Orlando |
Luc 7
11 Or, Jésus se rendit ensuite dans une ville appelée Naïn.
Ses disciples faisaient route avec lui, ainsi qu'une grande foule.
12 Quand il arriva près de la porte de la ville, on portait
tout juste en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve, et une
foule considérable de la ville accompagnait celle-ci.
13 En la voyant, le Seigneur fut pris de pitié pour elle et
il lui dit: «Ne pleure plus.»
14 Il s'avança et toucha le cercueil; ceux qui le portaient
s'arrêtèrent; et il dit: «Jeune homme, je te l'ordonne, réveille-toi.»
15 Alors le mort s'assit et se mit à parler. Et Jésus le
rendit à sa mère.
16 Tous furent saisis de crainte, et ils rendaient gloire à
Dieu en disant: «Un grand prophète s'est levé parmi nous et Dieu a visité son
peuple.»
17 Et ce propos sur Jésus se répandit dans toute la Judée
et dans toute la région.
Luc 7
36 Un Pharisien l'invita à manger avec lui; il entra dans
la maison du Pharisien et se mit à table.
37 Survint une femme de la ville qui était pécheresse; elle
avait appris qu'il était à table dans la maison du Pharisien. Apportant un
flacon de parfum en albâtre
38 et se plaçant par-derrière, tout en pleurs, aux pieds de
Jésus, elle se mit à baigner ses pieds de larmes; elle les essuyait avec ses
cheveux, les couvrait de baisers et répandait sur eux du parfum.
39 Voyant cela, le Pharisien qui l'avait invité se dit en
lui-même: «Si cet homme était un prophète, il saurait qui est cette femme qui
le touche, et ce qu'elle est: une pécheresse.»
40 Jésus prit la parole et lui dit: «Simon, j'ai quelque
chose à te dire.» - «Parle, Maître», dit-il. -
41 «Un créancier avait deux débiteurs; l'un lui devait cinq
cents pièces d'argent, l'autre cinquante.
42 Comme ils n'avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce
de leur dette à tous les deux. Lequel des deux l'aimera le plus?»
43 Simon répondit: «Je pense que c'est celui auquel il a
fait grâce de la plus grande dette.» Jésus lui dit: «Tu as bien jugé.»
44 Et se tournant vers la femme, il dit à Simon: «Tu vois
cette femme? Je suis entré dans ta maison: tu ne m'as pas versé d'eau sur les
pieds, mais elle, elle a baigné mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec
ses cheveux.
45 Tu ne m'as pas donné de baiser, mais elle, depuis
qu'elle est entrée, elle n'a pas cessé de me couvrir les pieds de baisers.
46 Tu n'as pas répandu d'huile odorante sur ma tête, mais
elle, elle a répandu du parfum sur mes pieds.
47 A cause de cela je te déclare que ses péchés si nombreux ont
été pardonnés parce qu'elle a montré beaucoup d'amour. Mais celui à qui on
pardonne peu montre peu d'amour.»
48 Il dit à la femme: «Tes péchés ont été pardonnés.»
49 Les convives se mirent à dire en eux-mêmes: «Qui est cet
homme qui va jusqu'à pardonner les péchés?»
50 Jésus dit à la femme: «Ta foi t'a sauvée. Va en paix.»
Prédication :
Je voudrais vous proposer de relire
un verset de ce texte, le 47ème. Vous l’avez sous les yeux et c’est
tout à fait volontairement qu’il est en italiques et sans ponctuation. Relisez-le avec
les mêmes mots, mais juste en changeant l’intonation et la ponctuation.
A cause de
cela (virgule), je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés,(virgule - en prenant un peu de temps pour réfléchir à ce qui a été dit et à ce qui va être dit) parce qu'elle a montré beaucoup d'amour. Et
maintenant, sans la seconde longue virgule, A cause de
cela (virgule), je te déclare que ses péchés si
nombreux ont été pardonnés parce qu'elle a montré beaucoup d'amour.
