Romains 1
8 Tout d'abord, je rends grâce à mon Dieu par Jésus Christ
pour vous tous: dans le monde entier on proclame que vous croyez.
9 Car Dieu m'en est
témoin, lui à qui je rends un culte en mon esprit en annonçant l'Évangile de
son Fils: je fais sans relâche mention de vous,
10 demandant
continuellement dans mes prières d'avoir enfin, par sa volonté, l'occasion de
me rendre chez vous.
11 J'ai en effet un très
vif désir de vous voir, afin de vous communiquer quelque don spirituel pour que
vous en soyez affermis,
12 ou plutôt pour être
réconforté avec vous et chez vous par la foi qui nous est commune à vous et à
moi.
13 Je ne veux pas vous
laisser ignorer, frères, que j'ai souvent projeté de me rendre chez vous - jusqu'ici
j'en ai été empêché - , afin de recueillir quelque fruit chez vous, comme chez
les autres peuples païens.
14 Je me dois aux Grecs
comme aux barbares, aux gens cultivés comme aux ignorants;
15 de là, mon désir de
vous annoncer l'Évangile, à vous aussi qui êtes à Rome.
16 Car je n'ai pas honte
de l'Évangile: il est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du
Juif d'abord, puis du Grec.
17 C'est en lui en effet
que la justice de Dieu est révélée, par la foi et pour la foi, selon qu'il est écrit:
Celui qui est juste par la foi vivra.
Prédication
Paul aux
Romains. Paul, qui n’est jamais allé à Rome, écrit aux Romains. Il nous faut
imaginer ce que c’est que Rome, lorsque Paul écrit aux Romains : la
capitale de l’Empire le plus grand, le plus stable, le plus homogène et durable
– dit-on – qui ait jamais existé dans cette partie du monde. Adresser alors cet
écrit aux Romains c’est, du temps de Paul, l’adresser à ceux qui sont tout en haut, qui sont le haut de
l’Empire, et d’un empire à l’apogée de son histoire.
Un Romain, en ce temps, c’est un
maître, un propriétaire, un dominateur : ça regarde le monde de haut, avec
l’arrogance de ceux à qui l’on doit tout et qui ne doivent rien à personne… Comment
peut-on s’adresser aux Romains qui sont tout
en haut ? Faut-il être plus haut encore qu’eux ? Faut-il un super
apôtre, pour annoncer l’Evangile à de super paroissiens ?
L’unique
question de cette prédication pourrait bien être celle-ci : d’où est-ce
que je parle ? Même question : comment est-ce que je regarde autrui
lorsque j’évoque le Christ, lorsque je parle de lui, lorsque je témoigne ?
Est-ce que je le regarde d’en-haut, moi qui ai l’Evangile à lui annoncer ?
Nous réfléchissons là-dessus…
Et bien après les salutations
d’usage, au début de l’Epître, viennent les quelques versets que nous avons
lus, et que nous allons reprendre.
1.
v.10 : « Je demande à Dieu dans mes prières
d’avoir enfin, par sa volonté, l’occasion de me rendre chez vous. » Paul,
c’est entendu, est Apôtre. Mais il n’a pas de plan précis, pas le plan d’aller à
Rome parce qu’il a envie d’aller u sommet, ce qui ferait bien dans son CV et à
son ego. Il attend patiemment l’occasion, il attend le bon vouloir de Dieu.
Autrement dit, même s’il désire toujours le faire, celui qui évangélise le fait
parce que l’occasion s’en présente. Provoquer sans ménagement une occasion de
le faire serait considérer qu’il y a là des gens dont nous savons qu’ils ont
tel besoin ; ça serait les regarder de haut. En matière d’Evangile, on ne
choisit pas les gens à qui l’on va s’adresser… on les accueille, on les reçoit
lorsque vient le moment de le faire.
2.
v.11 : « J’ai un très vif désir de vous voir… » ;
et ce désir n’est pas d’apporter quelque chose qu’on a, c’est un désir de vous
voir, juste de vous voir, vous, comme vous êtes. Ceci implique de supposer
qu’il ne vous manque rien. Ceci dit, si l’on parle de désirer se voir, c’est
qu’il manque « vous », comme on dit « vous me manquez ». Le
manque est de mon côté, dit celui qui évangélise, mais ce manque n’est pas un
manque qui exigerait de votre part un assouvissement, je veux juste vous voir,
dit l’apôtre ; je me languis de vous voir, dit-il même, c’est lui donc qui
manque d’eux, et certainement pas le contraire.
3.
v.11 : « de vous voir afin de vous communiquer
quelque don spirituel… » ; mais ici, il faut corriger la traduction,
car il ne s’agit pas du tout de communiquer à ces gens quelque chose que j’ai
et qu’ils n’ont pas et qu’ils devraient avoir, mais de partage. Paul, l’apôtre,
celui qui témoigne, vient dans la perspective de partager, non pas ce qu’il a
en supposant que les autres n’ont pas, mais dans l’idée que les dons spirituel,
ce que l’Esprit donne, n’existe que partagé.
