dimanche 18 janvier 2015

Quels disciples pour quel maître ? (Jean 1,43-51)

Que mes lecteurs me pardonnent... je poursuis dans la veine du billet précédent. Et je cite La Croix (n°. 40088 du vendredi 16 janvier, p.6). C'est le Pape François qui cite son prédécesseur, le Pape Benoît XVI, évoquant l'existence d'une "mentalité post-positiviste, qui porte à croire que les religions sont une sorte de sous-culture, qu'elles sont tolérées mais peu de choses", et qui poursuit "cela est un héritage des Lumières", "Il y a des gens qui parlent mal des autres religions, les tournent en dérision, font de la religion des autres un jouet. Ce sont des gens qui provoquent."

Je ne suis pas suffisamment savant pour savoir ce que c'est une mentalité post-positiviste, et je vais épargner à mes lecteurs un développement là-dessus. Mais ce que je vois, c'est que, s'exprimant ainsi, le Pape - les Papes - cèdent à la tentation des religieux, tentation positiviste,  seconde tentation rapportée par l'évangile de Matthieu (4,4-7), troisième tentation rapportée par l'évangile de Luc (4,9-12), et qu'on peut énoncer ainsi : ce qu'un texte sacré écrit sur Dieu oblige Dieu et donne pouvoir aux humains sur leurs semblables.

Lorsque le Pape François dénonce en Charlie une mentalité post-positiviste, c'est qu'il considère, de fait, que les Religions doivent avoir pouvoir sur les humains et sur Dieu. Et que les humains devraient se conformer, pour la conduite de leur vie, et celle de leurs semblables, à ce qu'énoncent et prônent les textes qu'on dit sacrés. Se conformer ou disparaître, c'est l'alternative qu'il défend. Au fond, c'est l'autonomie et l'universalité de la raison, c'est l'héritage des Lumières, que le Pape vise, et pas le Pape seulement. Et en cela, c'est précisément comme une sous-culture qu'il présente les religions qu'il défend.

Pour en revenir aux tentations bibliques ci-dessus mentionnées, en les paraphrasant à peine, nul Dieu ne s'est interposé lorsque les "religieux" ont tiré. Nul miracle n'a eu lieu qui aurait prouvé que Dieu désapprouve, c'est donc que Dieu approuve. Et c'est précisément contre ce genre de raisonnement que les hommes des Lumières se sont levés.

Dieu serait donc dans le camp des plus forts et des plus rusés, et des mieux armés, et des plus intransigeants ? Le Pape François, au fond, que veut-il ? Hissé au sommet du dôme de la basilique Saint Pierre, à Rome, se jetterait-il d'en-haut devant la foule, parce qu'il est écrit... Evidemment non ! Alors pourquoi parle-t-il ainsi ? Un Christ qui aurait parlé comme le Pape François aurait-il fini sur la croix ?

Les religions sont indéfendables telles que, dans les propos ici rapportés, le Pape les présente et les défend. Mais ceux qui croient sont le trésor de l'humanité. 

Que mes lecteurs me pardonnent.

 Genèse 28
10 Jacob sortit de Béer-Shéva et partit pour Harrân.
11 Il fut surpris par le coucher du soleil en un lieu où il passa la nuit. Il prit une des pierres de l'endroit, en fit son chevet et coucha en ce lieu.
12 Il eut un songe: voici qu'était dressée sur terre une échelle dont le sommet touchait le ciel; des anges de Dieu y montaient et y descendaient.
(…)
16 Jacob se réveilla de son sommeil et s'écria: «Vraiment, le SEIGNEUR est dans ce lieu, et moi je ne le savais pas!»

