samedi 25 janvier 2025

Pour un verset de plus (Luc 1,1-4 & 4,14-21 ; 1Corinthiens 12,12-30 ; Néhémie 8,1-11)

Luc 1

1 Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous,

 2 d'après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la parole,

 3 il m'a paru bon, à moi aussi, après m'être soigneusement informé de tout à partir des origines, d'en écrire pour toi un récit ordonné, très honorable Théophile,

 4 afin que tu puisses constater la solidité des enseignements que tu as reçus.

 

 Luc 4

14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.

 15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.

 16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.

 17 On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:

 18 L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,

 19 proclamer une année d'accueil par le Seigneur.

 20 Il roula le livre, le rendit au servant et s'assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.

 21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez.»

 

1 Corinthiens 12

12 En effet, prenons une comparaison: le corps est un, et pourtant il a plusieurs membres; mais tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps: il en est de même du Christ.

 13 Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons tous été abreuvés d'un seul Esprit.

 14 Le corps, en effet, ne se compose pas d'un seul membre, mais de plusieurs.

 15 Si le pied disait: «Comme je ne suis pas une main, je ne fais pas partie du corps», cesserait-il pour autant d'appartenir au corps?

 16 Si l'oreille disait: «Comme je ne suis pas un oeil, je ne fais pas partie du corps», cesserait-elle pour autant d'appartenir au corps?

 17 Si le corps entier était oeil, où serait l'ouïe? Si tout était oreille, où serait l'odorat?

 18 Mais Dieu a disposé dans le corps chacun des membres, selon sa volonté.

 19 Si l'ensemble était un seul membre, où serait le corps?

 20 Il y a donc plusieurs membres, mais un seul corps.

 21 L'oeil ne peut pas dire à la main: «Je n'ai pas besoin de toi», ni la tête dire aux pieds: «Je n'ai pas besoin de vous.»

 22 Bien plus, même les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont nécessaires,

 23 et ceux que nous tenons pour les moins honorables, c'est à eux que nous faisons le plus d'honneur. Moins ils sont décents, plus décemment nous les traitons:

 24 ceux qui sont décents n'ont pas besoin de ces égards. Mais Dieu a composé le corps en donnant plus d'honneur à ce qui en manque,

 25 afin qu'il n'y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient un commun souci les uns des autres.

 26 Si un membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance; si un membre est glorifié, tous les membres partagent sa joie.

 27 Or vous êtes le corps de Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part.

 28 Et ceux que Dieu a disposés dans l'Église sont, premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des hommes chargés de l'enseignement; vient ensuite le don des miracles, puis de guérison, d'assistance, de direction, et le don de parler en langues.

 29 Tous sont-ils apôtres? Tous prophètes? Tous enseignent-ils? Tous font-ils des miracles?

 30 Tous ont-ils le don de guérison? Tous parlent-ils en langues? Tous interprètent-ils?

 

Néhémie 8

1Tout le peuple, comme un seul homme, se rassembla sur la place qui est devant la porte des Eaux, et ils dirent à Esdras, le scribe, d'apporter le livre de la Loi de Moïse que le SEIGNEUR avait prescrite à Israël.

 2 Le prêtre Esdras apporta la Loi devant l'assemblée, où se trouvaient les hommes, les femmes et tous ceux qui étaient à même de comprendre ce qu'on entendait. C'était le premier jour du septième mois.

 3 Il lut dans le livre, sur la place qui est devant la porte des Eaux, depuis l'aube jusqu'au milieu de la journée, en face des hommes, des femmes et de ceux qui pouvaient comprendre. Les oreilles de tout le peuple étaient attentives au livre de la Loi.

 4 Le scribe Esdras était debout sur une tribune de bois qu'on avait faite pour la circonstance, et à côté de lui se tenaient Mattitya, Shèma, Anaya, Ouriya, Hilqiya et Maaséya à sa droite, et à sa gauche: Pedaya, Mishaël, Malkiya, Hashoum, Hashbaddana, Zekarya, Meshoullam.

 5 Esdras ouvrit le livre aux yeux de tout le peuple, car il était au-dessus de tout le peuple, et lorsqu'il l'ouvrit tout le peuple se tint debout.