Ce sont les mêmes mots. Mais la
phrase n’a pas le même sens. Dans le premier cas, Jésus déclare que les
nombreux péchés de cette femme ont été pardonnés, et fait cette déclaration, à
l’adresse de Simon le pharisien, parce que la femme a montré beaucoup d’amour
et que lui reste prisonnier de sa pensée obtuse. Dans le deuxième cas, Jésus
déclare que les nombreux péchés de cette femme ont été pardonnés en faisant de
l’amour que cette femme a montré la raison du pardon qu’elle a obtenu.
Confronté à ce verset, le monde des
traducteurs – et des traductions – de la Bible est divisé en deux camps. Dans
l’un de ces camps, le pardon des péchés semble inconditionnel et l’amour est
conséquence du pardon, dans l’autre camp, le pardon est conditionnel et l’amour
est condition du pardon. N’allez surtout pas croire que les traducteurs
protestants sont tous dans un camp, et les traducteurs catholiques sont tous
dans l’autre camp. Vous vous tromperiez. Nous n’allons pas faire le procès des
traducteurs… Nous allons choisir : le contexte ne nous laisse pas
d’alternative… et le contexte est celui de la gratuité du pardon.
Pour être bien certains que le
contexte est celui de la gratuité, il nous suffit de relire le récit de
résurrection du fils unique d’une veuve, à l’entrée de la ville de Naïn. Jésus
passe par là et croise le cortège funéraire, il est ému. Personne ne lui a rien
demandé, ni le cortège, ni la mère, ni le mort. Jésus agit sans autre raison
que son émotion et son bon vouloir, sans investigation aucune sur la dignité ou
la réputation du fils ou de la mère… Jésus agit totalement gratuitement, et
c’est cela qui importe.
Le contexte est bien un contexte de
gratuité… l’ambiance est à la grâce. Nous ne pouvons comprendre ce verset que
d’une seule manière. A cause de cela, je te déclare que ses péchés si nombreux
ont été pardonnés, (et je te dis tout cela) parce qu’elle a montré beaucoup
d’amour. Cette femme a montré beaucoup d’amour dans cette scène – et nous ne
savons – et nous n’avons pas à savoir – c’est sans intérêt que nous sachions –
quels sont les si nombreux péchés de cette femme… Qu’ils aient été pardonnés,
cela doit nous suffire. Pourquoi ont-ils été pardonnés ? Parce que tel est
le bon vouloir de Dieu, tout comme il en fut du bon vouloir de Jésus lorsqu’il
ressuscita le fils de la veuve, parce que tout est grâce, et depuis toujours.
Les péchés de cette femme ont été gratuitement et inconditionnellement
pardonnés, depuis toujours. Point barre !
Vous n’allez évidemment pas conclure
de ce point barre qu’il est indifférent de mener une vie de péché ou une vie
sainte. Vous allez plutôt conclure de ce point barre que les péchés du
pharisien ont été pardonnés, depuis toujours, tout autant que ceux de la femme.
Vous allez conclure aussi que ceux qui assistent à ce festin se fourvoient
lorsqu’ils se mettent à grommeler sur le fait que Jésus pardonne les péchés…
Jésus ne les pardonne pas ! Jésus proclame qu’ils ont été
inconditionnellement et totalement pardonnés, par Dieu, depuis toujours, ceux
de la femme, ceux du pharisien, ceux des convives... Et il ne doit y avoir
aucune discussion sur les raisons de ce pardon divin. La question qui se pose
est celle de la réception humaine de ce divin pardon.
A-t-on un signe que ce pardon a été
reçu ? La minuscule parabole que Jésus raconte suggère quelque chose. Celui
qui aime le plus, celui qui montre le plus d’amour, c’est celui a qui il a été
le plus pardonné. La réception humaine du pardon divin se voit à des gestes
d’affection et de reconnaissance envers celui qui signifie et incarne ce divin
pardon. C’est par des gestes attentionnés, tendres et intimes, spectaculaires
et finalement inconvenants dans les circonstances dans lesquels ils ont lieu,
que cette femme manifeste à Jésus sa réception du divin pardon.
