous les gens dont les noms sont gravés sur ce mur ont
pris des risques mortels pour sauver des Juifs. Quelle a été leur
rétribution ? Si l’on considère le titre qui leur a été conféré, pour
tous, la rétribution a été la même. Qu’ils aient caché quelqu’un pendant
quelques heures ou pendant quelques années, qu’est-ce que ça change, lorsqu’il
s’agit de sauver une vie ? Qu’ils aient sauvé une personne, ou dix, qu’est-ce
que ça change ? Qu’ils aient payé leur engagement de leur vie ou qu’ils
aient vécu longtemps après la guerre, qu’est-ce que ça change s’agissant de
l’engagement lui-même ? Rien. Et s’agissant de la rétribution ?
Va dans la vigne, sauve ces gens, dit la voix de la conscience ! La
rétribution de souffrance de celui qui savait ce qu’il risquait en répondant à
l’appel est-elle moins juste que la rétribution de celui qui a la chance de
survivre à son engagement ? Seul celui qui répond à l’appel a le droit de se
prononcer sur sa rétribution. Mais, de fait, la question ne se pose pas, ne se
pose jamais lorsqu’on décide de répondre à l’appel : va dans la vigne,
pour la vigne, pour la vie ! L’appel est le même, impératif, et la réponse
à l’appel ne souffre ni négociation, ni délai. Répondre à l’appel et y répondre
de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force,
c’est cela seul qui importe. Et alors, la rétribution sera juste, comme nous
l’avons dit déjà, quelle qu’elle soit.
Alors, la Passion de notre Seigneur Jésus Christ, cette Passion qu’il
annonce à ses disciples, sera-t-elle la juste rétribution de son Saint
ministère ? Nous l’avons dit. Et la résurrection, alors, qu’en
dirons-nous, puisque Jésus l’annonce aussi ? La résurrection est-elle la
juste rétribution du Saint ministère et de la Passion de notre Seigneur ?
Il ressuscitera, avons-nous lu. Mais c’est Matthieu 20 que nous lisons, et pas
Matthieu 28 (Tout pouvoir m’a été donné…), ni Philippiens 2 (C’est pourquoi
Dieu l’a exalté et lui a donné le Nom qui est au-dessus de tout nom). Nous
lisons Matthieu 20, et lorsque nous le lisons finement, nous découvrons
ceci : l’annonce que fait Jésus c’est que le Fils de l’homme sera ressuscité, ou encore il sera relevé. Le
verbe est à la voix passive. Le Seigneur, le Fils de l’homme, ne se relèvera
pas tout seul. A la résurrection, qui va relever le Seigneur, qui va le ramener
de la mort à la vie ? L’ange, qui descend du ciel, roule pierre et
s’assied dessus ? Dieu lui-même… Dieu qui n’a pas besoin de nos services.
Mais répondre Dieu n’épuise pas la question, surtout lorsqu’on vient juste
d’entendre et de méditer la parabole des ouvriers de la 11ème heure.
Dans un certain sens, celui de cette parabole, le Fils de l’homme –
Christ – ne se relèvera pas tout seul. La vigne ne s’entretiendra pas toute
seule si personne ne répond à l’impératif d’y aller, impératif assorti d’une
promesse : « Je vous donnerai ce qui est juste ». La vigne est une
allégorie de la vie. La vie d’un être humain dans la détresse ne peut pas
continuer si personne ne répond à l’appel. La vigne est aussi une allégorie de
l’Eglise, et l’Eglise ne peut pas continuer en tant qu’Eglise du Christ vivant
si personne ne répond à cet appel qui n’est assorti que d’une seule
promesse : « Je vous donnerai ce qui est juste. »
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