samedi 31 mai 2025

Méditations sur l'unité (Jean 17,20-26)

Jean 17

20 «Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi:

 21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé.

 22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un,

 23 moi en eux comme toi en moi, pour qu'ils parviennent à l'unité parfaite et qu'ainsi le monde puisse connaître que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.

 24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde.

 25 Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé.

 26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux.»

Prédication

            Dans l’évangile de Jean, au moment de la Passion – avant l’arrestation de Jésus – nous avons un immense discours, chapitre 14 à 17, qui se finit par une prière dont nous venons de lire les derniers mots. Jésus prie le Père, une prière de demande, tout le chapitre 17, après quoi il sort avec ses disciples et se rend au-delà du torrent du Cédron, là ou il va être arrêté. On nous propose de lire la seconde partie de cette prière… et pourquoi ?

            Cette prière contient une demande particulière, et particulièrement connue,  « qu’ils soient un ». Ils ? Tous ceux qui croiront en Jésus… et nous en faisons partie probablement. Et pourquoi faudrait-il qu’ils soient un ? « Afin que le monde croie que tu m’as envoyé », précise Jésus. Alors, si nous comprenons bien, une conversion du monde est suspendue à cette conviction, qu’ils soient – que nous soyons – un. Pourquoi pas… sous la réserve que nous puissions préciser ce que signifie ce un, le un de « qu’ils soient un afin que le monde croie que tu m’as envoyé ».

            Nous allons tâcher de préciser ce qu’il en est de ce un mais, auparavant, je voudrais vous raconter quelque chose que j’ai vécu, il y a déjà longtemps, dans un contexte qui était – qui tâchait d’être – œcuménique. Ce verset avait été assez évidemment choisi comme support d’une méditation commune qui avait pour message que la désunion entre les confessions chrétiennes était responsable de cet état du monde dans lequel on voyait les humains en masse ignorer la foi chrétienne et se jeter les uns contre les autres dans toutes sorte de conflits. Ah, si nous étions – si vous étiez tous unis, le monde ne pourrait pas ne pas se convertir. Unis, mais sous quelle bannière, je vous prie ? Et celui qui parlait imaginait clairement que c’était sous sa bannière que tous auraient dû être unis… et je ne dis pas de quel bord était ce prédicateur, car les remarques que nous pourrions faire maintenant valent pour tous, pour chacun. Les modèles d’unité sous-tendus ici n’ont que très peu de valeur au regard de l’unité selon l’évangile de Jean.

 

            L’unité dans l’évangile de Jean, c’est l’unité du verbe et de Dieu (Prologue), c’est l’unité du verbe et de la chair (Prologue aussi), c’est l’unité du Père et du Fils, unité – toujours la même – dont nous avons parlé encore récemment, dans la réalité de laquelle si vous en avez un, vous avez l’autre, non pas une petite communication d’un bout de divin et d’un morceau de Christ, mais la totalité. Par exemple, si vous voulez disposer de Dieu, totalement et intégralement, regardez à l’humanité – à la chair – et vous aurez tout, en raison de ces croisements de paires, qui fon ensuite des tierces, et qui forment cette sorte de boule de signifiants, boule de langage gigantesque en laquelle tout est signifié. Tel est le un de l’évangile de Jean.

            De ce un nous allons retenir seulement ceci : deux sont un, si vous en avez un, vous aurez l’autre. C’est le cas le plus simple du « que tous soient un… » et à nous de nous demander si nous avons l’expérience de cette unité, que nous pouvons tout à fait décrire comme une unité de fusion  Sommes-nous – suis-je – disposé à vivre cette unité dans le cadre de ma vie spirituelle ? Les disciples de Jésus sont-ils eux-mêmes bien disposé à cet égard ? Et nous avons Pierre qui regardera Jean un peu de haut, après la résurrection, et Jésus lui dira – à Pierre – « si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je revienne, qu’est-ce que ça te fait ? » Chaque être humain est unique, et peut-être que seule une longue vie communautaire de moine ou de moniale, ou une longue aventure de couple, permet d’approcher concrètement de ce un dont nous essayons de parler.

 

            Et nous n’y parvenons pas trop bien. Comme si ce un se dérobait lorsque nous en cherchons une déclinaison concrète dans le but d’une mise en œuvre et d’un résultat qui se compterait en nombre de conversions. Cette lecture est possible mais elle s’oriente vers une certaine violence, la violence de se voir assigner des manières d’être et de prier que vous n’auriez pas choisies, des manières dans lesquelles la parole est confisquée par quelqu’un – le un – et imposée à tous les autres. Cela n’ayant que très peu à voir avec ce dont nous parlons : le un dont parle Jésus exige la réciprocité, il ne se réalise qu’en tant que un plus un.

 

            Mais il ne se réalise pas. Bien sur il est l’horizon du message de l’évangile de Jean. Mais il ne se réalise pas. Si peu, peut-être que ça n’est pas pas du tout, mais suffisamment peu pour que sa réalisation soit l’objet d’une prière, d’une prière adressée au Père par Jésus. L’unité entre les disciples, entre les croyants, va si peu de soi qu’elle résiste aux enseignements de Jésus, et qu’elle doit faire l’objet d’une prière.

            Or lorsque Jésus prie le Père, le un qu’ils forment ensemble est brisé : on n’a plus l’un par l’autre. Jésus brise cette unité. Et je crois que Jésus la brise intentionnellement pour se mettre, si nous comprenons bien, du côté des croyants. La mutilation de l’unité du Père et du Fils se fait au bénéfice des croyants… Ce dont les humains ne sont pas capables, Jésus fait mieux que le leur proposer, il le leur donne. Il se résorbe, il se donne en le leur donnant. Ce qui fait que l’unité n’est plus un point sur un horizon inatteignable, mais un chemin qui pointe vers cet horizon. Comme Jésus se donne aux croyants en priant le Père qu’ils soient un, des croyants se consacreront à leurs semblables non seulement en priant pour eux mais aussi – et disons surtout – en produisant des paroles et des actes conséquents.

