samedi 11 janvier 2025

Le fils de Dieu, unique et singulier (Luc 3,15-38)

Psaume 2

1 Pourquoi cette agitation des peuples, ces grondements inutiles des nations?

 2 Les rois de la terre s'insurgent et les grands conspirent entre eux, contre le SEIGNEUR et contre son messie:

 3 «Brisons leurs liens, rejetons leurs entraves.»

 4 Il rit, celui qui siège dans les cieux; le Seigneur se moque d'eux.

 5 Alors il leur parle avec colère, et sa fureur les épouvante:

 6 «Moi, j'ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte.»

 7 Je publierai le décret: le SEIGNEUR m'a dit: «Tu es mon fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré.

 8 Demande-moi, et je te donne les nations comme patrimoine, en propriété les extrémités de la terre.

 9 Tu les écraseras avec un sceptre de fer, et, comme un vase de potier, tu les mettras en pièces.»

 10 Et maintenant, rois, soyez intelligents; laissez-vous corriger, juges de la terre!

 11 Servez le SEIGNEUR avec crainte, exultez en tremblant;

 12 - rendez hommage au fils; sinon il se fâche, et vous périssez en chemin, un rien, et sa colère s'enflamme! Heureux tous ceux dont il est le refuge.

 Luc 3

15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie?

16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu;

17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»

18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

19 Mais Hérode le tétrarque, qu'il blâmait au sujet d'Hérodiade, la femme de son frère, et de tous les forfaits qu'il avait commis,

20 ajouta encore ceci à tout le reste: il enferma Jean en prison.

 21 Or comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait; alors le ciel s'ouvrit;

22 l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel: «Tu es mon fils, le bien aimé, en toi je me reconnais.» {aujourd’hui je t’ai engendré}

 23 Jésus, à ses débuts, avait environ trente ans. Il était, à ce qu’on disait, fils de Joseph, fils de Héli, 24 fils de Matthat, fils de Lévi, fils de Melchi, fils de Iannaï, fils de Joseph, (…) 37 fils de Mathousala, fils de Hénoch, fils de Iaret, fils de Maléléel, fils de Kaïnam, 38 fils d'Enôs, fils de Seth, fils d'Adam, fils de Dieu.

Prédication :

            Au jour du baptême de Jésus, une voix du ciel se fait entendre. Mais qu’a-t-elle vraiment dit ? Les trois premiers évangiles sont unanimement d’accord pour que cette voix parle. Ils sont même tous  presque d’accord pour que cette voix annonce que Jésus est le Fils de Dieu. Mais ils ne sont pas tous d’accord pour qualifier cette filiation. Ce désaccord est même à l’intérieur même de chaque évangile. S’agissant seulement de Luc, certains des plus anciens témoins proposent : «…aujourd’hui, je t’ai engendré. », et d’autres témoins autre chose : « …en toi je me reconnais. ».

            Si c’est au jour de son baptême que Dieu engendre Jésus en tant que son Fils, cela signifie que jusque là Jésus n’était pas son Fils. Mais si au jour du baptême Dieu proclame qu’en Jésus il se reconnaît, cela signifie que Jésus était déjà en quelque manière supérieur à Dieu auparavant… mais depuis quand ? Souvenons-nous d’un court échange entre Marie et l’ange. Marie : « Mais comment cela se fera-t-il, puisque je n’ai point eu de rapport avec un homme ? » L’ange à Marie : « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu (et on n’a pas l’article). » (Luc 1,34-35) Jésus est-il Fils de Dieu depuis que la puissance du Très Haut a couvert Marie de son ombre ? Difficile de répondre oui ; parce que l’ange dit : il sera appelé Fils de Dieu ; l’ange ne dit pas qu’il sera le Fils de Dieu. L’ange suggère ainsi que Fils de Dieu n’est pas une qualité qui n’appartient qu’à un seul homme, mais un titre attribué à certains hommes particulièrement consacrés à Dieu. Non, l’ange ne dit pas de Jésus qu’il est le Fils de Dieu. Faut-il alors chercher plus loin encore en remontant l’évangile de Luc, et en remontant le temps ? On ne trouvera rien, presque rien…Et le seul constat que nous pouvons faire est que l’évangile de Luc prend acte d’un décalage qui a eu lieu. On appelait Fils de Dieu des hommes distingués, appelés aussi Messie (Psaume 2,7), qui s’étaient particulièrement consacrés à Dieu. C’est attesté dans des écrits qui ont précédé de quelques siècles les évangiles ; et l’on affirme un jour que Jésus a été le Fils de Dieu (et en disant le Fils de Dieu, on laisse entendre qu’il n’y en a pas eu d’autre et qu’il n’y en aura pas d’autres).