 6 Et Esdras bénit le SEIGNEUR, le grand Dieu, et tout le peuple répondit: «Amen! Amen!» en levant les mains. Puis ils s'inclinèrent et se prosternèrent devant le SEIGNEUR, le visage contre terre.

 7 Yéshoua, Bani, Shérévya, Yamîn, Aqqouv, Shabtaï, Hodiya, Maaséya, Qelita, Azarya, Yozavad, Hanân, Pelaya - les lévites - expliquaient la Loi au peuple, et le peuple restait debout sur place.

 8 Ils lisaient dans le livre de la Loi de Dieu, de manière distincte, en en donnant le sens, et ils faisaient comprendre ce qui était lu.

 9 Alors Néhémie le gouverneur, Esdras le prêtre-scribe et les lévites qui donnaient les explications au peuple dirent à tout le peuple: «Ce jour-ci est consacré au SEIGNEUR votre Dieu. Ne soyez pas dans le deuil et ne pleurez pas!» - car tout le peuple pleurait en entendant les paroles de la Loi.

 10 Il leur dit: «Allez, mangez de bons plats, buvez d'excellentes boissons, et faites porter des portions à celui qui n'a rien pu préparer, car ce jour-ci est consacré à notre Seigneur. Ne soyez pas dans la peine, car la joie du SEIGNEUR, voilà votre force!»

 11 Et les lévites calmaient tout le peuple en disant: «Faites silence, car ce jour est consacré. Ne soyez pas dans la peine!»


Prédication : 

            Ainsi donc, pour reprendre l’évangile de ce jour, nous pouvons rappeler ce qu’il se passe quelques versets – quelques instants plus tard – lorsque Jésus aura fini son discours, discours dans lequel il aura dit ; « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez » Une phrase qui recueille notre assentiment, oui, qu’il s’agisse de la parole du prophète Esaïe ou de bien d’autres paroles bibliques, Jésus les accomplit consciemment, moyen de notre élection et de notre conversion. Mais quelques versets plus loin, à cause de son discours, provocation, propos d’un prédicateur débutant, d’un tout nouveau converti, Jésus va manquer d’être lynché par les habitants de Nazareth, son propre pays. Il y a un grand écart, n’est-ce pas, entre ces deux moments d’un même épisode, une grande contradiction qui appelle à une réflexion radicale… Pour un ou deux versets de plus ou de moins, nous passons à côté d’elle sans la voir.

 

            Je voudrais, dans cette même réflexion, et sous la même plume que Luc, que nous nous déplacions vers les Actes des Apôtres pour lire un seul verset – d’autres verset seront rendus de mémoire : « mais personne d’autre n’osait s’agréger à eux. » Actes 5,13) Il s’agit de l’Eglise dite primitive, qui se trouve donc être en panne, après que deux paroissiens pas beaucoup plus gravement pécheurs que d’autres, aient été foudroyés par des puissances célestes, pour une histoire de fric, puissances célestes déchaînées par l’Apôtre Pierre lui-même qui, dans cette affaire, est le digne successeur d’un certain Elie, Prophète. L’Eglise donc est en panne, alors même que, dans les chapitres précédents, il en est fait un portrait rayonnant. Pour arriver dans l’impasse ? Pierre, Apôtre débutant, chef d’Eglise encore plus débutant… gonflé de sa propre puissance ? peut-être bien. Si l’on y consent, il devient urgent de relire le début des Actes, au moins… et pas que. Je partage avec vous que ce seul verset a été pour moi l’occasion d’une sorte de renouveau de la lecture de la Bible. Sur la base d’une maxime toute simple : lire un verset de plus.