            Et à ce point de notre méditation nous pouvons repérer, et signaler, que, tout proche du UN, de l’unité générale tellement travaillée, tellement méditée par l’évangile de Jean, tout proche du UN il y a un autre mot, tout aussi fort… et c’est le mot amour. Nous n’allons pas tout reprendre aujourd’hui, nous allons seulement affirmer que s’unir au sens du UN de l’évangile de Jean, et aimer de cet amour qu’on appelle parfois agapè sont une seule et même réalité.

             

            24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde. 25 Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé. 26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux.»

samedi 24 mai 2025

Une certaine maladie de la foi (Actes 15,1-12)

 Actes 15

1 Certaines gens descendirent alors de Judée, qui enseignaient aux frères : «Si vous ne vous faites pas circoncire selon la règle de Moïse, disaient-ils, vous ne pouvez pas être sauvés.»

2 Un conflit en résulta, et des discussions assez graves opposèrent Paul et Barnabas à ces gens. On décida que Paul, Barnabas et quelques autres monteraient à Jérusalem trouver les apôtres et les anciens à propos de ce différend.

3 L'Église d'Antioche pourvut à leur voyage. Passant par la Phénicie et la Samarie, ils y racontaient la conversion des nations païennes et procuraient ainsi une grande joie à tous les frères.

4 Arrivés à Jérusalem, ils furent accueillis par l'Église, les apôtres et les anciens, et ils les mirent au courant de tout ce que Dieu avait réalisé avec eux.

5 Des fidèles issus du pharisaïsme intervinrent alors pour soutenir qu'il fallait circoncire les païens et leur prescrire d'observer la loi de Moïse.

6 Les apôtres et les anciens se réunirent pour examiner cette affaire.

7 Comme la discussion était devenue vive, Pierre intervint pour déclarer: «Vous le savez, frères, c'est par un choix de Dieu que, dès les premiers jours et chez vous, les nations païennes ont entendu de ma bouche la parole de l'Évangile et ont cru.

8 Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage, quand il leur a donné, comme à nous, l'Esprit Saint, 9 sans faire la moindre différence entre elles et nous. C'est par la foi qu'il a purifié leurs cœurs.

10 Dès lors, pourquoi mettre Dieu à l’épreuve à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons été capables de porter?

11 Encore une fois, c'est par la grâce du Seigneur Jésus, nous le croyons, que nous avons été sauvés, exactement comme eux!»

12 Il y eut alors un silence dans toute l'assemblée…

Prédication : 

Nous sommes à Antioche, aujourd’hui Antakya, ville de Turquie située sur le fleuve Oronte, non loin des côtes du fond du golfe de Chypre, autrefois capitale romaine régionale et point de départ de la route de la soie. Une ville cosmopolite, où se côtoient des gens de toutes origines et de toutes croyances, et c’est là que, pour la première fois de l’histoire connue, des gens se réclamant de Jésus de Nazareth sont appelés chrétiens.

Un jour, des prédicateurs itinérants, s’adressant à ces chrétiens, proclament : « Si vous ne vous faites pas circoncire selon la règle de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. »

Cette proclamation provoqua une vive controverse entre ces prédicateurs et le duo chrétien de choc Paul-Barnabas, controverse qui divisa apparemment aussi la communauté. La circoncision est l’objet de cette controverse, mais quel en est l’enjeu ? Cet enjeu peut être énoncé en deux questions : (1) De quoi faut-il être sauvé ?, (2) Avoir été circoncis est-il une condition de possibilité d’être sauvé ?

Nous répondons provisoirement à la première question : il s’agit d’être sauvé des tourments de la fin des temps et de la damnation éternelle. Réponse très provisoire dans le fil de notre méditation, mais possible en ce temps-là, vu l’effervescence apocalyptique qui accompagnait les derniers soubresauts d’un judaïsme nationaliste et guerrier… Voici pour le quoi.

 

S’agissant du comment, de ce qui est nécessaire pour pouvoir être sauvé, nous sommes de bons protestants et nous n’allons pas nous précipiter sur la réponse que nous connaissons si bien, et qui d’ailleurs figure un peu plus loin dans le texte biblique. Nous allons plutôt nous laisser interpeller par cet enseignement fait à Antioche et par les questions qu’il soulève.

 

Remarquez bien que, depuis le début du texte biblique, le verbe sauver n’est utilisé qu’à la voix passive : être sauvé. Ce qui signifie d’emblée – et nous devons prendre cela très au sérieux – que nul ne peut entreprendre quoi que ce soit qui pourrait constituer une possibilité, ou une certitude, d’être sauvé. On ne se sauve pas soi-même. Et on ne peut donc pas non plus posséder la certitude d’être sauvé...

Si aucune action commise par soi-même ne peut constituer une possibilité ou une certitude d’être sauvé, peut-être qu’une action commise pour soi-même par quelqu’un d’autre suffirait, comme par exemple se faire circoncire... Mais toute certitude par ce moyen, ou par tout autre, est déjà anéantie par le fait même que le verbe sauver est employé à la voix passive, avec en plus la négation. Donc la circoncision elle-même ne sert à rien pour ce qu’il en est d’être sauvé.

La prédication de ces gens-là à Antioche se contredit bien dans ses propres termes. Et il est fort étonnant que la raison n’ait pas pu l’emporter. Il devait y avoir un enjeu passionnel autour de la circoncision, une affaire d’identité, d’image, voire de préséance, de prestige, ou un christianisme à deux vitesses. Devant le tour passionnel que prenait l’affaire, la communauté chrétienne d’Antioche, sagement, décida de prendre avis. Paul, Barnabas et quelques autres montent à Jérusalem... Et il est bien étonnant que d’emblée le lieu de l’autorité soit Jérusalem, et que la controverse y ait rebondi.

 

Notez que la controverse a rebondi à Jérusalem, mais pas à l’identique. Si à Antioche, il avait été enseigné que la circoncision était une condition de possibilité d’être sauvé, la question d’être sauvé disparaît à Jérusalem, et il ne demeure que la question de l’observance de la tradition juive. Circoncision et observance pour les chrétiens, oui, ou non ? Indépendamment de la question d’être sauvé, et indépendamment aussi des choix de mode de vie que chacun peut faire pour son propre compte, cela nous conduit à nous demander si l’on reconnaît un frère en Christ à ce qu’il prie comme vous-même, se nourrit et jeûne comme vous-même, s’habille comme vous-même… Sont-ce les apparences qui permettent de reconnaître le frère, le croyant ?

