dimanche 15 mai 2016

Sur la sanctification et l'observance (Lévitique 20,7-8)


Lévitique 20

7 Sanctifiez-vous donc pour être saints, car c'est moi, le Seigneur, votre dieu.
8 Gardez mes lois et faites-les. C'est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie.

Disons tout de suite qu'il sera très important, s'agissant de ces deux versets, et dans le choix d'une traduction de la Bible, de bien vérifier que la distinction est bien faite entre "garder" et "faire" - c'est à dire mettre en pratique - les lois ou commandements, et de bien vérifier aussi que même s'il l'être humain, et les communautés, sont appelés à se sanctifier et à être saints, à être sur un chemin de sainteté, c'est bien le Seigneur - Le Saint Unique béni soit-il - qui sanctifie...

Dans cet établissement, quelque part au sud de Brooklyn, on est "shomer shabbat", on garde le shabbat. C'est un commandement important de la Torah que garder le sabbat. Mais est-ce seulement littéralement qu'on garde un commandement ? Les récents débats sur le sujet de la bénédiction dans l'EPUdF ont permis de mettre en évidence que les "contre" se réclament très volontiers de Lévitique 18 mais jamais de Lévitique 20. Chers lecteurs, la différence entre Lévitique 18 et Lévitique 20 c'est que le chapitre 18 déclare que toutes sortes de choses sont des abominations aux yeux de Dieu, et que Lévitique 20 commande la mise à mort de ceux qui commettraient ces mêmes choses. Obéir ? J'ose espérer que, délibérément, mes lecteurs transgressent les commandements de Lévitique 20... et que c'est en tant que transgresseurs conscients et responsables qu'ils se présentent devant Dieu.

7 Sanctifiez-vous donc pour être saints, car c'est moi, le Seigneur, votre dieu.
8 Gardez mes lois et faites-les. C'est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie.

Mais de quelles lois parle-t-on ? Pas seulement les lois du 20ème chapitre du Lévitique. Toutes les lois de Moïse. Ceci dit, ces deux versets sont dans le 20ème chapitre du Lévitique et ce n’est certainement pas par hasard qu’ils ont été placés là…  Qu’y a-t-il avant ces versets, qu’y a-t-il a près eux ?
Avant ces versets, il est interdit de sacrifier à ses propres enfants à un dieu. Le sacrifice d’enfants est attesté dans le Proche Orient ancien, il soulève chez les Hébreux, et chez nous aussi, une unanime et constante réprobation…
Mais après ces versets, il y a un catalogue d’interdictions ; maudire ses propres parents est interdit ; toutes sortes de conduites sexuelles sont passées en revue, interdites, et pénalisées. Va-t-on pour ces interdits recueillir la même unanime et constante réprobation que pour les sacrifices d’enfants ? Ce n’est pas vraiment sûr…
Ajoutons que, pour toute transgression de ces lois, la peine est la même : la mort. La mort pour avoir sacrifié son enfant à un dieu, la mort pour avoir maudit père et mère, la mort pour toutes les formes possibles de l’adultère, la mort pour à peu près toutes les pratiques sexuelles particulières – sans rien envisager sur le consentement des gens, la mort, identiquement prescrite pour d’éventuels agresseurs, autant que pour leurs victimes…
Sanctifiez-vous, est-il donc commandé avec cela. La sanctification requiert-elle qu’on surveille les gens, et la sanctification passe-t-elle par le meurtre ?

Les deux versets du Lévitique que nous méditons sont inclus entre deux collections de lois, l’une portant sur des agissements au sujet desquels nul ne transige, l’autre porte sur des agissements au sujet desquels les appréciations vont massivement diverger. Quant à la même peine de mort qui viendrait sanctionner aveuglément toutes les transgressions, on se demande quel insensé oserait s’en satisfaire et la mettre en œuvre...
De fait, on ne va pas lire telle loi comme telle autre, et on ne va pas lire telle loi toujours de la même manière. Dans les versets que nous méditons, il est écrit de garder les lois, et de les faire. Le mot hébreu ici traduit par loi est associé à l’idée de perpétuité, si bien qu’un commandement de la loi est là, bien là, tel qu’il est, pour toujours. Mais ce qu’on fait, la pratique, cela doit être fait maintenant, aujourd’hui, et refait, encore, demain, un autre jour, qui n’est pas comme aujourd’hui. Or faire, c’est transformer, tout comme fait Dieu aux premiers jours de la création : il transforme le chaos et il l’oriente vers la vie. Faire le commandement, le mettre en pratique, c’est transformer le chaos, pour orienter ce qu’on peut vers la vie.