 

            Ces premières choses ayant été dites, il nous est suggéré de lire Néhémie, à cet endroit tellement extraordinaire qui est la réception par le peuple de la Loi de Moïse, sous la direction du Scribe Esdras, accompagné par un nombre connu de gens connus. D’abord, réjouissons-nous, car nous avons là un péplum biblique, comme au cinéma, et il n’y en a pas tant que ça dans la Bible. Ensuite, demandons-nous qui sont ces gens dont les noms sont connus ? La joie de Dieu qui est notre force peut nous laisser oublier que si ces gens-là sont ainsi mis en avant, d’autre ont purement et simplement disparu du paysage. Quelques versets plus loin, il est question de savoir qui sera légitimement interprète des Saintes Écritures : ceux qui sont rentrés de l’exil, ou ceux qui, n’ayant pas été déportés, ont vaille que vaille continué à célébrer un culte à Dieu, à Jérusalem, sur les ruines du premier Temple ? Qui donc est légitime, avec ou sans l’exil ? La joie de cette réception du Saint Livre pèse son poids d’exclusion. Car ceux qui n’avaient pas été exilés ont été évincés par les revenants. Ils ont été chassés, avec leurs femmes, prétendument étrangères, et leurs enfants. Mais s’ils les chassaient eux-mêmes – leurs femmes et leurs enfants – et certains l’ont fait – ils redevenaient légitimes et reprenaient le service sacré…

            Ainsi, le prix de la joie de Dieu (Néhémie 8,10), à quelques versets près, c’est la prétention exclusive à être seul autorisé à célébrer Dieu, à lire et à interpréter le Livre de la Loi de Moïse, étendrons-nous cela à notre époque ? Au Nouveau Testament…disons la Bible, l’Evangile… Question de légitimité, pour quelques versets de plus.

 

            Première épître de Paul aux Corinthiens. Un verset de plus ? Le fragment qui nous en est proposé est la longue allégorie de l’Eglise et du corps, que nous connaissons presque par cœur. Et avec laquelle nous pouvons amicalement jouer, qui est quoi, et avec laquelle, peut-être, nous pouvons peut-être opérer certains discernements. C’est un beau texte, et Paul a certainement profondément réfléchi pour arriver à cela. Peut-être même qu’une certaine mise en œuvre a été possible à Corinthe. En tout cas, le fragment que nous lisons le laisse à penser, sauf qu’il se finit par une très étrange rafale de questions "29Tous sont-ils apôtres? Tous prophètes? Tous enseignent-ils? Tous font-ils des miracles? 30Tous ont-ils le don de guérison? Tous parlent-ils en langues? Tous interprètent-ils?"

            Quelques versets plus loin, s’ouvre une pièce essentielle, 1 Corinthiens 13, « une voie infiniment supérieure », que vous connaissez. Pourquoi tout ce travail de Paul ? Nous nous en réjouissons mais ces morceaux de textes nous laissent à penser que tout n’allait pas si bien que ça à Corinthe, que tout y allait même fort mal et que cette première épître de Paul n’était pas une caresse spirituel mais plutôt un remède de cheval. Et cette partie diagnostique et médicinale du message s’évanouit si l’on ne lit pas un ou quelques versets de plus.

 

            Luc, Néhémie, Corinthiens, nous avons lu trois fragments de différents livres, en méditant sur cette même idée, qu’il faut lire toujours un peu plus que ce qui nous est proposé par les listes de lecture. Ces listes sont comme tous les autres textes, soumis au principe de libre examen qui fut si important pour la Réforme. Chacun peut librement examiner ce qui entre en lui par les yeux et par les oreilles, examiner, réfléchir, évaluer, et décider... En insistant là-dessus, les Réformateurs ont juste pris acte de l’avènement de l’homme de la modernité, un homme adulte, libre et responsable de ses choix. Ils ont juste aussi pris acte de ce que le texte biblique était autonome et critique de lui-même.

            Revenons à Luc 1, les premiers versets. Les commentateurs, en général, considèrent que les quatre premiers versets de Luc indiquent qu’il a mené une enquête historique afin que les faits soient clairement établis et que, par comparaison avec son texte, tous les autres textes soient validés, ou invalidés, conformément à la vérité ; et que ce cher très honorable Théophile ne se satisfasse pas de propos frelatés. Le dire ainsi ne rend pas justice à la finesse de l’écriture de Luc, en particulier pas à cette dimension critique que nous avons vue émerger dans les Actes. Autrement dit, Luc donne à Théophile, l’amoureux de Dieu – nous sommes tous des Théophile – un outil pour évaluer tout texte, biblique, homilétique, liturgique, tout texte qui entreprend de parler de Dieu… à commencer bien sûr par l’Évangile de Luc. Luc est aussi critique de Luc.