 

Nous allons répondre que non. A Antioche nous répondions que ce ne sont pas les actes qui font qu’on peut être sauvé. A Jérusalem nous répondons que ce ne sont pas les apparences qui permettent de reconnaître le croyant, et que la dignité de frère selon le Seigneur ne tient pas à ce que le frère – ou la sœur – soit un autre moi-même.

C’est ce que Pierre rappelle parfaitement, en affirmant d’abord que pour ce qu’il en est de savoir qui est croyant ou qui ne l’est pas, c’est Dieu seul qui le sait, lui qui connaît les cœurs, et en affirmant ensuite que, s’agissant d’être sauvé, aucune œuvre humaine n’y peut rien, mais que c’est par la grâce du Seigneur Jésus qu’on a été sauvé ; non pas qu’on le sera peut-être sous telle ou telle condition, mais qu’on l’a été, depuis toujours, gratuitement, observance ou pas, mérite ou pas, Juif ou païen… Nous pouvons imaginer que Pierre rappela ces deux vérités d’une voix de tonnerre : il y eut alors un silence dans toute l’assemblée.

 

Mais nous n’en avons pas fini. S’agissant de ces deux vérités que nous venons de rappeler, nous n’en aurons jamais fini. Avoir été sauvé depuis toujours, parfaitement et gratuitement, est la plus embarrassante des vérités chrétiennes…Et que Dieu seul sache qui sont les siens est une vérité presque aussi embarrassante que la précédente… Toujours, les humains seront tentés de rajouter quelques conditions à la grâce, pour tromper leur embarras face à ce savoir qui n’appartient qu’à Dieu. Toujours, tant que la terre durera !

 

Au moment où ces événements ont lieu, il se pose à la très ancienne tradition juive – et à son tout jeune rameau chrétien aussi – une question qu’elle n’avait fait que commencer à se poser, celle de l’universalité de sa foi, de ses convictions, de son Dieu. Que tous les croyants observent toute la loi de Moïse, répond simplement à la question de l’universalité, mais cela a l’inconvénient majeur d’être totalitaire ; et cela ramène Dieu à une seule image qu’on doit imposer à tous. « …pourquoi provoquer Dieu en imposant à la nuque des disciples un joug que ni nos pères ni nous-mêmes n'avons été capables de porter ? » Cette question est en soi une réponse. Cette réponse que fait Pierre recueille plus naturellement notre approbation, parce qu’elle a le mérite libérer chaque croyant, mais elle pourrait avoir l’inconvénient majeur de faire de chacun une sorte de mesure du tout, et de ramener ainsi Dieu à n’être finalement que le dieu particulier de chacun.

Mais si on la considère dans sa globalité, la réponse de Pierre est une réponse qui a une portée tout à la fois théologique, personnelle et communautaire. Une portée Théologique, parce qu’elle rend gloire à Dieu seul pour la grâce parfaite déjà faite à tous en Jésus Christ, grâce à laquelle il n’y a rien du tout à rajouter, ni circoncision, ni observance. Cette grâce est libératrice. Une portée Personnelle, parce que précisément chacun est appelé à accueillir cette grâce ; et en même temps qu’il l’accueille, à la prodiguer, en particulier en ne faisant pas obligation à autrui d’être semblable à lui. Pour autant, cette libération ne peut jamais constituer un alibi pour vivre n’importe comment. Une portée Communautaire, parce tous ensemble sont appelés à une réciprocité de la grâce, une réciprocité qui s’exprimera, dans la vie communautaire, par une discipline choisie, partagée et modérée.

 

Et ainsi, nous revenons à la première question que nous avons posée : être sauvés, oui, mais de quoi ? Nous répondons qu’il s’agit d’être sauvé de cette maladie de la foi qui consiste à mettre à l’épreuve notre Dieu et nos semblables. Dieu, en faisant comme si sa grâce n’était pas intrinsèquement suffisante. Nos semblables en voulant leur faire croire qu’il faut qu’ils ajoutent des mérites à la grâce.

Nous affirmons que recevoir la foi en cette grâce c’est être sauvé de cette maladie. Alors, la foi en cette grâce, accueillons-la, apprenons chaque jour à la recevoir et à la prodiguer.

Que Dieu nous soit en aide. Amen


samedi 17 mai 2025

Gloire de Dieu gloire des humains (Apocalypse 21,1-5 et Jean 13,31-35)

Apocalypse 21

1 Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n'est plus.

 2 Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu, comme une épouse qui s'est parée pour son époux.

 3 Et j'entendis, venant du trône, une voix forte qui disait: Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux.

 4 Il essuiera toute larme de leurs yeux, La mort ne sera plus. Il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu.

 5 Et celui qui siège sur le trône dit: Voici, je fais toutes choses nouvelles. Puis il dit: Écris: Ces paroles sont certaines et véridiques.

Jean 13

31 Dès que Judas fut sorti, Jésus dit: «Maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui;

 32 Dieu le glorifiera en lui-même, et c'est bientôt qu'il le glorifiera.

 33 Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j'ai dit aux Juifs: ‹Là où je vais, vous ne pouvez venir›, à vous aussi maintenant je le dis.

 34 «Je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.

 35 À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples: à l'amour que vous aurez les uns pour les autres.»

Prédication :

            Gloire. Il nous est proposé de lire quelques versets de l’Apocalypse de Jean, versets où commence ce que nous pourrions appeler la révélation finale. La Jérusalem nouvelle descend du ciel, toutes choses sont faites nouvelles…

            En fait les versets que nous venons de lire sont extraordinairement sobres pour être des versets de ce dernier épisode de l’Apocalypse. Quelques lignes plus loin, il y aura un véritable déluge de superlatifs. Il y aura toutes les matières précieuses connues, dans un plan architectural extrêmement maîtrisé. Rien ne sera trop beau pour décrire cette cité, et la gloire de cette cité. Rien ne sera trop beau pour dire le nouveau, comme si hyper-précieux et nouveau étaient synonymes.