S’agissant des commandements bibliques, il s’agit donc bien, comme nous l’avons lu, de les garder, et de les faire. Garder, et faire : cela fait bien deux verbes, avec un écart entre eux.

Sanctifiez-vous, est-il écrit, c’est moi le Seigneur, votre dieu. Et nous avons bien compris déjà que ceux qui veulent se sanctifier ne pourront pas se contenter de faire seulement comme c’est écrit.
Oui, la première étape, sur un chemin de sanctification, c’est de repérer justement qu’il y a toujours un écart entre ce qui est prescrit et ce qui est à faire ; cet écart est celui qui existe entre le toujours et le maintenant, ou entre la fermeture et l’ouverture, entre la délibération et l’action, entre but et le fruit, ou entre la mort et la vie. C’est toujours dans cet écart que nous évoluerons, tant que nous serons vivants. Il nous faut vivre dans cet écart, dans cet espace qui existe toujours entre garder le commandement et le faire.
Sur un chemin de sanctification, seconde étape, il va nous falloir tout à la fois garder les lois, et les faire, les mettre en pratique : c'est-à-dire examiner, délibérer, choisir, agir. Nous devons choisir ce que nous allons faire. Dans la tradition qui est la nôtre, notre choix est nourri par notre connaissance, par notre étude des Ecritures, et, comme pour tout le monde, par notre appréciation des circonstances. Nous ne pouvons pas exclure que ce qui est à faire puisse correspondre littéralement à un commandement biblique. Mais nous ne pouvons pas non plus imposer a priori cette correspondance littérale. Si nous imposons a priori une correspondance littérale entre un commandement biblique et  notre action, nous refermons l’espace entre « garder les lois » et « les faire », nous refermons de fait l’espace de la sanctification. Si nous refermons l’espace de la sanctification, nous désobéissons au commandement qui nous enjoint de nous sanctifier. Pour le dire encore plus clairement, ceux qui s’imposent a priori une obéissance littérale aux commandements, et qui l’imposent à autrui, n’ont pas le Seigneur pour dieu, mais… la lettre du commandement.
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Vient une troisième étape de la sanctification, sous la forme d’une affirmation : « C’est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie. » en lisant cela, nous sommes tentés de nous dire que si c’est finalement le Seigneur qui nous sanctifie, il n’est pas besoin que nous étudiions la Bible, ni que nous délibérions avant d’agir… Oui, le Seigneur sanctifie certainement, déclare saints, parfaits, purs, honorables, des paroles et des actes commis par des ignorants, par des êtres que nous méprisons, par des gens qui ne le connaissent pas ni ne veulent le connaître. Mais le Seigneur est Le Seigneur, et lui seul sait qui sont les humains. A nous qui ne sommes que des humain et qui avons hérité de ces Saintes Ecritures, il est commandé de nous sanctifier, comme nous l’avons vu déjà, et de laisser le Seigneur nous sanctifier. C’est dire que nos paroles et nos actes, tous, sans exception, doivent être remis à Dieu. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, de nous-mêmes, nous prononcer sur la portée ultime même des meilleures de nos actions. C’est bien à nous de les faire, et le Seigneur seul les sanctifiera et nous sanctifiera. Même notre obéissance aux commandements les plus beaux, comme celui de l’amour du prochain, nous ne pouvons que la faire, et c’est le Seigneur seul qui peut la sanctifier. Quant au choix que nous faisons parfois délibérément de ne pas obéir à tel ou tel commandement de la Bible, il appartient encore à notre Seigneur de nous sanctifier, de le sanctifier, ou pas.

De le sanctifier, de nous sanctifier… ou pas. Mais alors, ne vient-il pas en nous comme une sorte d’inquiétude ? Nous avons étudié, réfléchi, choisi, agi, et nous ne savons pas si nous avons bien fait, bien fait dans le sens où ce que nous avons fait protège la vie, ou la restaure, lui permet de s’épanouir. Ce que nous éprouvons n’est pas le doute violent des temps de crise, ni la conscience douloureuse de ceux qui savent qu’ils ont failli. Sur le chemin de notre sanctification il nous reste toujours cette question : le Seigneur nous a-t-il sanctifiés ? Et bien cette question n’est pas séparable de la foi, parce que l’incertitude qu’elle traduit n’est pas séparable de la foi. Croire, c’est toujours se présenter incertain devant Dieu.
C’est toujours avec une incertitude que nous allons nous présenter devant Dieu, avec cette sorte d’anxiété timide, joyeuse et résolue, émue peut-être, qu’on éprouve devant sa majesté aimante. Et la suite, et le reste, appartiennent à Dieu qui seul peut accomplir notre sanctification.
A Lui seul soit la gloire. Amen