            Et nous nous arrêterons là, sur une maxime théologique : Luc parle de Luc comme Dieu parle de Dieu. Puissent nos lectures et nos vies être irriguées par cette vérité. Et la Bible est un livre de vérité.

            Amen

 


samedi 11 janvier 2025

Le fils de Dieu, unique et singulier (Luc 3,15-38)

Psaume 2

1 Pourquoi cette agitation des peuples, ces grondements inutiles des nations?

 2 Les rois de la terre s'insurgent et les grands conspirent entre eux, contre le SEIGNEUR et contre son messie:

 3 «Brisons leurs liens, rejetons leurs entraves.»

 4 Il rit, celui qui siège dans les cieux; le Seigneur se moque d'eux.

 5 Alors il leur parle avec colère, et sa fureur les épouvante:

 6 «Moi, j'ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte.»

 7 Je publierai le décret: le SEIGNEUR m'a dit: «Tu es mon fils; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré.

 8 Demande-moi, et je te donne les nations comme patrimoine, en propriété les extrémités de la terre.

 9 Tu les écraseras avec un sceptre de fer, et, comme un vase de potier, tu les mettras en pièces.»

 10 Et maintenant, rois, soyez intelligents; laissez-vous corriger, juges de la terre!

 11 Servez le SEIGNEUR avec crainte, exultez en tremblant;

 12 - rendez hommage au fils; sinon il se fâche, et vous périssez en chemin, un rien, et sa colère s'enflamme! Heureux tous ceux dont il est le refuge.

 Luc 3

15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie?

16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu;

17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.»

18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

19 Mais Hérode le tétrarque, qu'il blâmait au sujet d'Hérodiade, la femme de son frère, et de tous les forfaits qu'il avait commis,

20 ajouta encore ceci à tout le reste: il enferma Jean en prison.

 21 Or comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé lui aussi, priait; alors le ciel s'ouvrit;

22 l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel: «Tu es mon fils, le bien aimé, en toi je me reconnais.» {aujourd’hui je t’ai engendré}

 23 Jésus, à ses débuts, avait environ trente ans. Il était, à ce qu’on disait, fils de Joseph, fils de Héli, 24 fils de Matthat, fils de Lévi, fils de Melchi, fils de Iannaï, fils de Joseph, (…) 37 fils de Mathousala, fils de Hénoch, fils de Iaret, fils de Maléléel, fils de Kaïnam, 38 fils d'Enôs, fils de Seth, fils d'Adam, fils de Dieu.

Prédication :

            Au jour du baptême de Jésus, une voix du ciel se fait entendre. Mais qu’a-t-elle vraiment dit ? Les trois premiers évangiles sont unanimement d’accord pour que cette voix parle. Ils sont même tous  presque d’accord pour que cette voix annonce que Jésus est le Fils de Dieu. Mais ils ne sont pas tous d’accord pour qualifier cette filiation. Ce désaccord est même à l’intérieur même de chaque évangile. S’agissant seulement de Luc, certains des plus anciens témoins proposent : «…aujourd’hui, je t’ai engendré. », et d’autres témoins autre chose : « …en toi je me reconnais. ».

            Si c’est au jour de son baptême que Dieu engendre Jésus en tant que son Fils, cela signifie que jusque là Jésus n’était pas son Fils. Mais si au jour du baptême Dieu proclame qu’en Jésus il se reconnaît, cela signifie que Jésus était déjà en quelque manière supérieur à Dieu auparavant… mais depuis quand ? Souvenons-nous d’un court échange entre Marie et l’ange. Marie : « Mais comment cela se fera-t-il, puisque je n’ai point eu de rapport avec un homme ? » L’ange à Marie : « L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre ; c’est pourquoi celui qui va naître sera saint et sera appelé Fils de Dieu (et on n’a pas l’article). » (Luc 1,34-35) Jésus est-il Fils de Dieu depuis que la puissance du Très Haut a couvert Marie de son ombre ? Difficile de répondre oui ; parce que l’ange dit : il sera appelé Fils de Dieu ; l’ange ne dit pas qu’il sera le Fils de Dieu. L’ange suggère ainsi que Fils de Dieu n’est pas une qualité qui n’appartient qu’à un seul homme, mais un titre attribué à certains hommes particulièrement consacrés à Dieu. Non, l’ange ne dit pas de Jésus qu’il est le Fils de Dieu. Faut-il alors chercher plus loin encore en remontant l’évangile de Luc, et en remontant le temps ? On ne trouvera rien, presque rien…Et le seul constat que nous pouvons faire est que l’évangile de Luc prend acte d’un décalage qui a eu lieu. On appelait Fils de Dieu des hommes distingués, appelés aussi Messie (Psaume 2,7), qui s’étaient particulièrement consacrés à Dieu. C’est attesté dans des écrits qui ont précédé de quelques siècles les évangiles ; et l’on affirme un jour que Jésus a été le Fils de Dieu (et en disant le Fils de Dieu, on laisse entendre qu’il n’y en a pas eu d’autre et qu’il n’y en aura pas d’autres).