            N’avançons pas trop vite, revenons d’abord à ce qui s’accomplit : toutes choses sont faites nouvelles. Mais que signifie cela, toutes choses sont faites nouvelles ? Toutes choses, les pires, les mauvaises, les bonnes et les meilleures. Si toutes choses sont faites nouvelles, même les meilleures choses sont faites nouvelles. Et là, nous hésitons… pour deux raisons : nous ne sommes pas certains d’être compétents en matière de détermination du meilleur, et nous ne sommes pas capables de parler du meilleur renouvelé : nous n’avons juste pas le vocabulaire nécessaire. Nous hésitons donc sur ces versets.

            Mais celui qui parle, lui, Jean, le voyant de Patmos, comment s’y prend-il pour parler de ce grand renouvellement ? Il se réclame de visions particulières, et il reprend à son propre compte les grands récits merveilleux que son époque, et l’époque précédente, avaient produits. Il prend ces récits, et il les transforme. Il ne s’agit d’ailleurs pas de transformations considérables. La lumière éblouissante, les chasses gigantesques en métaux précieux polis, les pierres précieuses de toutes sortes : « 18 La muraille était construite en jaspe, et la ville était d'or pur, semblable à du verre pur. 19 Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce: le premier fondement était de jaspe, le second de saphir, le troisième de calcédoine, le quatrième d'émeraude, 20 le cinquième de sardonyx, le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d'hyacinthe, le douzième d'améthyste. 21 Les douze portes étaient douze perles; » Tout cela peut être indéfiniment reconduit, les seules transformations notables tiennent au nom de Dieu et au nom de son Fils, lumières intrinsèques – comment en serait-il autrement – qui évoquent, qui représentent la gloire de Dieu.

            Alors, cette ancienne et merveilleuse évocation, cette soupe précieuse cent fois déjà révélée, est-elle la seule manière possible de parler du grand renouvellement de toutes choses ? Évoquer le triomphe du Dieu fort et de son Fils, est-ce la seule manière d’apporter le réconfort et la tranquillité aux fidèles qui, si nous lisons bien le début de l’Apocalypse, avaient été persécutés en raison de leur foi ? Cette vision finale de la gloire divine et de la gloire des serviteurs de Dieu, est-le la seule manière possible pour dire pour dire le renouvellement de tout ?

 

            Les spécialistes des écrits attribués à Jean pensent que l’évangile, les trois petites épîtres et l’Apocalypse sont d’une même école, si ce n’est pas d’une même plume. Ce qui saute aux yeux du lecteur, c’est qu’ils sont au moins d’une même langue. Peut-être pas frères, mais au moins très proches cousins, leurs réflexions s’interpellent, et parfois se complètent.

            Nous avons partagés quelques mots sur la gloire dans l’Apocalypse, mais l’évangile de Jean a, lui aussi, réfléchi sur la gloire.

            Parole de Jésus : « Dès que Judas fut sorti, Jésus dit : "Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui…" » Judas sort. C’est juste après que Jésus l’ait désigné comme celui qui va trahir, et qu’il lui ait recommandé de ne pas tarder à accomplir cette trahison. Et si nous lisons bien – peut-être avons-nous peur de lire, mais c’est pourtant ce qui est écrit – le Fils de l’homme a été glorifié en cette trahison, et Dieu tout autant glorifié par le Fils de l’homme. Nous pensons à Dieu et au Fils de l’homme tels que nous les avons évoqués dans d’autres méditations, grandeurs non mesurables, puissances inépuisables, et nous nous demandons comment une glorification "par le bas", "par la trahison" est possible, et comment elle est même concevable.

            Et bien comme cela arrive souvent dans l’évangile de Jean, il peut être intéressant de revenir au tout début, au commencement, au premier chapitre – son prologue – et, dans ce prologue, à une affirmation décisive, le verbe s’est fait chair (1.14). Certains proposent de traduire Dieu s’est fait homme, ou encore il est devenu un homme. Cet homme, c’est Jésus Christ.

            Quand donc s’est-il fait homme ? N’ayant pas de récit de nativité dans l’évangile de Jean, nous pouvons dire qu’il s’est fait homme, d’un coup d’un seul, ou progressivement, avant le commencement du récit. Mais nous ne pouvons pas trop spéculer sur ce qui n’est pas écrit… et nous dirons que se faire homme, apprendre à être chair, c’est une tâche dont la durée est la durée de l’évangile, allant crescendo jusqu’à la fin… quelle fin ? Et que cette tâche passe par le moment où Jésus accepte d’être trahi.

              L’évangile selon Jean passe nécessairement par la trahison. Seule la chair peut être aussi radicalement trahie que le sera Jésus. Et elle peut être radicalement trahie parce qu’elle est radicalement donnée. L’incarnation de Dieu et sa donation aux humains sont une seule et même chose – une seule et même expérience humaine et divine. Au point culminant de cette expérience, il y a la trahison, dont la possibilité est le signe de la donation de Dieu lui-même à la chair, et dont l’accomplissement jusqu’à la croix est le signe de l’amour de Dieu (ou don de Dieu – c’est la même chose) pour la chair, pour les humains.

            Et c’est pour cette raison aussi qu’il parle ici d’amour. « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ». Et c’est pour cette raison que Jésus parle ici de gloire.

 

            Ce qui fait que nous avons deux fois parlé de gloire. Une fois de la gloire extrêmement élevée, brillante, merveilleuse qui, de très haut et de très loin dans le futur surplombe l’humanité ; inatteignable sauf par vision divine, puis surtout par le génie flamboyant des écrivains biblique. Et une autre fois d’une gloire que nous qualifierons d’éthique, la gloire du Fils de l’homme, qui est gloire de Dieu, étant de s’engager absolument, éperdument, dans l’humanité et pour l’humanité, au risque connu et assumé d’être trahi par ses semblables, risque avéré, nous le savons, dans l’évangile.

            Autant la première gloire est la gloire d’un Dieu fort et lointain, autant la seconde gloire est la gloire d’un Dieu tout proche, aimant et faible.

           

            Est-ce la même gloire ? Le soleil étincelant de la Jérusalem nouvelle est-il aussi le coucher de soleil lamentable sur le Golgotha du Vendredi Saint ? C’est la même gloire en ses variations les plus extrêmes. La même gloire, celle de Dieu, celle des humains.


samedi 10 mai 2025

Des paroles et des actes (Jean 10,27-30 & Actes 13,14-52 - extraits)

Jean 10

27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite.

