dimanche 26 juillet 2015

Comme des moutons sans bergers (Marc 6,30-44)

Marc 6
30 Les apôtres se réunissent auprès de Jésus et ils lui rapportèrent tout ce qu'ils avaient fait et tout ce qu'ils avaient enseigné.
31 Il leur dit: «Vous autres, venez à l'écart dans un lieu désert et reposez-vous un peu.» Car il y avait beaucoup de monde qui venait et repartait, et eux n'avaient pas même le temps de manger.
32 Ils partirent en barque vers un lieu désert, à l'écart.
33 Les gens les virent s'éloigner et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent à cet endroit et arrivèrent avant eux.
34 En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut pris de pitié pour eux parce qu'ils étaient comme des moutons qui n'ont pas de berger, et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses.
35 Puis, comme il était déjà tard, ses disciples s'approchèrent de lui pour lui dire: «L'endroit est désert et il est déjà tard.
36 Renvoie-les: qu'ils aillent dans les hameaux et les villages des environs s'acheter de quoi manger.»
37 Mais il leur répondit: «Donnez-leur vous-mêmes à manger.» Ils lui disent: «Nous faut-il aller acheter pour deux cents pièces d'argent de pains et leur donner à manger?»
38 Il leur dit: «Combien avez-vous de pains? Allez voir!» Ayant vérifié, ils disent: «Cinq, et deux poissons.»
39 Et il leur commanda d'installer tout le monde par groupes sur l'herbe verte.
40 Ils s'étendirent par rangées de cent et de cinquante.
41 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et levant son regard vers le ciel, il prononça la bénédiction, rompit les pains et il les donnait aux disciples pour qu'ils les offrent aux gens. Il partagea aussi les deux poissons entre tous.
42 Ils mangèrent tous et furent rassasiés.
43 Et l'on emporta les morceaux, qui remplissaient douze paniers, et aussi ce qui restait des poissons.

44 Ceux qui avaient mangé les pains étaient cinq mille hommes.

                Jésus nourrit cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons. Et les restes de nourriture sont considérablement plus abondants que les quantités initiales. Un miracle de l’évangile de Marc, qui sera réitéré quelques chapitres plus loin dans le même évangile, et qui sera repris par chacun des trois autres évangiles. C’est dire l’intensité de ce qu’ont vécu les contemporains de Jésus et à quel point Jésus les a marqués par sa bonté, sa présence, sa générosité, son inspiration, miraculeuses elles aussi. Seulement, il y a des miracles dont la réitération tient de la pure grâce de Dieu, et d’autres qui doivent d’avantage que les premiers au travail et à la consécration des humains. S’agissant des premiers, il nous faut rendre grâce à Dieu et nous incliner ; s’agissant des seconds, il faut nous mettre à la tâche. Lisons, et méditons.

            Jésus invite ses disciples à se retirer, à l’écart de la foule, pour se reposer un peu, dans un lieu désert. Ils embarquent discrètement, espèrent-ils. Mais on les reconnaît pendant qu’ils s’éclipsent. Et le bruit de leur départ traverse la population qui les entoure, et la rumeur de leur arrivée quelque part ailleurs va qui enfle, qui traverse le canton, la contrée… ce qui fait que, lorsqu’ils débarquent dans le lieu désert, une foule plus considérable encore que la première les attend.
Jésus, en voyant ces gens fut violemment ému car « ils étaient comme des moutons qui n’ont pas de berger ». Nous pourrions affirmer que Jésus est précisément le berger qui arrive. Mais il est plus important de poser une question, que voici : pourquoi Marc dit-il, à quoi Jésus reconnait-il, que ces gens sont comme des moutons qui n’ont pas de berger ?
           
