Mais avant de lire l'évangile de Jean, un retour vers la Torah, avec deux grands grands textes.
Lévitique 19
13 N'exploite pas ton prochain et ne le vole pas; la paye
d'un salarié ne doit pas rester entre tes mains jusqu'au lendemain;
14 n'insulte pas un sourd et ne mets pas d'obstacle devant
un aveugle; c'est ainsi que tu auras la crainte de ton Dieu. C'est moi, le
SEIGNEUR.
15 Ne commettez pas d'injustice dans les jugements:
n'avantage pas le faible et ne favorise pas le grand, mais juge avec justice
ton compatriote;
16 ne te montre pas calomniateur de ta parenté et ne porte
pas une accusation qui fasse verser le sang de ton prochain. C'est moi, le
SEIGNEUR.
17 N'aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais
n'hésite pas à réprimander ton compatriote pour ne pas te charger d'un péché à
son égard;
18 ne te venge pas et ne sois pas rancunier à l'égard des
fils de ton peuple: c'est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même.
C'est moi, le SEIGNEUR.
Au sujet de Lévitique 19, il me vient tout à coup l'idée de m'interroger sur ce chapitre. Le chapitre 19 est entre le chapitre 18 et le chapitre 20. Banalité totale... mais l'amour du prochain vient là entre deux chapitres qui déclarent impur, sale, voire horreur aux yeux de l'Eternel, toutes sortes de gestes et toutes sortes de gens, et qui vont même jusqu'à commander la mise à mort de... et bien, vous lirez Lévitique 20. Mais entre ces deux terribles collections de commandements, il y a celui de l'amour du prochain. Est-ce pour mettre un bémol sur les collections juridiques qui l'entourent? Est-ce au contraire pour qu'on ne se trompe pas de prochain, ou de commandement... Je laisse ces questions à mes lecteurs. Ce sera pour une autre prédication, un autre jour.
Commandement nouveau : tu enseigneras à tes enfants COMMENT penser... et non pas QUE penser |
Deutéronome 6
1 Voici le commandement, les lois et les coutumes que le
SEIGNEUR votre Dieu a ordonné de vous apprendre à mettre en pratique dans le
pays où vous allez passer pour en prendre possession,
2 afin que tu craignes le SEIGNEUR ton Dieu, toi, ton fils
et ton petit-fils, en gardant tous les jours de ta vie toutes ses lois et ses
commandements que je te donne, pour que tes jours se prolongent.
3 Tu écouteras, Israël, et tu veilleras à les mettre en
pratique: ainsi tu seras heureux, et vous deviendrez très nombreux, comme te
l'a promis le SEIGNEUR, le Dieu de tes pères, dans un pays ruisselant de lait
et de miel.
4 ÉCOUTE, Israël! Le SEIGNEUR notre Dieu est le SEIGNEUR UN.
5 Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton coeur, de
tout ton être, de toute ta force.
Jean 13
31 Dès que Judas fut sorti, Jésus dit: «Maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui;
32 Dieu le glorifiera en lui-même, et c'est bientôt qu'il le glorifiera.
33 Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j'ai dit aux Juifs: ‹Là où je vais, vous ne pouvez venir›, à vous aussi maintenant je le dis.
34 «Je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.
35 À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples: à l'amour que vous aurez les uns pour les autres.»
36 Simon-Pierre lui dit: «Seigneur, où vas-tu?» Jésus lui répondit: «Là où je vais, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard.»
37 «Seigneur, lui répondit Pierre, pourquoi ne puis-je te suivre tout de suite? Je me dessaisirai de ma vie pour toi!»
38 Jésus répondit: «Te dessaisir de ta vie pour moi! En vérité, en vérité, je te le dis, trois fois tu m'auras renié avant qu'un coq ne se mette à chanter.»
Prédication :
« Aimez-vous
les uns les autres comme je vous ai aimés ». Voici un commandement que
Jésus adresse à ses disciples, et dont il déclare que c’est un commandement
nouveau. Le tout simple adjectif « nouveau » est l’occasion de cette
prédication.
Notre
attention portera sur trois points. C’est que (1) pour que ce commandement puisse
être nouveau, il faut qu’il n’ait jamais été énoncé auparavant, donc qu’il soit
nouveau par rapport au passé, par rapport à hier. Il faut aussi (2) qu’il
apporte quelque chose de neuf au moment où il est énoncé, donc qu’il soit
nouveau dans l’instant présent. Et il faut enfin (3) que sa nouveauté tienne à
lui-même et demeure toujours inentamée, donc qu’il soit nouveau pour le futur.