            Jésus est-il devenu le Fils de Dieu au jour de son baptême ? Ou bien l’était-il depuis toujours ? Nous n’allons pas trancher là où le texte biblique lui-même hésite. Ce qui nous est proposé ce matin, lecteurs de l’évangile de Luc, c’est, à partir du baptême de Jésus, de le reconnaître comme le Fils de Dieu, unique.

            Reconnaissons-le donc comme unique Fils de Dieu. A quoi cela nous engage-t-il ? À approfondir notre lecture en nous demandant comment Jésus va être unique, et à quoi le fait d’être le Fils de Dieu va le conduire.

            Quand donc Jésus va-t-il de nouveau être appelé le Fils de Dieu ?

  1. Il va être appelé Fils de Dieu – mais sans l’article – dans la généalogie qu’on donne de lui. Et cette généalogie est précédée d’un « à ce qu’on disait… ». Mais ça n’est qu’une généalogie… les généalogies sont instables, et celle-ci, comme toutes les autres, ne peut guère valoir grand-chose : « il était, à ce qu’on croyait… » crédulité.
  2. Jésus va aussi être appelé Fils de Dieu lors du récit des tentations. Il n’est pas appelé le Fils de Dieu, comme si ces tentations étaient celles de tous ceux qui se consacrent à Dieu, si peu que ce soit. On peut dire aussi que c’est par provocation que le diable l’appelle seulement Fils de Dieu et non pas le Fils de Dieu… C’est bien de toute manière Jésus qui est ici tenté, et d’une manière particulièrement redoutable.
    1. Il est tenté de faire ce qu’il veut des choses, pour se contenter lui-même. Et il ne cèdera pas.
    2. Il est tenté de faire ce qu’il veut des humains, également pour se contenter lui-même. Et il ne cèdera pas.
    3. Il est tenté de faire ce qu’il veut de Dieu, toujours pour se contenter lui-même. Et il ne cèdera pas. Le Fils de Dieu n’exige rien de Dieu, mais reçoit tout de Dieu. Le Fils de Dieu est pur serviteur.
  3. Les démons que Jésus chasse l’appellent le Fils de Dieu (Luc 4,41)… mais il les empêche de parler, parce qu’ils le connaissent. Et leur connaissance n’est pas une reconnaissance. Parce qu’elle relève d’un savoir, et non pas d’une confession de foi.
  4. Et la dernière fois qu’il sera appelé le Fils de Dieu, ce sera par ses accusateurs… par ceux qui l’ont condamné sans jamais vouloir l’entendre, et pour ne jamais l’entendre en tant justement que le Fils de Dieu.

 

Être le Fils de Dieu c’est, dans l’évangile de Luc, déclarer insignifiante la généalogie, refuser tout exercice égoïste du pouvoir, réduire au silence ceux qui savent, et enfin c’est garder le silence devant les hypocrites et les meurtriers.

Être le Fils de Dieu, en somme, dans l’évangile de Luc, ça ne se revendique pas, ça ne se crie pas, ça ne se sait pas. Tout se passe comme si l’évangile de Luc avait souhaité que la qualité du Fils de Dieu ne puisse qu’être entraperçue… Mais pourquoi ?

Nous avons parlé d’un glissement de sens. Fils de Dieu désignait des hommes particulièrement consacrés à Dieu… mais affirmer d’un homme particulier qu’il est le Fils de Dieu revient à minimiser le rôle des autres, et à affirmer qu’il n’y en aura plus d’autre.

