samedi 27 avril 2024

Manière de parler (Jean 15,1-8)


Jean 15

1 «Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron.

 2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore.

 3 Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite.

 4 Demeurez en moi comme je demeure en vous! De même que le sarment, s'il ne demeure sur la vigne, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi.

 5 Je suis la vigne, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire.

 6 Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment, il se dessèche, puis on les ramasse, on les jette au feu et ils brûlent.

 7 Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez ce que vous voudrez, et cela vous arrivera.

 8 Ce qui glorifie mon Père, c'est que vous portiez du fruit en abondance et que vous soyez pour moi des disciples.

Prédication

            Figures de style. Les lecteurs de la Bible doivent le constater, la Bible utilise de nombreuses figures de style. Ce n’est pas forcément en raison des lubies des auteurs cherchant à faire des effets – parfois peut-être. Il doit y avoir quelque chose comme une nécessité. Cela doit être lié à l’objet dont la Bible entend parler. Et cet objet, c’est Dieu.

            Dieu, c’est cet objet dont veut parler la Bible. Elle le veut, mais ne le peut pas, du moins très très imparfaitement. Cela tient à trois choses, un peu génériques. Les possibilités mêmes du langage, les compétences des auteurs, et l’objet dont il est question – dont nous parlons – Dieu.

 

            De Jésus de Nazareth nous devons dire exactement la même chose. Nous devons parler de lui mais nous ne pouvons pas parler, c’est aux limites des possibilités du langage, aux limites des compétences de ceux qui parlent, le tout étant complexifié parce qu’il s’agit de Dieu, non pas Dieu qui sait tout et qui peut tout, poison des paroles sur Dieu, mais Dieu tout court, Dieu je ne sais pas. Et notre situation est bien précaire – certains dirons qu’elle est désespérée, je ne crois pas qu’elle le soit. Deux pistes, il y a deux pistes au moins.

 

            Première piste pour parler de Dieu, nous la nommons piste liturgique. C’est une piste qui est bien balisée. Certains de ses instruments sont plus que 3 fois millénaires. Ça n’est pas pour donner le privilège – et la soumission – à ce qui est ancien. C’est pour reconnaitre que le peuple de Dieu est collectivement sage, et que c’est donc avec raison qu’il conserve certains textes et en élimine d’autres. Alors bien sûr il arrive parfois que certains clercs œuvrent à l’imbécilité des fidèles, mais il arrive aussi que les fidèles se rebiffent. Première piste donc, individuelle, collective, et très ancienne, La piste liturgique, ce que nous faisons chaque dimanche, par exemple.

 

            Deuxième piste, nous la nommons piste biblique. Nous l’appelons ainsi maintenant, et c’est insatisfaisant, parce ça n’est pas la Bible qui est en jeu mais le commentaire. Le commentaire tel que nous le pratiquons dans l’atelier du samedi, ou dans l’étude biblique. Les points de départ peuvent être bibliques, ils peuvent choisis aussi partout dans les œuvres de culture… et ce doit être en raison de notre culture protestante que nous appelons biblique cette piste.

 

            Tentative d’application Jésus dit : Je suis la vraie vigne. Et ça n’est pas simple d’emblée. Pour dire Je suis la vraie vigne, il faut d’abord qu’il soit une vigne quelconque. Et ensuite cette vigne quelconque s’avèrera être tout à fait particulière, de sorte qu’on la qualifiera de vraie vigne. Reste encore à préciser ce qu’est ce critère de vérité (et nous pouvons penser ici, avec un sourire, à Obélix et compagnie, 1976, histoire imaginée d’un commerce de menhirs, où se rencontrent des menhirs fins, des menhirs frais, des menhirs authentiques, le menhir vrai… toutes sortes de menhirs destinés à la fin à n’être que des additifs de vente et à la fin de la fin, c’est la benne). Laissons le menhir vrai, et revenons à la vraie vigne. Jésus est la vraie vigne.

 

            Dans l’évangile de Jean, Jésus n’est pas seulement la vraie vigne. Il est aussi la vigne. Il est aussi le bon berger (il est donc exemplaire unique d’une certaine sorte de berger). Il est aussi la porte des brebis (la porte, il n’y a pas deux portes).

            Jésus est tout cela, et plus encore, il est la lumière du monde (pas d’autre que lui), et il est, un peu plus loin le chemin la vérité la vie (encore faut-il être prudent en le disant, car il le dit de lui-même, je suis… et il n’est pas certain que cela nous autorise à le dire en il est…

            Voilà une petite liste des allégories disponibles. Nous disons ici allégorie, et non pas parabole ; dans l’allégorie, une chose en remplace une autre, les mots se substituent l’un à l’autre, les uns aux autres comme dans une espèce de cortège bien ordonné. Bien ordonné, ou moins bien. Il y a une forme de complexité qui est liée, dans l’évangile de Jean, à l’accumulation. Toutes les allégories veulent fonctionner ensemble – peut-être cela est-il propre à cet évangile. Peut-être en va-t-il de la parole, de l’objet de cette parole elle-même, de sa possibilité, et de sa vérité.

 

            Poursuivons, sur le thème de la vérité. « 1 Je suis la vraie vigne et mon Père est le vigneron. 2 Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il en porte davantage encore. » Alors, cela commence plutôt bien, c’est la vigne – Jésus est cette vigne – et son Père est le vigneron. Ni gel, ni mildiou, ni phylloxera. Petite entreprise de production de grappes, la vigne produit ou ne produit pas. Certains sarments produisent, et d’autre pas. On coupe, on jette. Quant aux sarments qui produisent, on les émonde pour qu’ils produisent plus encore. Méthode aussi ancienne que la vigne elle-même, et nos anciens aimaient le bon vin. Émonder c’est aussi couper et jeter. Et tout ça, c’est le Père qui le commet.

            Mais voici, en plus, que l’allégorie vient réclamer ses droits. Vous êtes les sarments. Et ceux d’entre vous qui ne portent pas de fruits vont être coupés et jetés. Quels fruits ? Toute ma vie je me souviendrai d’un pasteur qui demandait à ses catéchumènes les résultats chiffrés de leur évangélisation. D’autres fruits ? Ceux de nos entrailles, trop peu ? Et les effectifs, et les finances des paroisses, des fruits aussi ? Couper ? Ou encore, émonder ? Imaginez que, Bible en main, ouverte à Jean 15 nous allions expliquer à telle famille cruellement éprouvée que c’est Dieu qui émonde et qu’il leur suscitera bientôt de plus beaux et de plus nombreux enfants. Et c’est ainsi que l’allégorie, qui est une sorte de piège, tombe sur les gens avec une cruauté certaine. Nous l’avons dit, c’est insoutenable.

 

            Mais qui a dit que cela devrait être soutenu ? Soutenir ceux qui tâchent de tenir droit – ou pas trop fléchir – dans la tempête, c’est une tâche fraternelle. Tâcher d’être débarrassés des discours de ceux qui voient la bonne main de Dieu dans les horreurs tellement distribuées sur le monde, c’est une tâche fraternelle.

            Peut-être, de là viendra que les humains porteront du fruit et, comme on l’a lu, du fruit en abondance, et peut-être de là, Dieu sera glorifié.

            Amen

 

            Amen

prochain billet, le 12 mai