Premier
point donc, pour que le commandement que Jésus donne à ses disciples soit un
commandement nouveau, il faut qu’il soit nouveau – inédit – dans la tradition
juive – ou hébraïque – qui est celle dans laquelle il est formulé. Est-ce le
cas ? Il nous faut, pour répondre, être en mesure de nous tourner vers
cette tradition tout entière en compulsant tout ce qu’elle a laissé, Torah,
Prophètes et Ecrits, textes anciens du Talmud et Ecrits intertestamentaires…
Tenons-nous en à la Bible. Les lecteurs de la Bible, premier Testament,
s’agissant d’amour, sauront bien se rappeler que l’amour de Dieu et l’amour du
prochain ne sont pas en tant que tels des inventions chrétiennes. Le Deutéronome
commande un amour absolu de Dieu. Lévitique comporte une collection imposante
de commandements éthiques et moraux qui sont résumés en un commandement d’aimer
le prochain. L’amour de Dieu et l’amour du prochain sont reconnaissables à une
manière de vivre, reconnaissables dans des mises en pratique tout à fait
concrètes. Mais ajoutons, et c’est ici capital, que ces mises en pratiques vont
laisser tous les protagonistes chacun à sa place : Dieu à sa place de
Dieu, en-haut, et les humains à leurs places humaines. Or, dans l’évangile de
Jean, un bouleversement va avoir lieu. Ce bouleversement a lieu lorsque Jean
proclame que le Verbe se fait Chair (Jn 1,14), lorsqu’il proclame l’unité du
Père et du Fils (Jn 10,30), et lorsqu’il énonce que « Dieu a tellement
aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique… » (Jn 3,16). Pris tous
ensemble, ces versets affirment que Dieu s’est donné lui-même, tout entier et
sans reste aucun. De fait, le verbe aimer, dans l’évangile de Jean, est
toujours assorti du verbe donner, celui qui aime étant toujours tout à la fois
donateur et don, sans reste, sans retour, sans réserve ni reprise. Cette
compréhension radicale du verbe aimer est tout à fait nouvelle dans le paysage
biblique et, en ce premier sens, le commandement que Jésus donne à ses
disciples peut être réellement vu comme un commandement nouveau.
Second
point : pour que ce même commandement puisse être déclaré nouveau, il faut
qu’il apporte une nouveauté, quelque chose d’inouï au moment où il est formulé.
Ce moment de l’évangile de Jean est un moment de grande tension, un moment où
Jésus donne à ses disciples un enseignement ultime, comme une sorte de
testament. Or, Judas vient de sortir, on connaît la suite : il va disposer
de Jésus, il ne va rien donner de lui-même, puisqu’il va prendre… Quant à
Pierre qui, avec son habituelle faconde, affirme qu’il va tout donner, on
connaît aussi la suite ; Pierre ne va rien donner du tout, il va trahir…
Ainsi, ce qu’il y a de nouveau, lorsque Jésus parle et donne ce nouveau
commandement à ses disciples, c’est la vérité de leur situation à tous, apparemment
barrée, et pourtant pas totalement sans espérance, puisqu’il est affirmé à
Pierre par Jésus, que là où va Jésus – c'est-à-dire au bout de l’amour et du
don – Pierre, lui aussi, un jour, ira.
Troisième
point : pour que ce même commandement puisse être déclaré nouveau, il faut
que la nouveauté qu’il apporte ne soit jamais épuisée. En quoi donc cette
nouveauté est-elle inépuisable ? Elle l’est parce que l’histoire de
l’humanité est et sera perpétuellement créatrice. Pour un être humain qui
entend le mettre en pratique, il s’agit toujours de se demander comment il peut
obéir à ce commandement nouveau, aimer comme Jésus a aimé, donner sans reprise
et sans reste. Tant qu’on n’a pas donné tout ce qu’on a, il reste encore à
donner. Et lorsqu’on a donné tout ce qu’on a, il reste la vie à donner. Le commandement
reste donc toujours nouveau. Tous ne sont évidemment pas appelés au martyre.
Mais au cours d’une vie humaine, tout ce qu’on apprend, tout ce qu’on possède,
et tout ce qu’on reçoit, depuis le début et jusqu’à la fin, est concerné par ce
commandement. Et si d’aventure on vient à lui obéir, cette obéissance elle-même
est encore concernée par le commandement. Du commencement à la fin de la vie,
on ne cesse jamais d’apprendre et de recevoir. Le commandement d’aimer reste
donc ainsi toujours nouveau.
Mais
quelqu’un va-t-il obéir ? Quelqu’un a-t-il obéi ? Souvenons-nous de
Judas, et de Pierre. L’un et l’autre désobéiront. Puis Pierre obéira, plus tard.
Quant à Judas, passé le moment où il livre Jésus, l’évangile de Jean ne nous en
dit plus rien. Dieu seul connaît la fin de Judas.
Et nous
autres ? Le don total et définitif que Dieu fait de lui-même à notre
humanité, en Jésus Christ, sans reprise et sans reste, fonde la possibilité que
nous obéissions à ce commandement nouveau. La possibilité divine d’obéir
jusqu’au bout au commandement d’aimer devient pour nous une possibilité
humaine.
Et
qu’allons-nous faire ? Nous pouvons parfaitement ne pas obéir, et
peut-être que notre mémoire nous rappelle que, parfois, nous n’avons pas obéi.
Le commandement nouveau est toujours nouveau et même si nous obéissons, notre
obéissance ne peut être qu’imparfaite… Mais elle est possible. Rappelons-le, tous
ne sont pas appelés au martyre. Tous sont appelés à l’obéissance, même si elle
n’a pas la même forme pour chacun.
Nous aimer
les uns les autres comme Jésus a aimé ses disciples, ce commandement nous est
donné, toujours nouveau et toujours de nouveau. Lui obéir est l’horizon de
notre existence.
Que le
Seigneur nous soit en aide.