Probablement que, dans l’histoire, l’affirmation que Jésus était le Fils de Dieu est-elle devenue très rapidement une pierre d’achoppement entre des humains se réclamant pourtant du même Dieu. Est-il, oui ou non, le Fils de Dieu ? S’il l’est, comment l’est-il ? Qu’il soit le Fils de Dieu est d’ailleurs une affirmation qui divise encore aujourd’hui. Peut-être pas les chrétiens entre eux, encore que… mais entre monothéistes, c’est une toute autre affaire. Pourquoi a-t-elle divisé, et pourquoi divise-t-elle encore ? Qu’est-ce qu’affirmer que Jésus est le Fils de Dieu ? Est-ce une confession de la foi, résolue mais modeste, d’une personne, qui dit « je crois… », ou l’affirmation catégorique et non discutable d’un savoir révélé et absolu ? Est-ce de la théologie et de la liturgie, ou est-ce une certaine manière de vivre ?

Luc, il est peut-être le premier des auteurs chrétiens à le faire, invite ses lecteurs à réfléchir sérieusement sur ces dernières questions. Luc ne récuse pas du tout que Jésus soit le Fils de Dieu, mais il démonte très efficacement tout ce qui pourrait ressembler à des preuves, à des auto-affirmations ; il conteste tout ce qui pourrait obliger à professer, tout ce qui pourrait permettre de prétendre qu’on sait, et Luc, finalement, ne laisse de qu’à ce que j’appellerai la décision de croire.

Puissions-nous prendre, et toujours reprendre la décision de croire. Amen  

samedi 4 janvier 2025

Epiphanie ça veut dire Bonne Année (Matthieu 2,1-12)

Matthieu 2

1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem

 2 et demandèrent: «Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage.»

 3 À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.

 4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.

 5 «À Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète:

 6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple.»

 7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait,

 8 et les envoya à Bethléem en disant: «Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage.»

 9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.

 10 À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.

 11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.

 12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.

Prédication :

1.  le savoir, et son usage

            Des Mages de l’Orient ont vu dans les étoiles que le Roi des Juifs venait de naître, et ils ont fait un voyage pour venir l’adorer. La naissance du roi des juifs était inscrite dans les étoiles. Et si nous nous généralisons un peu, cela signifie qu’une observation compétente de phénomènes naturels peut nous renseigner sur ce que Dieu veut faire et fait.

            Mais nous pouvons nous demander comment ces gens ont fait le lien entre ce qu’ils ont vu dans les étoiles et l’événement en question. Car il y a un écart vraiment important entre lever le nez vers le ciel pour y voir ce qu’on y voit, et l’interprétation de ce qui est vu : le roi des Juifs vient de naître. Qu’est-ce qui peut bien combler cet écart ?

            Il y a, dans le texte de l’adoration des mages, un savoir empirique qui est reconnu par le texte biblique. Pour interpréter une observation, il faut un savoir. Et l’appellation ‘roi des Juifs’ étant typiquement ‘juive’, et l’observation des étoiles étant typiquement ‘chaldéenne’, nous pouvons affirmer que les traditions juives et chaldéennes se sont un jour croisées au point que ce savoir s’est élaboré… semble-t-il dans des formes divinatoires.

            Or, les pratiques divinatoire sont souvent méprisées, voire condamnées, par les auteurs bibliques… que se passe-t-il donc ici ? Pourquoi sont-elles légitimées ? Il ne s’agit pas de divination ordinaire, il ne s’agit pas de savoir pour dominer, mais de savoir pour adorer. Précisons : il est une forme de savoir qui n’est nullement condamnable – bibliquement s’entend… parce que son usage est bon. Et donc, Matthieu 2, seul l’usage du savoir est discuté… Comment Hérode fera-t-il usage de ce même savoir ? (Nous n’avons pas lu le récit du massacre… mais vous le connaissez)

            Il y a ainsi deux usage du même savoir :