Jean 1
43 Le lendemain, Jésus résolut de gagner la Galilée. Il trouve Philippe et lui dit: «Suis-moi.»
44 Or, Philippe était de Bethsaïda, la ville d'André et de Pierre.
45 Il va trouver Nathanaël et lui dit: «Celui de qui il est écrit dans la Loi de Moïse et dans les prophètes, nous l'avons trouvé: c'est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth.»
46 - «De Nazareth, lui dit Nathanaël, peut-il sortir quelque chose de bon?» Philippe lui dit: «Viens et vois.»
47 Jésus regarde Nathanaël qui venait à lui et il dit à son propos: «Voici un véritable Israélite en qui il n'est point de leurre
48 - «D'où me connais-tu?» lui dit Nathanaël; et Jésus de répondre: «Avant même que Philippe ne t'appelât, alors que tu étais sous le figuier, je t'ai vu.»
49 Nathanaël reprit: «Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël.»
50 Jésus lui répondit: «Parce que je t'ai dit que je t'avais vu sous le figuier, tu crois. Tu verras des choses bien plus grandes.»
51 Et il ajouta: «En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme.»

Prédication : 
            Nos lectures bibliques du dimanche nous invitent à relire un récit dans lequel apparaissent pour la première fois des disciples de Jésus. C’est une lecture qui nous interpelle, au moment où certains ont mis à mort plusieurs de nos contemporains, en affirmant défendre l’honneur de leur prophète, c'est-à-dire en s’affirmant comme disciples.
A partir des quelques éléments du récit que l’évangile de Jean fait de l’appel des premiers disciples, nous pouvons construire une sorte de portrait et d’itinéraire du disciple, et peut-être aussi un peu du maître de ces disciples, en six remarques.

1. Au moment où nous prenons la lecture Jésus trouve Philippe, fait du hasard de la route, et donne à Philippe l’ordre de le suivre. C’est la première de nos remarques : la rencontre de Jésus se fait par hasard et il suffit au maître de donner un ordre. Oui, affirmons-nous, cela peut arriver. Oui, nous dirons certains, Jésus est venu à ma rencontre, il m’a parlé, a ordonné que je le suive et j’ai obéi. Nous n’avons rien à objecter à cela. Il faut écouter attentivement ceux qui nous font un tel récit. Peut-être même pouvons-nous envisager notre vie sous la forme d’un tel récit : il est venu à ma rencontre et m’a dit « Suis-moi ! ». Et peu importe le moment de cette interpellation. La vocation n’est jamais l’appel qu’on entend, mais la réponse qu’on donne à cet appel. Retenons ceci de cette première remarque, première facette d’un portrait et d’un itinéraire de disciple : Jésus nous trouve et nous appelle.

2. Ce qui est très frappant, juste après l’appel de Philippe, c’est que la réponse de Philippe est toute simple, ni gesticulation, ni emportements ; Philippe en appelle simplement un autre. Philippe qui a été trouvé par Jésus va trouver Nathanaël pour lui dire « nous l’avons trouvé ». Le geste fondamental de l’obéissance du disciple c’est l’appel d’un autre disciple, un appel tout simple, sans autre preuve à apporter qu’une sorte de joie sans arguments, avec juste une espérance dépouillée. Retenons ceci : le geste fondamental de l’obéissance du disciple de Jésus, facette de son portrait et moment de son parcours, c’est le témoignage, auprès d’un autre, de ce qu’on a trouvé et de l’espérance claire et simple qui accompagne cette trouvaille.

3. Philippe, à la fin de ces deux premières remarques, pourrait bien être une sorte de disciple idéal, celui qui se laisse très simplement appeler par Jésus et qui très simplement répond. Nous savons bien que ça ne se passe pas tout à fait comme ça. Le disciple – futur disciple – déjà disciple – nous… celui qui est appelé est plein de préjugés. A l’extrême simplicité du témoignage qui lui est rendu, à la joie individuelle qui anime le témoin, Nathanaël  oppose quelque chose de grincheux et de globalisant : un préjugé. De Nazareth il ne peut rien sortir de bon ! Nathanaël en est là à l’instant où il est appelé, c’est ainsi. Un futur disciple, un disciple en chemin aussi, ça a des préjugés, des défauts, une histoire… et c’est avec cette histoire personnelle que le disciple est appelé, et c’est avec cette histoire aussi qu’il répond.
Nous noterons – retour de notre deuxième remarque – que Philippe ne s’engage dans aucune démonstration, dans aucune polémique. Il en reste à la simplicité de l’appel. Certes la vie du disciple peut bien être une vie dans laquelle l’étude trouve sa place, mais l’appel et le témoignage sont étrangers à toute démonstration savante. Philippe appelle Nathanaël avec la même simplicité qu’il a été, lui, appelé. « Viens et vois… »

