Matthieu 11
18 «En effet, Jean est venu, il ne mange ni ne boit,
et l'on dit: ‹Il a perdu la tête.›
19 Le Fils de l'homme est venu, il mange, il boit, et l'on dit: ‹Voilà un
glouton et un ivrogne, un ami des collecteurs d'impôts et des pécheurs!› Mais
la Sagesse a été reconnue juste d'après ses œuvres.»
20 Alors il se mit à
invectiver contre les villes où avaient eu lieu la plupart de ses miracles,
parce qu'elles ne s'étaient pas converties.
21 «Malheureuse es-tu,
Chorazin! Malheureuse es-tu, Bethsaïda! Car si les miracles qui ont eu lieu
chez vous avaient eu lieu à Tyr et à Sidon, il y a longtemps que, sous le sac
et la cendre, elles se seraient converties.
22 Oui, je vous le
déclare, au jour du jugement, Tyr et Sidon seront traitées avec moins de
rigueur que vous.
23 Et toi, Capharnaüm,
seras-tu élevée jusqu'au ciel? Tu descendras jusqu'au séjour des morts! Car si
les miracles qui ont eu lieu chez toi avaient eu lieu à Sodome, elle
subsisterait encore aujourd'hui.
24 Aussi bien, je vous le
déclare, au jour du jugement, le pays de Sodome sera traité avec moins de
rigueur que toi.»
25 En ce temps-là, Jésus
prit la parole et dit: «Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre,
d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux
tout-petits.
26 Oui, Père, c'est ainsi
que tu en as disposé dans ta bienveillance.
27 Tout m'a été remis par
mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et nul ne connaît le Père
si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler.
28 «Venez à moi, vous
tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi je vous donnerai le repos.
29 Prenez sur vous mon
joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous
trouverez le repos de vos âmes.
30
Oui, mon joug est doux et mon fardeau
léger.»
Un peu en dehors des
textes qui nous sont proposés aujourd’hui, voici : « Ceux qui sont
dans la chair ne peuvent pas plaire à Dieu » (Romains 8,8). Une phrase dont
la syntaxe est toute simple, même si elle est de Paul, dans laquelle un certain
verbe se trouve qui suggère bien des choses… dont celle-ci : il faut
plaire à Dieu. Ce qui nous apprend que Dieu est quelqu’un, ce qui nous apprend
aussi que c’est quelqu’un à qui l’on peut plaire. Peut-être même qu’il faut lui
plaire afin d’obtenir telle gratification, afin même, peut-être, de continuer à
vivre.
Si nous tenons cela pour
acquis, cela suppose que Dieu a des
sentiments changeants, des sentiments changeants selon les performances de ses
adorateurs, petits et grands d’ailleurs. Je me souviens ainsi d’un petit garçon
qui avait été obligé de jeter à la poubelle ses figurines de super-héros,
objets dont le pasteur, et sa maman affirmaient que leur existence contrevenait
au commandement de Dieu – qui s’appelle Jéhovah – et qui devaient donc être
détruits, par l’enfant, pour plaire à Dieu.
Et il serait de la nature
de Dieu d’avoir des sentiments changeants, sentiments qui changeraient selon
les performances de ses adorateurs. Vous avez là la performance et vous avez là
son objectif. La performance, vous pouvez en trouver une infinité de
variations. Mais l’objectif ne change pas : plaire à Dieu. Et ce qui
permet qu’il y ait cet objectif, c’est que Dieu est du genre qui exige qu’on
lui plaise.
C’est un certain étonnement.
Dieu serait-il cela ? Dieu serait-il ainsi fait qu’il exigerait que le
croyant s’égale à telle image qu’il a lui-même préalablement tracée de lui, Dieu
y trouvant un plaisir suffisamment intense pour concevoir le désir de
récompenser. Dieu donc ici serait une sorte de Seigneur – un Seigneur de telle
époque, nous allons essayer de le dire – et l’adorateur un ilote – un esclave, adorateur
de tout en bas et dans l’ignorance même de ce qu’il fait. Voici son adorateur, et
voici Dieu dans la représentation que peuvent en donner les écrivains d’une
certaine époque. Dieu est-il ainsi ? Il est ainsi à telle époque, lorsque
la société a une structure pyramidale, avec un roi tout en haut dont le pouvoir
est de droit divin. Antiquité, Empire romain, plus tard saint Empire, Royaume
de France, puis telle ou telle secte… Dieu est ainsi, et il charge ses
adorateurs de très lourdes charges… nous l’avons déjà dit, et manifeste son
humeur avec des bénédictions, ou des malédictions.
Le verbe plaire est le
plus important dans cette première partie de notre méditation, méditation du
côté de chez Paul. Mais qu’en sera-t-il du côté de Matthieu ?
