1 Le SEIGNEUR envoya Nathan à David. Il alla le
trouver et lui dit: «Il y avait deux hommes dans une ville, l'un riche et
l'autre pauvre.
2
Le riche avait force moutons et bœufs.
3
Le pauvre n'avait rien du tout, sauf une agnelle, une seule petite, qu'il avait
achetée. Il la nourrissait. Elle grandissait chez lui en même temps que ses
enfants. Elle mangeait de sa pitance, elle buvait à son bol, elle couchait dans
ses bras. Elle était pour lui comme une fille.
4
Un hôte arriva chez le riche. Il n'eut pas le cœur de prendre de ses moutons et
de ses bœufs pour apprêter le repas du voyageur venu chez lui. Il prit
l'agnelle du pauvre et l'apprêta pour l'homme venu chez lui.»
Méditation
Vous souvenez-vous à quelle
occasion Nathan le prophète prit ainsi la parole ?
C’est après que le roi David, qui
avait fait enlever, parce qu’il l’avait trouvée subliiiime, la femme de Uri le
Hittite, mercenaire à son service, et après avoir violé et engrossé cette
femme, après avoir tenté vainement de mettre cette grossesse au compte du mari,
fit mettre à mort le mari… Comme si un crime allait pouvoir en effacer un autre
(2 Samuel 11).
Comment appelez-vous le genre de
couplet que Nathan le prophète alla lui chanter ? Peut-être allez-vous
hésiter. Mais si Nathan avait su dessiner, et si la culture hébraïque avait été
une culture de l’image plutôt qu’une culture de l’oralité, vous auriez appelé Nathan
un caricaturiste. Car c’est bien une caricature que fait Nathan, une caricature
de David. Cette caricature est aussi un piège, piège dans lequel le roi David
va tomber…
5 David entra dans une violente colère contre cet
homme et il dit à Nathan: «Par la vie du SEIGNEUR, il mérite la mort, l'homme
qui a fait cela.
6
Et de l'agnelle, il donnera compensation au quadruple, pour avoir fait cela et
pour avoir manqué de coeur.»
7
Nathan dit à David: «Cet homme, c'est toi! (…)
Nous laissons la suite du texte…
et nous nous souvenons seulement que le roi David sera amené à un certain
repentir, ou au moins à une certaine prise de conscience. C’est un peu étrange,
en fait. Et il faudrait soigneusement étudier le texte pour esquisser seulement
une interprétation. L’acte de David est terrible et quelque chose aura été
irrémédiablement brisé. Sa foi en sera à jamais transformée, plus précaire
assurément et, peut-être, en quelque manière, plus pure.
Si le caricaturiste ne prend pas
la parole, ou la plume, si le caricaturiste ne vient pas écorcher ma foi, ou
plutôt ma prétention à croire, comment ma foi sera-t-elle mise à l’épreuve
d’autrui, et par qui mes prétentions seront-elles dénoncées ? Comment
aimerais-je un jour mon prochain si je j’écarte mon prochain, si je le
supprime ?
Cet homme, c’est toi, dit le
prophète Nathan au roi David.
Cet homme, c’est toi ! Cela
ne s’adresse-t-il pas aussi au lecteur ? Moi, demande le lecteur ?
Mais… je n’ai mis à mort personne…
Ma foi est-elle pure pour
autant ?
Je prie mon Dieu que je sois
caricaturé, que mes yeux soient ouverts sur moi-même, que je me repente, que ma
foi devienne pure et que mon amour soit de l’amour.
Voilà… ma méditation s’arrêtait là, et puis j’ai entendu dire que le
Pape François avait dit que… et encore que… A-t-il vraiment dit que « Vous
ne pouvez pas provoquer, vous ne pouvez pas insulter la foi des autres, vous ne
pouvez pas vous moquer de la foi » ? A-t-il vraiment dit aussi qu’ « Il ne faut pas jouer avec la religion
des autres. Ces personnes provoquent. La liberté d'expression a des limites ».
Et cela relance encore ma méditation, et avive encore ma colère.
Les assassins de ces derniers jours, qu’ont-ils
mis en œuvre, si ce n’est leur liberté d’expression ? Ils l’ont mise en œuvre à coups d’armes à feu.
Au mépris de la liberté d’expression de leurs victimes ! Mon frère
François se trompe de cible et il oublie que le Seigneur dont pourtant il se
réclame et dont il entend être le vicaire s’est, Lui, laissé insulter, laissé
humilier pour avoir mis en œuvre, Lui, sa liberté d’expression et pour avoir
dénoncé les imbéciles et les violents de son temps. Mon frère François oublie
que son Seigneur s’est laissé transformer en cette caricature de Dieu qu’est le
Messie crucifié. Et que c’est donc sous une caricature qu’il dit la Sainte
Messe, et sous une caricature de Dieu que je me recueille, comme lui.
J’ajoute que, peut-être aussi que le
Pape François a dit que « Il est vrai que vous ne devez pas réagir
par la violence, mais même si nous sommes de bons amis, s'il maudit ma mère, il
peut s'attendre à recevoir un coup, c'est normal. » Alors, maintenant,
peut-être aussi que le Pape François va, au nom de la chrétienté, présenter des
excuses aux djihadistes offensés par les caricaturistes de Charlie, et offensés
aussi par l’existence persistante de Juifs. Parce qu’après tout, c’est normal
de flinguer lorsqu’on vous offense… et que la Police française aurait plutôt dû,
au lieu de les abattre, ces djihadistes, les arrêter fort poliment, leur payer
l’hôtel et les raccompagner à la frontière en leur présentant des excuses au
nom de la République française, puisqu’ils n’ont fait, après tout, après avoir
été si gravement offensés, qu’exercer librement leur liberté d’expression…
Mais peut-être que le Pape François n’a
rien dit de tout cela. Et que je m’égare. Ah… la colère est mauvaise
conseillère et je vais vite me retremper dans certaines des unes de Charlie
qui, peut-être, m’écorcheront et conduiront ma foi à d’avantage de douceur et
de pureté… car, comme me le dit le prophète Nathan, cet homme, c’est toi !