Comme vous le voyez, si nous
avons pensé que Paul, celui qui évangélise, est au-dessus de ceux auxquels il
s’adresse, c’était faux. Son positionnement est tout à fait ouvert, et pas du
tout dominateur… Un certain mouvement d’abaissement est déjà repérable, mais il
va aller beaucoup plus loin. L’idée de partager les a tous mis à la même
hauteur. Poursuivons :
4.
v.11 et 12 : « pour que vous en soyez
affermis ou plutôt pour être réconforté avec vous et chez vous… » Le
mouvement d’abaissement s’accentue. Paul, celui qui évangélise, n’est pas le
pompier de service, mais le nécessiteux. Il éprouve certes le besoin
d’évangéliser ; quel chrétien ne l’éprouve pas, ce besoin ? Mais si
l’on affine la traduction, il ne s’agit pas d’un réconfort qu’il recevrait,
mais d’une défense, d’une consolation, que l’on met en œuvre l’un pour l’autre,
mutuellement. La consolation, la justification de celui qui évangélise, vient
de ceux à qui il s’adresse ; et cette consolation, cette justification –
comme une bénédiction – il ne la reçoit que pour autant qu’il la proclame,
qu’elle est reçue et rendue… Et peut-être même que cette évangélisation a
largement précédé celui qui évangélise. On est ici totalement en vis-à-vis.
Evangéliser, c’est d’égal à égal, ou bien cela n’est pas. C’est consolation
mutuelle, ou bien cela n’est pas. C’est supposition de la valeur de l’autre, ou
bien ça n’est pas. Mais nous ne sommes pas au bout.
5.
v.13 : « …afin de recueillir quelque fruit
chez vous… » ; si bien que force nous est de reconnaître que celui
qui évangélise reçoit ; c’est donc qu’il n’avait pas et, voyez-vous,
évangéliser, s’il s’agit vraiment de foi, c’est aller vers autrui pour partager
avec lui une certitude qu’on n’a pas, qu’on découvrira peut-être bien ensemble,
et dont on suppose que lui en est déjà porteur, le tout sans l’obliger en
aucune manière. Mais ça n’est pas encore
fini.
6.
v.14 : « Je me dois aux Grecs comme aux
barbares, aux gens cultivés comme aux ignorants…. » Ici, encore une
précision de traduction, pour qu’il soit bien clair que celui qui évangélise ne
se doit pas à ses interlocuteurs comme le docteur, tout équipé par sa science,
se doit à ses patients. Il ne se doit pas à, mais il est l’obligé de. Le
mouvement d’abaissement se poursuit, il ne pourra guère aller plus bas. Celui
qui évangélise est l’obligé de ceux à qui il s’adresse ; il est par eux,
il n’est rien sans eux, il leur doit tout. Il doit tout aux, imbéciles comme aux
savants, il doit tout aux Juifs avec leur fichue Ecriture comme aux Grecs avec
leur maudite intelligence…
Il est ainsi du désir de Paul, de
son désir et de son zèle. Le zèle de celui qui évangélise est un zèle aux mains
vides, un zèle d’ouverture et de reconnaissance. Un zèle d’accueil, d’accueil
infini.
Mais lorsqu’on a bien compris de
quoi il s’agit, lorsqu’on a bien saisi que les mains sont ouvertes mais vides
et que si le cœur est rempli il ne le sera que par ce qu’un autre donnera, un
autre humain, concret… alors évangéliser est indéfendable à Rome, capitale de
l’Empire, indéfendable partout ailleurs, car nulle part on n’aime les gens aux
mains vides et aux arguments désarmés. Personne n’aime cette impuissance, cette
faiblesse évangélique. On veut plutôt avoir tout, mériter tout, juger de tout…
Et bien de cette situation de
précarité, d’ouverture et de reconnaissance, qui est l’essence même de
l’Evangile, on devrait avoir honte. Mais Paul n’a pas honte, car cette
situation est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit.
Frères et sœurs, il en va de la
foi, de l’authenticité de la foi chrétienne que la puissance de Dieu soit
parfaitement désarmée. Sinon elle n’est qu’arrogance et vaine doctrine.
Ainsi, au terme de cette
prédication, je vous invite à considérer que les versets que nous venons de
méditer caractérisent non seulement la position du témoin, du chrétien, de
l’apôtre… mais commandent aussi l’attitude qu’il convient d’adopter lorsqu’on
lit la suite de l’Epître aux Romains, ses grands exposés doctrinaux et aussi
les listes de condamnations qui suivent les versets que nous méditons et dont
d’aucuns font leurs gorges chaudes et leur saintes condamnations. Désarmer ceux
qui ont les armes, et mêmes les armes bibliques, c’est l’Evangile. Juger ceux
qui jugent, même Bible en main, c’est l’Evangile.
Evangéliser est infinie
ouverture, ou bien n’est rien. Et tant qu’à l’appel et à la réception de la grâce
il manque un seul des enfants des hommes, tant qu’un seul est condamné, mis de
côté, ignoré, exclu, l’Evangile et le salut manquent à tous.
Mais même s’il manque à tous, il
demeure, et Paul le dit à merveille, « Puissance de Dieu pour le salut de
quiconque croit… », inépuisable puissance, patiente puissance. Amen