            Jésus est-il devenu le Fils de Dieu au jour de son baptême ? Ou bien l’était-il depuis toujours ? Nous n’allons pas trancher là où le texte biblique lui-même hésite. Ce qui nous est proposé ce matin, lecteurs de l’évangile de Luc, c’est, à partir du baptême de Jésus, de le reconnaître comme le Fils de Dieu, unique.

            Reconnaissons-le donc comme unique Fils de Dieu. A quoi cela nous engage-t-il ? À approfondir notre lecture en nous demandant comment Jésus va être unique, et à quoi le fait d’être le Fils de Dieu va le conduire.

            Quand donc Jésus va-t-il de nouveau être appelé le Fils de Dieu ?

  1. Il va être appelé Fils de Dieu – mais sans l’article – dans la généalogie qu’on donne de lui. Et cette généalogie est précédée d’un « à ce qu’on disait… ». Mais ça n’est qu’une généalogie… les généalogies sont instables, et celle-ci, comme toutes les autres, ne peut guère valoir grand-chose : « il était, à ce qu’on croyait… » crédulité.
  2. Jésus va aussi être appelé Fils de Dieu lors du récit des tentations. Il n’est pas appelé le Fils de Dieu, comme si ces tentations étaient celles de tous ceux qui se consacrent à Dieu, si peu que ce soit. On peut dire aussi que c’est par provocation que le diable l’appelle seulement Fils de Dieu et non pas le Fils de Dieu… C’est bien de toute manière Jésus qui est ici tenté, et d’une manière particulièrement redoutable.
    1. Il est tenté de faire ce qu’il veut des choses, pour se contenter lui-même. Et il ne cèdera pas.
    2. Il est tenté de faire ce qu’il veut des humains, également pour se contenter lui-même. Et il ne cèdera pas.
    3. Il est tenté de faire ce qu’il veut de Dieu, toujours pour se contenter lui-même. Et il ne cèdera pas. Le Fils de Dieu n’exige rien de Dieu, mais reçoit tout de Dieu. Le Fils de Dieu est pur serviteur.
  3. Les démons que Jésus chasse l’appellent le Fils de Dieu (Luc 4,41)… mais il les empêche de parler, parce qu’ils le connaissent. Et leur connaissance n’est pas une reconnaissance. Parce qu’elle relève d’un savoir, et non pas d’une confession de foi.
  4. Et la dernière fois qu’il sera appelé le Fils de Dieu, ce sera par ses accusateurs… par ceux qui l’ont condamné sans jamais vouloir l’entendre, et pour ne jamais l’entendre en tant justement que le Fils de Dieu.

 

Être le Fils de Dieu c’est, dans l’évangile de Luc, déclarer insignifiante la généalogie, refuser tout exercice égoïste du pouvoir, réduire au silence ceux qui savent, et enfin c’est garder le silence devant les hypocrites et les meurtriers.

Être le Fils de Dieu, en somme, dans l’évangile de Luc, ça ne se revendique pas, ça ne se crie pas, ça ne se sait pas. Tout se passe comme si l’évangile de Luc avait souhaité que la qualité du Fils de Dieu ne puisse qu’être entraperçue… Mais pourquoi ?

Nous avons parlé d’un glissement de sens. Fils de Dieu désignait des hommes particulièrement consacrés à Dieu… mais affirmer d’un homme particulier qu’il est le Fils de Dieu revient à minimiser le rôle des autres, et à affirmer qu’il n’y en aura plus d’autre.

Probablement que, dans l’histoire, l’affirmation que Jésus était le Fils de Dieu est-elle devenue très rapidement une pierre d’achoppement entre des humains se réclamant pourtant du même Dieu. Est-il, oui ou non, le Fils de Dieu ? S’il l’est, comment l’est-il ? Qu’il soit le Fils de Dieu est d’ailleurs une affirmation qui divise encore aujourd’hui. Peut-être pas les chrétiens entre eux, encore que… mais entre monothéistes, c’est une toute autre affaire. Pourquoi a-t-elle divisé, et pourquoi divise-t-elle encore ? Qu’est-ce qu’affirmer que Jésus est le Fils de Dieu ? Est-ce une confession de la foi, résolue mais modeste, d’une personne, qui dit « je crois… », ou l’affirmation catégorique et non discutable d’un savoir révélé et absolu ? Est-ce de la théologie et de la liturgie, ou est-ce une certaine manière de vivre ?

Luc, il est peut-être le premier des auteurs chrétiens à le faire, invite ses lecteurs à réfléchir sérieusement sur ces dernières questions. Luc ne récuse pas du tout que Jésus soit le Fils de Dieu, mais il démonte très efficacement tout ce qui pourrait ressembler à des preuves, à des auto-affirmations ; il conteste tout ce qui pourrait obliger à professer, tout ce qui pourrait permettre de prétendre qu’on sait, et Luc, finalement, ne laisse de qu’à ce que j’appellerai la décision de croire.

Puissions-nous prendre, et toujours reprendre la décision de croire. Amen