 28 Et moi, je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main.

 29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main du Père.

 30 Moi et le Père nous sommes un.»

Actes 13

14 Quant à eux, quittant Pergé, ils poursuivirent leur route et arrivèrent à Antioche de Pisidie. Le jour du sabbat, ils entrèrent dans la synagogue et s'assirent.

 15 Après la lecture de la Loi et des Prophètes, les chefs de la synagogue leur firent dire: «Frères, si vous avez quelques mots d'exhortation à adresser au peuple, prenez la parole!»

 16 Paul alors se leva, fit signe de la main et dit: «Israélites, et vous qui craignez Dieu, écoutez-moi.

 17 Le Dieu de notre peuple d'Israël a choisi nos pères. Il a fait grandir le peuple pendant son séjour au pays d'Égypte; puis, à la force du bras, il les en a fait sortir;

 18 pendant quarante ans environ, il les a nourris au désert;

 19 ensuite, après avoir exterminé sept nations au pays de Canaan, il a distribué leur territoire en héritage:

 20 tout cela a duré quatre cent cinquante ans environ. Après quoi, il leur a donné des juges jusqu'au prophète Samuel.

 21 Ils ont alors réclamé un roi, et Dieu leur a donné Saül, fils de Kis, membre de la tribu de Benjamin, qui régna quarante ans.

 22 Après l'avoir déposé, Dieu leur a suscité David comme roi. (…)

 23 C'est de sa descendance que Dieu, selon sa promesse, a fait sortir Jésus, le Sauveur d'Israël. (…)

 26 «Frères, que vous soyez des fils de la race d'Abraham ou de ceux, parmi vous, qui craignent Dieu, c'est à nous que cette parole de salut a été envoyée.

 27 La population de Jérusalem et ses chefs ont méconnu Jésus; et, en le condamnant, ils ont accompli les paroles des prophètes qu'on lit chaque sabbat.

 28 Sans avoir trouvé aucune raison de le mettre à mort, ils ont demandé à Pilate de le faire périr

 29 et, une fois qu'ils ont eu accompli tout ce qui était écrit à son sujet, ils l'ont descendu du bois et déposé dans un tombeau.

 30 Mais Dieu l'a ressuscité des morts, (…)

38 Sachez-le donc, frères, c'est grâce à lui que vous vient l'annonce du pardon des péchés, et cette justification que vous n'avez pas pu trouver dans la loi de Moïse,

 39 c'est en lui qu'elle est pleinement accordée à tout homme qui croit.

 40 «Prenez donc garde d'être atteints par cette parole des prophètes:

 41 Regardez, vous les arrogants, soyez frappés de stupeur et disparaissez! Je vais en effet, de votre vivant, accomplir une œuvre, une œuvre que vous ne croiriez pas si quelqu'un vous la racontait.»

 42 À leur sortie, on pria instamment Paul et Barnabas de reparler du même sujet le sabbat suivant.

 

 43 Quand l'assemblée se fut dispersée, un bon nombre de Juifs et de prosélytes adorateurs accompagnèrent Paul et Barnabas qui, dans leurs entretiens avec eux, les engageaient à rester attachés à la grâce de Dieu.

 

 44 Le sabbat venu, presque toute la ville s'était rassemblée pour écouter la parole du Seigneur.

 45 À la vue de cette foule, les Juifs furent pris de fureur, et c'était des injures qu'ils opposaient aux paroles de Paul.

 46 Paul et Barnabas eurent alors la hardiesse de déclarer: «C'est à vous d'abord que devait être adressée la parole de Dieu! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens.

 47 Car tel est bien l'ordre que nous tenons du Seigneur: Je t'ai établi lumière des nations, pour que tu apportes le salut aux extrémités de la terre.»

 48 À ces mots, les païens, tout joyeux, glorifiaient la parole du Seigneur, et tous ceux qui se trouvaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants.

 49 La parole du Seigneur gagnait toute la contrée.

 50 Mais les Juifs jetèrent l'agitation parmi les femmes de haut rang qui adoraient Dieu ainsi que parmi les notables de la ville; ils provoquèrent une persécution contre Paul et Barnabas et les chassèrent de leur territoire.

 51 Ceux-ci, ayant secoué contre eux la poussière de leurs pieds, gagnèrent Iconium;

 52 quant aux disciples, ils restaient remplis de joie et d'Esprit Saint.

 Prédication

            Et voici une très longue lecture dans le 13ème chapitre des Actes des Apôtres. Et en même temps, nous avons une autre lecture, exceptionnellement courte, quatre versets de l’évangile de Jean, qui semblent devoir ne soutenir qu’une seule leçon, que voici, dans la bouche de Jésus : « Moi et le Père, nous sommes un ». Oui, ce pourrait être la leçon à retenir, qui va tellement bien fonder bibliquement ce que la chrétienté confessera dans les siècles qui suivront – et encore maintenant (Père, Fils, une seule nature, voire une seule substance – une actualité un peu récente au sein du catholicisme, qui a changé sa traduction du Crédo de Nicée : le Fils était de même nature que le Père, mais maintenant il faut dire que le Fils est consubstantiel au Père…)(mais pourquoi est-il devenu nécessaire que soit introduite aujourd’hui la notion de substance dans la liturgie ?).

            L’unité du Père et du Fils, confession qui nous vient de l’évangile de Jean, pourrait assez bien faire affaire avec ce qui nous vient des Actes des Apôtres (13,52), à savoir ce qu’il faut de Saint Esprit pour que le paysage trinitaire soit juste bien en place. Et est qui lie donc Actes et Jean, leurs auteurs ne le savent pas encore vu qu’ils écrivent chacun dans sa propre tradition. Ce qui les lie finira par se conjoindre dans certains textes anciens, capitaux, par exemple la Confession de foi de Nicée en 325 (1700ème anniversaire cette année). Et c’est tellement important que certains iront affirmer que c’est dans les confessions de foi de l’Église ancienne que la plénitude de la révélation advient.