Mais, alors que la femme a prodigué
à Jésus un traitement extraordinaire, le pharisien, lui, s’est contenté d’un
accueil ordinaire. Non que de par Dieu ses nombreux péchés à lui aient été
pardonnés en moins grand nombre que ceux de la femme. Toute parabole a des
limites… La perfection du pardon divin ne sépare pas le pharisien et cette
femme. Ce qui les sépare, c’est la réception de ce pardon. Les certitudes négatives
qu’a ce pharisien sur cette femme, et les doutes qu’il émet sur la qualité de
prophète de Jésus, laissent à penser qu’il a des idées bien arrêtées sur ce que
doivent ou devraient être ses contemporains, qu’il a aussi des idées bien
arrêtées sur ce qu’il est lui-même, et qu’il a enfin des idées très arrêtées
sur la manière d’obtenir ce pardon – on n’imagine pas qu’il doute une seule
seconde de l’avoir conquis et mérité…
En fait, il y a un certain état de la pensée et une certaine forme de
la conscience de soi, une certaine manière de se surestimer et de sous-estimer
autrui, qui vous rendent presque totalement imperméables à la réalité du pardon
divin. Et cette sorte d’imperméabilité ne concerne pas exclusivement les
pharisiens… Luc, une fois encore – pour ne pas dire comme toujours – dans ce
moment d’évangile qu’il est le seul à rapporter, interpelle finement et
profondément toutes les bonnes consciences, les bonnes consciences
pharisiennes, et les bonnes consciences chrétiennes.
Quoi qu’il en soit, cette femme
saisit ce pardon, elle le fait sien, elle y donne foi – nous allons y revenir.
Alors, bravant les regards hostiles et les pensées silencieuses mais qui tuent,
elle s’en vient publiquement honorer celui qui, pour elle, a signifié et
incarne ce pardon. Or, comme les gens bien murmurent et grommellent, Jésus
rappelle clairement ce qu’il en est du pardon divin. Le propre du pardon divin,
nous l’avons dit déjà, c’est qu’il est inconditionné, sans mesure et éternel.
Dieu pardonne, sans conditions, sans raisons, par amour. C’est une affirmation
qu’il y a dans ce texte. Il y a une autre affirmation : « Ta foi t’a
sauvé ». Il y a le pardon de Dieu ; il y a la foi de la femme. Et
c’est bien la foi de cette femme qui l’a sauvée, elle. C’est ce que Jésus
déclare.
Est-ce à dire que la foi de cette
femme serait l’œuvre qu’elle accomplit et par laquelle elle serait
sauvée ? Sauvée de quoi ? Sauvée de la punition de ses péchés dans
l’éternité ? Certainement pas. Le divin pardon suffit pour cela. Le salut
qui est évoqué ici est un salut pour ici-bas, pour maintenant. Cette femme est
sauvée du souci de la condamnation silencieuse de ses contemporains, sauvée de
l’idée bien répandue que seuls ceux qui en sont dignes peuvent s’approcher de
Dieu, sauvée aussi d’une certaine forme de l’ingratitude envers Dieu. Et c’est
sa foi à elle, sa confiance dans le divin pardon, qui la sauve, comme le lui
dit Jésus : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix ! ».
Et maintenant, que ferons-nous ? Nous avons à nous souvenir de
celles et ceux qui ont incarné pour nous le pardon divin. Nous avons à leur
témoigner notre reconnaissance. Et s’ils ne sont plus là comme Jésus était là
pour cette femme, nous pouvons toujours à notre tour signifier ce pardon, tout
comme Jésus le signifia ce jour-là.
Que Dieu nous soit en aide. Amen