4. Nathanaël donc répond simplement – tout comme Philippe avait simplement répondu – à un simple et pur appel. Et nous allons préciser encore la disposition d’esprit profonde à laquelle cela correspond. Quatrième remarque donc, en lisant ceci : « Voici un véritable Israëlite, en qui il n’est point de leurre. »  Que Jésus sache lire au cœur des hommes qu’il rencontre est une donnée de l’Evangile ; mais que veut-il dire ici ? Pensons un petit instant pêche à la ligne : le pêcheur, plus malin que le poisson, présente un leurre au poisson, le poisson, séduit, leurré, gobe ce leurre ; le poisson est capturé, extrait de son élément vital, et devient la chose du pêcheur ; le pêcheur est satisfait. Il n’y a point de leurre en Nathanaël, ce qui enrichit d’une nouvelle facette notre portrait de disciple : aucune volonté de séduire ou d’utiliser les faiblesses d’autrui pour le soumettre, aucune volonté de faire d’autrui sa chose. Le témoignage du disciple est une offre sans hameçon, un cadeau qui laisse libre.

5. Cependant, la vie du disciple n’est pas seulement la vie du pur et simple témoignage. Alors que tu étais sous le figuier, je t’ai vu, dit Jésus à Nathanaël. L’expression est bien connue en ce temps, et elle désigne ceux qui vouent une certaine part de leur vie à l’étude. Se tenir sous le figuier c’est certes se tenir sous l’arbre méditerranéen qui donne l’ombre la plus fraîche qui soit, mais c’est aussi se tenir sous l’arbre qui est le plus imprévisible qui soit. Le figuier ne donne du fruit que lorsque vient son temps de le donner, lorsqu’il en a décidé ainsi. Et donc, se tenir sous le figuier c’est certes s’adonner à l’étude des grands textes, mais s’y adonner dans une perspective gratuite, obstinée, et pleine d’espérance. Se tenir sous le figuier ça n’est pas étudier pour devenir seulement savant, ni pour devenir persuasif et puissant, mais pour nourrir l’espérance et pour devenir simple et sage. La vie du disciple est ainsi aussi une vie de recueillement et d’étude, de recueillement dans la grâce de l’étude.

Résumons : 1. A un moment de sa vie, le disciple est trouvé par Jésus qui lui adresse une injonction toute simple à laquelle, tout simplement, le disciple répond ; 2. Il répond tout aussi simplement à cette injonction en trouvant un autre disciple et en l’appelant, tout comme lui-même a été appelé ; 3. Mais le disciple est un être humain, portant un bagage d’idées toutes faites et de préjugés ; 4. Le disciple est aussi un être humain franc et vrai, dénué de toute idée de séduire et de prouver, et s’il ne l’est pas encore il apprendra à le devenir ; 5. Le disciple se recueille dans l’étude.

6. Mais nous avions annoncé une sixième facette, et la voici, sous la forme d’une promesse : « Vous verrez le ciel ouvert et les anges monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme. » Promesse référée clairement au songe de Jacob, songe d’un homme en fuite et qui passe la nuit sur une terre inconnue et qui découvre, dans sa nuit et au sortir de sa nuit, qu’il y a une promesse et une espérance. Le disciple de Jésus peut être parfois défait, presque anéanti, mais cela jamais ne signifie que Dieu l’a abandonné.

Chacun peut, chacun doit s’interroger sur sa vocation. Quel appel as-tu entendu ? Comment y réponds-tu ? Que fais-tu des textes que tu lis ? Et que fais-tu de ton semblable ?

            Et que l’exigeante et aimante réponse de notre Seigneur soit aussi la nôtre. Amen