            Manière de chercher à décider si l’origine et la norme de la foi sont situées dans le témoignage biblique, le témoignage des écritures toujours re-médité, ou si elles doivent être situées dans les anciennes réflexions de l’Église des premiers temps. Et bien, ces questions sont de précieuses questions, et il y a plusieurs réponses possibles.

           

            Je voudrais partager avec vous une autre approche. Mais pour ce faire, il nous faut d’abord rajouter quelques versets à l’évangile qui nous est proposé. Reprenons à « Moi et le Père, nous sommes un. » Voici la suite : « 31 Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider. 32 Mais Jésus reprit: "Je vous ai fait voir tant d'œuvres belles qui venaient du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider?" 33 Les Juifs lui répondirent: "Ce n'est pas pour une belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui es un homme tu te fais Dieu." »… Les précisions que donne alors Jésus se finissent sur un « …le Père est en moi comme je suis dans le Père » qui provoque de nouveau une tentative d’arrestation, mais Jésus parvient à s’éclipser.

            En élargissant ainsi la lecture, nous apprécions que ces deux textes sont liés non pas par la confession de foi en germes et qui viendra, mais sont plutôt liés par la violence immédiate. Violence dans les mots, dans les gestes, dans les intentions, la violence est partout et on sent la mort qui rode. Mais pour quelles raisons cette violence ?

            « Moi, et le Père, nous sommes un », affirme Jésus, et à cause de cette phrase, on veut le mettre à mort, parce qu’il se fait Dieu. Pourtant, dans cette phrase, il n’y a rien que Jésus se fasse, et surtout pas un mouvement disons du bas vers le haut par lequel il se hausserait au-dessus de son humaine condition. La phrase de Jésus est juste déclarative : elle déclare que le Père et Jésus, lui, le Fils, sont un (il n’y a pas 36 manières de le dire), ils sont un et le lieu de cette unité n’est pas le très-haut ou l’au-delà des cieux, mais ici-bas. Le lieu de cette unité est ici-bas, et le lecteur n’a pas de mal à comprendre ici-bas parce que tout l’évangile de Jean s’inscrit dans une perspective définie dès son premier chapitre, du haut vers le bas : « …et le Verbe s’est fait chair. »

            Ainsi lorsque Jésus affirme que « Moi, et le Père, nous sommes un », il affirme qu’il n’y a de Dieu que là où l’homme Jésus fait ce que Dieu fait, et qu’il n’y a de parole de Dieu que là où l’homme Jésus parle. Blasphème ?

            Comme nous avons choisi depuis longtemps une compréhension très ouverte de « le Verbe s’est fait chair », ce que nous venons de dire de l’unité du Père et du Fils ne concerne pas Jésus seul mais chacune, chacun, de ceux qui croient.

            Dans cette perspective, il n’y a pas de Dieu tout puissant dominateur, mais un serviteur, Dieu serviteur, c'est-à-dire que tout ce que Dieu fait est fait par un être humain, par des êtres humains, sous les auspices de l’amour (langage de l’évangile de Jean), c’est fait et c’est offert, ça ne s’impose pas de soi… cela s’impose tellement peu que les œuvres de Jésus sont laissées de côté par ses détracteurs, elles n’ont manifestement pas de poids pour ceux que seul intéresse un soi-disant blasphème.

            Ils accusent Jésus de blasphème et lorsque Jésus leur fournit de précieuses – et théologiques – explications, ils crient au blasphème encore plus fort.

            Ils cherchent à mettre Jésus à mort. Ça n’est pas une question d’élimination opportune d’un concurrent. C’est une affaire de jalousie et de haine. Jalousie, parce qu’ils réalisent soudain que Dieu se manifeste ; or, ça n’est pas par eux qu’il se manifeste. Haine, parce qu’ils s’imaginaient être les seuls par lesquels Dieu se manifesterait, or, ils réalisent qu’il n’en est rien… La jalousie et la haine sont des sentiments violents, qui exigent l’anéantissement de ce qui est leur cause.

 

            Et qu’en est-il de tout cela à Antioche de Pisidie, bien loin de Jérusalem et de ses traditions sacrées ? Il y a une synagogue, qui accueille une communauté juive, mais qui semble en ce temps là avoir été ouverte aussi à des craignants Dieu, ainsi qu’à des femmes de haut rang. Cette synagogue a aussi des chefs et, selon l’usage, après la lecture de la Loi et des Prophètes, proposition est faite à des hommes de passage de prendre la parole pour quelques mots d’exhortation.

            En fait de quelques mots, Paul leur propose un catéchisme – 26 versets – complet, qui semble être bien accueilli, tellement bien accueilli que Paul et son acolyte Barnabas sont invités à revenir le sabbat suivant. Et c’est alors que ça se passe mal… Mais pourquoi ? Presque toute la ville se rassemble, nous dit-on, pour les entendre. Et c’est au vu de ce succès que ça tourne mal. Sans que cela soit une question de contenu du discours. Peut-être que pendant la semaine, les chefs de la synagogue ont médité ce qu’ils avaient entendu, mais c’est seulement peut-être. Leur rage, et leurs insultes, c’est juste une question d’influence, et d’affluence. C’est très basique, voire vulgaire. Ce sont des gens qui, peut-être, ont une affaire prospère et n’entendent pas en être défait. Manière pour nous de dire qu’une partie du Judaïsme de l’époque n’avait pas attendu les apôtres pour s’ouvrir aux nations, aux étrangers, et peut-être aussi, opportunément, à des femmes riches...

            Alors, entre les apôtres et la synagogue d’Antioche de Pisidie, est-ce seulement une question d’effectifs, c'est-à-dire de succès ? N’y a-t-il pas une discussion, n’y a-t-il pas un espace, même très réduit, pour une discussion qui permettrait, peut-être, une conciliation, voire une entente ? Non… c’est le message des apôtres, contre la hargne des gens du cru.