            Soit reconnaître la grandeur de Dieu et s’incliner devant elle… même si – surtout si – la grandeur de Dieu devant laquelle s’incliner peut être le berceau d’un enfant qui pour vous n’a même pas encore de nom… Cette divine grandeur peut être absolument tout ce que vous voulez d’absolument ordinaire, de totalement banal, mais à quoi vous affectez une valeur de salut… une banalité dans laquelle vous repérez l’agir de Dieu, et à quoi votre acte va correspondre…

            Soit chercher à conserver pour soi le pouvoir donné par le savoir, à n’importe quel prix – fut-il celui de la vie d’autrui – et par n’importe quel moyen…

2.  des trous dans le savoir

            Reprenons : un certain savoir est inscrit dans les étoiles et dans les traditions : des mages ont su observer et interpréter… mais ils se sont trompés de destination. Ils ont pris un ticket pour Jérusalem… le texte fonctionne ainsi, les mages fonctionnent ainsi : les rois ne peuvent naître que dans les capitales.

            Les mages avaient ce préjugé – comme nous en avons – et le savoir des mages avait un trou. Dans ce trou, le savoir de Jérusalem et de son roi s’est exprimé… avec le drame qui s’ensuit, et la critique que nous avons mise en œuvre continue de s’exercer.

            Notez en passant que si le savoir des mages concerne le TEMPS – quand le roi des Juifs doit naître – celui des Jérusalémites concerne le LIEU – où le roi des Juifs doit naître… peut-être pour nous signifier qu’en matière de savoir, il faut toujours s’y mettre à plusieurs – surtout lorsqu’il s’agit des affaires divines – faute de quoi l’on est toujours à côté de la plaque…

3.  se mettre en route : l’Esprit

            Un savoir est inscrit, et les mages ont su le “ lire ” mais pas entièrement l’interpréter… encore qu’ils aient su se mettre en route. Il y a un miracle là-dedans, c’est que ces gens se sont mis en route. Comment ? Et pourquoi ? Pas de réponse vraiment claire dans Matthieu 2.

            Il n’est pas illicite de chercher du secours chez d’autres auteurs (Ephésiens 3,5) : Il n'a pas été manifesté aux fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant par l'Esprit aux saints apôtres et prophètes de Christ. La traduction oppose la manifestation à la révélation, la continuité extérieure à l’événement intérieur. Disons que savoir ce qui doit être fait et entreprendre de le faire sont deux choses très différentes. Savoir que le roi des Juifs est né, et se mettre en route pour l’adorer sont deux choses différentes.

            L’auteur des Éphésiens ne nous le fait pas dire, qui explique que le Christ, dont l’existence était objet de savoir pour les générations, est maintenant révélé par l’Esprit à ceux à qui il est révélé. L’intervention de l’Esprit, vous pouvez dire bon vouloir de Dieu n’est pas une notion théologique, mais une notion pratique. Vous pouvez dire aussi : intervention de l’Esprit.

4.  pour arriver où ?

            Voilà, ils se sont mis en route et ils ne sont pas au bout de leurs peines. On ne passe pas sans résistance du savoir – même juste – à l’action juste.

            Supposons qu’ils soient partis de Babylonie… combien faut-il de temps, avec les moyens de l’époque, pour rallier Jérusalem ? Pour 1200km, 40 jours n’est pas un résultat aberrant. Pour eux comme pour nous, il faut le temps biblique qu’il faut. Et l’on n’est pas encore à bon port, puisqu’il faut à la fin être renseigné sur la destination finale… La dernière étape – très courte – est la plus dangereuse, la plus incertaine. Cette dernière étape est celle qui met en péril l’objet tout proche de notre adoration.

            Car l’Esprit nous pousse à mettre en œuvre des décisions qui relèvent de notre savoir, mais notre savoir est troué… et si nous nous attendons à quelque chose, c’est autre chose qui peut venir… par exemple comme de n’être pas seul. Et ça n’est pas toujours Hérode qu’on rencontre.

            Et s’il s’agit finalement pour nous de savoir où nous mène cette vie, où nous mènent les choix que nous ferons, s’il nous faut savoir – pour nous comme pour ceux que nous aimons – si nos choix finalement ne leur nuiront pas, il nous faut dire et affirmer que le Seigneur veillera sur nous, et sur eux. Nous ne marchons pas finalement par le savoir, mais dans l’Esprit, c’est à dire par la foi.