Là où nous avons lu, il
semble que ce soit assez différent. Il ne va plus être question d’obéissance,
mais d’émerveillement. Dieu est celui qui, dans un monde imparfait, manifeste
sa puissance en accomplissant des actes si merveilleux qu’ils suscitent un
changement radical de comportement – la conversion – de ceux qui y assistent.
Et vous voyez que le salut est alors dans l’émerveillement.
Mais
ce n’est pas tout, car il y a une discussion – sévère – pour savoir – encore
des complications – s’il s’agit, en matière de salut, d’éprouver, ou de
comprendre. Sur cette question, tout ce que nous avons exploré jusqu’ici se multiplie.
Et se multiplie aussi Dieu. Les images de Dieu ? Non. Dieu lui-même.
Dieu, en un certain
esprit, contribue-t-il à la compréhension humaine ? Dieu n’est-il
qu’esprit donnant à la pensée humaine une soudaine – ou permanente – illumination ?
Dieu, toujours en parlant de Lui comme esprit, suscite-t-il l’illumination qui
subjugue l’être humain (dans une autre perspective, celle de plaire, nous
avions parlé d’émerveillement – émerveillement n’est pas illumination).
Toutes ces représentations
de Dieu ont pu entrer en collision, parce qu’elles sont lourdement
incompatibles les unes avec les autres, parce que l’âme humaine manque parfois
de modestie et de compréhension, et parce qu’elle se trompe elle-même sur
l’objet de son adoration, ou encore parce qu’il n’y a qu’elle-même au fond
qu’elle adore. Y a-t-il alors quelque chose qui puisse lui être proposé –
peut-être même qui puisse lui être
opposé (mais attention, lui être opposé sans se détruire elle-même) ?
Dans le 11è chapitre de
l’évangile de Matthieu, il vient un moment où l’on parle du Fils de l’homme et quoi
qu’il fasse, quoi qu’il dise, il a toujours tout faux, et où les formes de
l’existence divine ne servent finalement qu’à charger les gens de fardeaux trop
lourds pour leurs épaules. Il est très intriguant de voir et d’entendre Jésus tenir
de ces discours du genre émerveillement-conversion-damnation. Ces discours,
nous les avons repérés, et ils sont comme le point de départ de la prédication
de Jésus, c’est de là qu’il veut partir. C’est là que ses auditeurs sont
ancrés, à ce qu’il semble. Et il semble aussi que Jésus veuille, pour lui-même
et pour eux, partir. Mais quoi dire, ou comment faire ?
Jésus commence à faire.
Ses miracles ne produisent rien de durable. C’est que, comme Dieu miraculeux du
genre que nous avons déjà vu, Jésus est inopérant. Et c’est alors que, comme ce
Dieu-la, il maudit. Mais à la différence de ce Dieu-là, Jésus dépasse le champ
de la malédiction, et il poursuit. Alors, de l’échec divin, va émerger une
prédication nouvelle. Et j’aime à dire que, dans la forme que prend alors la
prédication de Jésus, Dieu renonce à Dieu. Car les affaires de puissance, de
grandeur et de beauté ne l’intéressent plus. Elles fabriquent trop de stress,
elles exigent trop de la nature humaine. Elles font un héros de celui qui
croit, et un paria de celui qui doute, ou ne croit pas. Jésus qui prêchait, ou prêcherait
ainsi n’apporterait rien, ni à l’humanité, ni à Dieu.
Alors Jésus poursuit,
approfondit encore son propos en donnant une affirmation d’une audace
folle : « Tout m’a été remis par mon Père… ». Entendons bien, la
compréhension que Jésus a de sa propre mission, celle qu’en tant qu’homme il se
donne à lui-même, lui fait affirmer qu’il n’y a plus, et qu’il n’y aura plus de
Dieu des genres que nous avons explorés tout à l’heure. Ces dieux sont définitivement
résorbés dans l’humanité, dans l’homme Jésus qui proposera un certain
redéploiement de la piété. Ce redéploiement sera désigné par une phrase que je
crois bien connue et que nous avons déjà lue aujourd’hui : « Mon joug
est doux, et mon fardeau léger. » Le joug, c’est cette sorte de poutre placée
sur la tête d’un animal, avec laquelle il peut tirer la charge, et nous devons tirer
chacun sa vie. Le joug de Jésus est doux. Et son fardeau léger – le croyant
porte le fardeau de Jésus, et non pas le lourd fardeau des faux dieux – Le
croyant porte le fardeau léger de Jésus.
Matthieu 11 ; et même
si la croix est l’un des horizons de l’Évangile, le plus lourd des fardeaux
possibles, elle va avec la résurrection, le plus léger des fardeaux possibles.
Amen
P.S. : et nous
gardons pour d’autres sermons d’autres méditations, sur le dieu amour, sur le
dieu de la conquête de Canaan, sur le Dieu sagesse, sur le Verbe, sur le dieu
pédagogue, le dieu des armées, et le dieu des montagnes pays de Madian…
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