            Ça ne finit pas avec la mort, comme à Jérusalem, mais dans une rupture. La rupture a lieu, elle est consommée lorsqu’ils sont chassés de la ville et du territoire de la ville…

 

            Bien sûr, ils vont aller prêcher ailleurs. Et bien sûr, les nouveaux disciples faits à Antioche resteront « remplis de joie et d’Esprit Saint ». C’est ainsi dans l’histoire des Actes de Apôtres. Nous pouvons évidemment nous réjouir de cette expansion du jeune christianisme. Nous pouvons aussi nous interroger – toujours, aujourd’hui – si autrement est possible, autrement que la haine et la jalousie que nous avons vues se manifester dans les deux lieux que nous venons de visiter.

            Autrement est-il possible ? Et nous dirons – résolument – oui. Autrement que par nous, par d’autres que nous, aussi, Dieu parle, lorsque les humains répondent aux deux questions fondamentales : qu’appelles-tu ton Dieu ? et que fais-tu de ton prochain ?

samedi 3 mai 2025

Apparitions et convictions (Jean 21,1-22)

Vous m'excuserez j'espère pour la présentation un peu bazar de ce sermon. Il a fallu le récupérer... rien ne marchait. 

Jean 21

1 Après cela, Jésus se manifesta de nouveau aux disciples sur les bords de la mer de Tibériade. Voici comment il se manifesta.

2 Simon-Pierre, Thomas qu'on appelle Didyme, Nathanaël de Cana de Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvaient ensemble.

3 Simon-Pierre leur dit: «Je vais pêcher.» Ils lui dirent: «Nous allons avec toi.» Ils sortirent et montèrent dans la barque, mais cette nuit-là, ils ne prirent rien.

4 C'était déjà le matin; Jésus se tint là sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était lui.

5 Il leur dit: «Eh, les enfants, n'avez-vous pas un peu de poisson?» - «Non», lui répondirent-ils.

6 Il leur dit: «Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez.» Ils le jetèrent et il y eut tant de poissons qu'ils ne pouvaient plus le ramener.

7 Le disciple que Jésus aimait dit alors à Pierre: «C'est le Seigneur!» Dès qu'il eut entendu que c'était le Seigneur, Simon-Pierre ceignit un vêtement, car il était nu, et il se jeta à la mer.

8 Les autres disciples revinrent avec la barque, en tirant le filet plein de poissons: ils n'étaient pas bien loin de la rive, à deux cents coudées environ.

9 Une fois descendus à terre, ils virent un feu de braise sur lequel on avait disposé du poisson et du pain.

10 Jésus leur dit: «Apportez donc ces poissons que vous venez de prendre.»

11 Simon-Pierre remonta donc dans la barque et il tira à terre le filet que remplissaient cent cinquante-trois gros poissons, et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchira pas.

12 Jésus leur dit: «Venez déjeuner.» Aucun des disciples n'osait lui poser la question: «Qui es-tu?»: ils savaient bien que c'était le Seigneur.

13 Alors Jésus vient; il prend le pain et le leur donne; il fit de même avec le poisson.

14 Ce fut la troisième fois que Jésus se manifesta à ses disciples depuis qu'il s'était relevé d'entre les morts.

15 Après le repas, Jésus dit à Simon-Pierre: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu plus que ceux-ci?» Il répondit: «Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime», et Jésus lui dit alors: «Pais mes agneaux.»

16 Une seconde fois, Jésus lui dit: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?» Il répondit: «Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime.» Jésus dit: «Sois le berger de mes brebis.»

17 Une troisième fois, il dit: «Simon, fils de Jean, m'aimes-tu?» Pierre fut attristé de ce que Jésus lui avait dit une troisième fois: «M'aimes-tu?», et il reprit: «Seigneur, toi qui connais toutes choses, tu sais bien que je t'aime.» Et Jésus lui dit: «Pais mes brebis.

18 En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu nouais ta ceinture et tu allais où tu voulais; lorsque tu seras devenu vieux, tu étendras les mains et c'est un autre qui nouera ta ceinture et qui te conduira là où tu ne voudrais pas.»

19 Jésus parla ainsi pour indiquer de quelle mort Pierre devait glorifier Dieu; et après cette parole, il lui dit: «Suis-moi.»

20 Pierre, s'étant retourné, vit derrière lui le disciple que Jésus aimait, celui qui, au cours du repas, s'était penché vers sa poitrine et qui avait dit: «Seigneur, qui est celui qui va te livrer?»

21 Quand il le vit, Pierre dit à Jésus: «Et lui, Seigneur, que lui arrivera-t-il?»

22 Jésus lui répondit: «Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe? Toi, suis-moi.»

Prédication

             Au fil de cette scène, Pierre se voit projeté au premier plan : les trois questions de Jésus, et les réponses, lui valent une investiture personnelle. Il est assez certain que, dès les premiers temps de l’Eglise (disons la fin du premier siècle), Pierre et ses « successeurs » occupaient une position vraiment importante dans la toute jeune tradition chrétienne. Pourtant, dans le texte que nous lisons, Pierre constate qu’il n’est pas « le seul ». « Et lui ? », demande-t-il alors à Jésus ? Et l’autre disciple ? C’est que, même si une partie du jeune christianisme se réclame de Pierre, il y a une autre partie du jeune christianisme qui se réclame de Jean, « le disciple que Jésus aimait ». Est-ce à dire que Jésus aimait l’un d’entre ses disciples, et n’aimait pas les autres ? On ne peut pas soutenir une telle idée. Tout au plus peut-on affirmer que le meilleur des maîtres pouvait entretenir avec chacun de ses disciples une relation personnalisée. Et peut-être qu’avec tel de ses disciples – Pierre – Jésus avait une relation didactique, et un peu ombrageuse, mais qu’il avait avec tel autre – Jean – une relation plus intuitive, plus affective… Toujours est-il qu’investi d’une triple autorité, Pierre se voit confronté à l’existence d’un courant du jeune christianisme qui échappe d’emblée à son autorité. Alors, de quoi Pierre a-t-il été investi ? Quel est ce courant qui échappe à son autorité ? Nous allons nous intéresser à cela.