Les moutons sont des animaux fort sympathiques, mais dont le comportement peut être infiniment stupide. Chacun, sans discernement aucun, peut suivre si aveuglément celui qui le précède que tous peuvent se précipiter, l’un suivant l’autre, vers ils ne savent pas quoi et, parfois, dans le même ravin. Stupides moutons ! Il faut assurément un berger pour un troupeau de mouton. Et qu’en est-il de cette foule qui attend Jésus dans un lieu désert ? Ces gens n’ont fait que suivre la rumeur qui annonçait à tel endroit un personnage d’une certaine importance. Il a accompli ceci, il a fait cela, il a ressuscité des morts, il est entré en lévitation, il a fait pousser des fleurs en hiver… Que valent les rumeurs ?
Il n’y a que Marc, et que le lecteur, qui savent déjà qui est ce personnage. Et si l’on affirme trop vite que Jésus va tous les nourrir et qu’il y aura du reste, c’est qu’on n’a pas été suffisamment attentif à ce qui se passe. S’aventurer en grande foule, sur la base de rumeurs, sans ravitaillement, et dans un lieu désert, comment appellerons-nous cela ? Comportement grégaire, comme des moutons sans bergers, dit Marc, et cela émeut profondément Jésus. Ces gens se mettent en danger, bêtement, sur une rumeur. Et si on leur promet monts et merveilles, fortune, santé, chance, prospérité… jusqu’où iront-ils ? Et qui suivront-ils ? Sur quel prétendue certitude se mobiliseront-ils, et pour quel désastre ?
            La promesse de l’Evangile, l’espérance chrétienne, et les engagements qui vont avec ne peuvent pas avoir de consistance si cela laisse l’intelligence et la réflexion se perdre. La foi chrétienne n’est pas un sentiment seulement, ni un élan seulement ; elle est aussi une intelligence responsable. Et nous lisons que, Jésus, profondément ému par cette foule, se mit à enseigner, abondamment. A enseigner quoi ? Nulle trace de cet enseignement dans le récit. Seule demeure la raison pour laquelle Jésus enseigne : ils étaient comme des moutons qui n’ont pas de berger. Alors on imagine sans peine que l’enseignement de Jésus, en cette occasion, fut l’un de ces enseignements mémorables qui visent à éclaircir l’intelligence des gens, de sorte qu’en matière de foi – en toute matières – ils ne se laissent pas refiler n’importe quoi par n’importe qui, de sorte que le bon sens et la raison les guide, bien plus que leurs envies du moment, de sorte que, animés par l’Evangile, ils se mobilisent pour l’Evangile, qu’il annoncent l’Evangile, qu’ils actualisent l’Evangile, plutôt que d’en être seulement les consommateurs béats.
            Soyons certains qu’en cette occasion les moutons de cette foule eurent en Jésus le berger qu’il leur fallait. Mais l’enseignement du berger transforme-t-il les moutons ? Les moutons ont-ils envie d’être autre chose que des moutons ? Après tout… faire ce qu’autrui fait et se tenir bien au chaud dans un groupe… L’ancien testament, pour décrire ce phénomène, utilise le nom de peuple, les évangiles parlent plutôt de la foule. On ne peut pas, on ne doit pas mépriser les foules. Tout être humain au commencement de sa vie n’est qu’une personne insignifiante au sein d’un groupe dont il imitera d’abord les comportements. On peut exhorter les foules, les rudoyer parfois, les enseigner, autant qu’il le faut, mais on ne doit pas les manipuler. Et l’on devine alors que Jésus, en cette occasion, enseigna essentiellement à n’être pas crédule, mais à croire ; avec l’espérance que chacun, au sein de la foule, reçoive et accueille son enseignement ; et que chacun oriente sa vie de la rumeur d’un messie puissant vers la foi au Christ Fils de Dieu. Pour quel résultat ? Les gens ont faim… la foule a faim et, nous le savons, qui ne satisfait pas les besoins élémentaires d’une foule, la foule le récuse, et le dévore.

            Sœurs et frères, au bilan – provisoire – de cette prédication, il y a des moutons et il y a le berger. Nous avons été clairement appelés à n’être pas des moutons. Est-ce à dire que nous devons être bergers ? Les mauvais bergers ont été maudits bien des fois par les prophètes d’abord, puis par le Christ lui-même. Un seul est le bon berger… à quel prix !
            Ni bergers, ni moutons, il nous reste à observer que, dans le récit que nous méditons, il y a, aussi, les disciples. Observons d’abord, avec un rien d’humour, que, même si un seul est le bon berger, ce sont ses disciples qui viennent lui rappeler tout à propos que les corps ont besoin d’être nourris. Ensuite, rappelons que le disciple est celui qui écoute, qui observe, qui interroge, qui réfléchit… et qui met en pratique, à sa manière, et dans son temps. Le disciple de Jésus Christ Fils de Dieu peut-il accomplir ce qu’a accompli ou ce qu’accomplirait son maître ? Non, car Jésus Christ Fils de Dieu est inimitable. Mais comme « seul l’inimitable enseigne », le disciple de Jésus est à même de faire ce qui doit être fait au moment où cela doit être fait, et de remettre tout ce qu’il entreprend à la grâce de Dieu. Le disciple du Christ lève les yeux vers le ciel et prononce alors la bénédiction. Rien de magique là-dedans ; juste la foi se mettant en œuvre. Il se peut qu’apparemment cela échoue, parce que le disciple n’est qu’un disciple… et que, même gracié il demeure pécheur. Il se ramasse, il se relève, s’incline devant son Maître et Seigneur, et reprend son chemin. Il se peut aussi que cela n’échoue pas, et le disciple s’incline devant son Maître et Seigneur, et reprend son chemin. On n’a jamais fini d’être disciple du Christ.
            A cette vie, à cette tâche nous avons été appelés. Nous répondons et répondrons encore. Que le Seigneur nous vienne en aide. Et à lui seul soit la gloire. Amen


Et puis je vais m'absenter un peu de temps. J'annonce de prochains contenus pour le début de septembre. A moins que...

A tout bientôt