Luc 24
36 Comme ils parlaient ainsi, Jésus fut présent au
milieu d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»
37 Effrayés et remplis de crainte,
ils pensaient voir un esprit.
38 Et il leur dit: «Quel est ce
trouble et pourquoi ces objections s'élèvent-elles dans vos cœurs?
39 Regardez mes mains et mes pieds:
c'est bien moi. Touchez-moi, regardez; un esprit n'a ni chair, ni os, comme
vous voyez que j'en ai.»
40 À ces mots, il leur montra ses
mains et ses pieds.
41 Comme, sous l'effet de la joie,
ils restaient encore incrédules et comme ils s'étonnaient, il leur dit:
«Avez-vous ici de quoi manger?»
42 Ils lui offrirent un morceau de
poisson grillé.
43 Il le prit et mangea sous leurs
yeux.
44 Puis il leur dit: «Voici les
paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse
tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les
Psaumes.»
45 Alors il leur ouvrit
l'intelligence pour comprendre les Écritures,
46 et il leur dit: «C'est comme il
a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour,
47 et on prêchera en son nom la
conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par
Jérusalem.
48 C'est vous qui en êtes les
témoins.
Prédication :
Le dimanche de Pâques de cette année, nous étions invités à méditer sur le
récit que donne l’évangile de Marc dans sa version primitive. Marc, le plus
ancien des évangiles, dans sa version primitive, ne comporte pas d’apparition
du ressuscité, mais juste une proclamation de l’ange et un envoi en Galilée.
Plus tard, cet évangile fut retravaillé, et de nouveaux rédacteurs ont rajouté
à la version primitive une apparition du ressuscité. Ce qui fait que, dans les
quatre évangiles, le ressuscité apparaît.
Nous allons nous demander pourquoi ceux qui ont écrit ces évangiles ont
tous éprouvé le besoin d’y introduire des apparitions du ressuscité. Nous nous
intéresserons plus précisément à Luc.
Pourquoi donc les évangiles rapportent-ils des
récits d’apparition du ressuscité ? La réponse la plus simple est que
ces apparitions ont bel et bien eu lieu
et qu’elles prouvent bien la résurrection de Jésus de Nazareth. Cette réponse,
qui a le mérite de la simplicité, n’est pas satisfaisante.
La résurrection de Jésus de Nazareth n’est pas un
moment objectif de l’histoire de l’humanité mais le cœur de la prédication
chrétienne. Ramener la résurrection de Jésus de Nazareth à n’être qu’un moment
de l’histoire, cela revient à affadir terriblement le langage de la foi, et
peut-être même à vider le langage de la foi de tout contenu possible. Car si
l’on choisit de procéder ainsi, il faut procéder de même avec tous les autres
éléments du récit, voire de la Bible. Dans le récit que nous lisons, celui de
Luc, ces éléments sont au nombre de deux : Jésus soudain se tient là… et
personne ne l’a vu arriver, comme un passe-muraille ; et plus fort encore,
quelques verset plus loin, il est emporté au ciel.
Ce que je veux dire, c’est que si Luc, mais pas
lui seulement, veut attester la véracité historique de la résurrection de Jésus
de Nazareth, il s’y prend vraiment très mal. Ça n’est pas en multipliant les
éléments fantastiques d’un récit qu’on le rend crédible. Sauf si l’on est un
auteur dont l’intention est d’abêtir ses lecteurs... Et comme nous ne voulons
pas faire outrage à l’inspiration de Luc, et des trois autres, nous laissons de
côté l’interrogation la plus simple.
Reste donc la
question : pourquoi y a-t-il, dans les évangiles, des apparitions du
ressuscité (et autres choses ?) Et j’ose une hypothèse : si Luc, et
pas Luc seulement, introduit dans son évangile une – ou plusieurs – apparition
du ressuscité, c’est pour faire face en son temps à une inflation galopante de
récits d’apparitions du ressuscité. Il y en a eu des centaines, tous plus
fantastiques, plus merveilleux, plus détaillés les uns que les autres, la croix
elle-même sort du tombeau avec des gardes, plus autres sujets décapités. Et
pour dire quoi ? Et pour porter quel message ? Devant des foules
médusées… du spectacle, beaucoup de spectacle, mais rien qui nourrisse la
méditation et la foi.