            (1) Première investiture et première autorité de Pierre, « Pais mes agneaux », lui dit Jésus. L’agneau, c’est le petit de la brebis. L’agneau n’a pas la force de se déplacer sur de longues distances, il faut patiemment le nourrir, le temps qu’il grandisse. Allégorie : l’agneau, c’est le jeune chrétien, à qui il faut apprendre à parler, à prier… qu’il faut protéger aussi. La première autorité de Pierre, c’est l’autorité d’un pâtre, c’est une autorité pédagogique, l’autorité d’un précepteur, d’un catéchète. Mais nul ne reste enfant bien longtemps et ce n’est pas là où l’on a vu le jour qu’on fait sa vie, en général. On y prend, ou reprend des forces seulement dans la perspective d’un départ.

            (2) D’où la seconde investiture et la seconde autorité de Pierre, « Sois le berger de mes brebis », lui dit Jésus. Si le pâtre doit seulement veiller sur les bêtes au pâturage, le berger doit être capable de faire se déplacer le troupeau, de trouver pour les bêtes et (allégorie) pour les fidèles, le lieu et la nourriture spirituels qui conviennent aux circonstances. La seconde autorité de Pierre est une autorité pastorale. Elle est totalement nécessaire en temps de crise. Peut-être est-elle un peu moins nécessaire lorsque le calme est revenu.

            (3) Mais ça n’est pas tout. Car même menées – on l’espère – au meilleur endroit possible qui leur convienne, les brebis sont parfois un peu dissipées, indisciplinées, pressées. Troisième investiture et troisième autorité de Pierre, « Sois le pâtre de mes brebis », lui dit Jésus. Et (allégorie) il s’agit alors de nouveau de veiller sur les brebis. Il s’agit d’une autorité doctrinale. L’autorité doctrinale, c’est l’art de tracer les frontières, non pas pour empêcher les brebis et les fidèles d’aller chercher une herbe plus verte dans le pré d’à côté, mais bien plutôt pour développer leur sens critique, pour qu’elles ne se laissent pas refiler n’importe quoi par n’importe qui. Pierre donc reçoit cette triple investiture, qui correspond à une triple autorité : catéchétique, pastorale, et doctrinale. Cette triple autorité et, de fait, les trois ministères qui lui correspondent sont totalement nécessaires pour organiser l’Eglise… On peut bien sûr se demander pourquoi ces trois ministères sont dévolus au seul Pierre mais cela semble aller de soi dans notre texte. Pierre est triplement investi après qu’une certaine question lui a été posée trois fois par Jésus. Cette question ? « M’aimes-tu ? » Pierre, qui est catéchète, pasteur et docteur, qu’aime-t-il dans l’exercice de ses ministères ? Aime-t-il le ministère pour lui-même, ou aime-t-il son Seigneur, Jésus ? Le ministère de catéchète, s’il n’est pas porté par l’amour de Jésus, risque d’être une perversion ; le ministère pastoral, s’il n’est pas porté par l’amour de Jésus, risque d’être une manipulation ; et le ministère doctrinal, s’il n’est pas porté par l’amour de Jésus, risque d’être une domination. « Pierre, m’aimes-tu ? », et m’aimes-tu plus que ceux-ci ne m’aiment, et m’aimes-tu plus que tu ne les aimes ? Si cet amour manque, l’Eglise n’est plus l’Eglise de Jésus Christ mais une entreprise d’asservissement des âmes… Mais Pierre aime Jésus, il le déclare par trois fois. Et Jésus, qui connaît bien son disciple, et qui sonde son coeur… l’investit. Vous pourrez ici, en bon protestants, objecter que l’investiture de Pierre et la primauté de Pierre, des successeurs de Pierre, et du siège épiscopal romain, ne vous concernent guère… Mais, en bon protestants aussi, vous savez que chacun est investi d’une part du ministère de l’Eglise, que chacun est catéchète, pasteur ou docteur. Vous savez bien que témoigner, accompagner, rendre compte de sa foi, c’est l’ordinaire du chrétien. Alors la question posée à Pierre est posée à chaque lecteur de l’évangile, elle est posée par Jésus à chacun d’entre nous : « M’aimes-tu ? ». Chacun peut s’examiner, et chacun peut répondre. Cependant, même à supposer que ces ministères soient mis en place dans l’Eglise, et que chaque membre de l’Eglise en assume bravement sa part, il reste que tout n’est pas encore dit. Pierre, se retourne, et voit Jean… et il voit qu’il y a quelqu’un, il voit qu’il y a quelque chose, qui lui échappe et qui échappe aux ministères institués. Et Pierre pressent que cela va lui échapper toujours. Alors il demande à Jésus : « Et lui, et l’autre, cet autre disciple ? »

L’autre, c’est le disciple que Jésus aimait. L’autre, c’est celui dont l’évangile commence par « le verbe est Dieu » « et le Verbe se fait chair », cet évangile qui met en place l’unité du Père et du Fils, et qui institue le « comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie », avec cette puissance d’amour qui unit le ciel et la terre, qui unit les hommes et Dieu. Ce disciple, celui que Jésus aimait, ramène tout à l’intime, tout au sentiment… Et ainsi, face à la puissance organisatrice des ministères de l’Eglise, il y a la puissance de l’union avec le divin. Face au catéchisme, à la liturgie et aux confessions de foi de l’Eglise, il y a la puissance irréductible et inexplicable de la mystique. Et Pierre, pour un peu, opposerait les médiations de l’Eglise à l’immédiat de la mystique. Pour un peu, Pierre demanderait à son Seigneur de le débarrasser de « ça ». Réponse de Jésus à Pierre, en parlant de Jean : « Et si je veux qu’il existe jusqu’à ce que je revienne, qu’est-ce que ça peut te faire ? » Ainsi, déclare Jésus, pour toujours ce que représentent Jean et son Evangile demeureront. Pour toujours, parce que le Verbe s’est fait chair, la chair aura cette irréductible capacité à s’unir au divin. Et pour toujours cette puissance sera l’embarras des ministères de l’Eglise qu’elle dépasse, qu’elle interroge… mais que parfois aussi elle stimule et elle féconde. Car parfois l’Eglise peut mettre tellement en avant ses ministères qu’elle en oublie sa raison d’être, son Seigneur, et qu’elle oublie aussi la question posée par Jésus à Pierre : « M’aimes-tu ? »

Ainsi, et pour toujours, Jean interpelle Pierre. Pour toujours, l’indicible puissance de l’amour interpelle prophétiquement la puissance organisatrice de l’Eglise