Les évangiles, s’agissant du fantastique, font le
service minimum, pas de service. Ils en font un petit peu plus avec le
merveilleux, quelques détails corporels, et mettent surtout en avant ce qui est
tenu pour le cœur de l’enseignement permanent de Jésus. Ils procèdent ainsi,
justement pour que les récits d’apparition, avec ce qu’ils ont de magique,
voire d’aliénant, passent à l’arrière plan et que la parole de l’évangile soit
placée, elle, au tout premier plan.
Quel est cette parole,
selon Luc ? Lisons – il suffit de lire – ceci : « …la conversion
en vue du pardon des péchés, sera annoncée (au nom du Christ), à toutes les
nations, à commencer par Jérusalem » Il n’y a rien de magique là-dedans.
Cela sera annoncé. Par qui cela sera-t-il annoncé ? Par les disciples de
Jésus, évidemment ! Personne d’autre à ce stade de la propagation du récit
ne peut en être témoin ; personne, quoi que nous ne savons pas qui ont été
les tout premiers témoins. Mais certainement pas témoin d’une apparition
fantastique. Après la première génération, il n’y a plus de témoins directs,
rien que des racontars, rien que des fragments. Aussi les disciples ne peuvent-ils
pas être témoins de la résurrection pour l’avoir vue de chez vue par une vie toute entière qui
atteste d’une conversion en vue du pardon des péchés. Qu’est-ce à dire ?
C’est assez simple encore.
On relit l’évangile. On y voit des disciples, de
braves disciples, de braves gens, mais qui ne comprennent rien à l’enseignement
de leur maître, qui cherchent à s’en tenir à la littéralité d’un texte et d’une
paroles sacrés, qui espèrent s’imposer par la force, qui vont de fuite en fuite…
et qui, lorsque le chemin devient par trop accidenté, s’endorment, renient et
se débandent. Dans l’évangile on voit aussi un maître, Jésus de Nazareth, qui
tâche d’enseigner, qui fait tout ce qu’il peut, guérit, nourrit, qu’on suit,
voire qu’on idolâtre tant que ça n’est pas trop dangereux et qui finit tout
seul abandonné, trahi, et mort.
Ce qu’on voit dans l’évangile : la grande
bonté, la grande pureté souillées par la bêtise de pécheurs ordinaires.
Mais, dans l’évangile, et c’est pour Luc le cœur
de sa Bonne Nouvelle, la grande bonté et la grande pureté ne peuvent pas être
renvoyées au néant, même lorsque celui qui les a incarnées est mort de la manière
la plus infâmante qui soit. En plus, ceux qui ont péché, souillé, trahi, ne
peuvent pas être réduits à leur passé et ne sont pas condamnés par leurs
actes ; le pardon de leurs péchés, c'est-à-dire leur libération, est
l’horizon de leur possible conversion. Ce qui est, pour Luc, le cœur de la
Bonne Nouvelle, et c’est premier par rapport à toutes les apparitions possibles
du ressuscité.
C’est premier parce que c’est toujours actuel. Le
lecteur de l’évangile, l’auditeur de la prédication chrétienne est invité à
avoir une intelligence ouverte, disposée à comprendre les Écritures, disposé à
dépasser la chose écrite pour entrer dans une lecture concrète, une
interprétation incarnée de ce qu’elles expriment. Et ici, au moment où Luc
conclut son récit, au moment où il résume tout en une ou deux phrases, il
déclare pour toutes les générations qui viendront, il déclare pour nous
que :
- le pire de ce qu’un être humain a accompli ne le
condamne pas à jamais, car se repentir est possible, changer est possible, grandir
est possible ; le pécheur n’est pas voué au péché, et ce qui l’enchaîne
aujourd’hui peut très bien demain le laisser libre ;
- le meilleur de ce qu’un être humain accomplit, le
plus beau, le plus généreux, le plus pur, ne peut jamais être totalement vain,
même si celui qui l’accomplit n’en recueille aucun fruit ; autrement dit,
il faut prêcher l’évangile en paroles et en actes, annoncer concrètement la
résurrection ; et cela même si l’on n’en recueille aucun fruit, même si
l’on ne recueille que quolibets ou indifférence ;
-
et ainsi,
l’apparition du Christ ressuscité est le nom que l’on peut donner à cet
événement, à ce parcours d’une vie lorsque cette vie a été renouvelée, et
transformée ; rien de magique là-dedans, rien de fantastique et pourtant
quelque chose d’infiniment beau, et d’infiniment simple.
Il en sera ainsi de nos
vies. Amen