Une fête, l’entrée de Jésus dans Jérusalem, il s’approche du Temple comme jamais. Mais pour quoi faire ? Prendre possession des lieux ? En un sens, oui, comme un prince, comme un roi. Mais il n’est pas un roi ordinaire. Nous le savons, et nous le saurons de plus en plus comme passeront les jours. Et à la fin ? Rameau, en somme, un couronnement inachevé. Ce qu’il faut retenir...
Matthieu 21
1 Lorsqu'ils approchèrent de Jérusalem et
arrivèrent près de Bethphagé, au mont des Oliviers, alors Jésus envoya deux
disciples
2 en leur disant: «Allez au village
qui est devant vous; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et un ânon
avec elle; détachez-la et amenez-les-moi.
3 Et si quelqu'un vous dit quelque
chose, vous répondrez: ‹Le Seigneur en a besoin›, et il les laissera aller tout
de suite.»
4 Cela est arrivé pour que
s'accomplisse ce qu'a dit le prophète:
5 Dites à la fille de Sion: Voici
que ton roi vient à toi, humble et monté sur une ânesse et sur un ânon, le
petit d'une bête de somme.
6 Les disciples s'en allèrent et,
comme Jésus le leur avait prescrit,
7 ils amenèrent l'ânesse et l'ânon;
puis ils disposèrent sur eux leurs vêtements, et Jésus s'assit dessus.
8 Le peuple, en foule, étendit ses
vêtements sur la route; certains coupaient des branches aux arbres et en
jonchaient la route.
9 Les foules qui marchaient devant
lui et celles qui le suivaient, criaient: «Hosanna au Fils de David! Béni soit
au nom du Seigneur celui qui vient! Hosanna au plus haut des cieux!»
10 Quand Jésus entra dans
Jérusalem, toute la ville fut en émoi: «Qui est-ce?» disait-on;
11 et les foules répondaient:
«C'est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée.»
Prédication :
C’est un texte qui me fait me ressouvenir d’un film de 1987, Noce en Galilée, histoire dans laquelle un très beau cheval avait une certaine importance. Dressé par le père du marié, l’animal devait porter sur son dos le fiancé, jusqu’à l’entrée de la salle de la noce, et c’est dans cette salle que le fiancé devait recevoir sa promise… Je ne vous raconte pas ce qui venait avant, ni ce qui vient après.
Le film reçut quelques distinctions, et il est encore disponible, semble-t-il, sous divers formats et supports…
Le jeune homme donc, dans ce film, vient à cheval, en plus de ce cheval il est équipé de quelques autres objets symboliques indispensables à la reconnaissance communautaire du mariage. Ça n’est pas littéralement dans la Bible. Mais cela répète en somme deux millénaires plus tard ce qui fut accompli un jour à Jérusalem, par un certain prophète Jésus, de Nazareth en Galilée… mais pas seulement par lui, car si nous reculons de quelques siècles encore, nous rencontrerons plusieurs rois d’Israël et de Juda, ainsi que l’Arche d’alliance, que nous verrons processionner, avec telle ou telle monture, et parfois sans monture, tel David précédant l’Arche d’Alliance (2 Samuel 6), « il sautait et tournoyait devant le Seigneur ».
Ce qui se joue là-dedans, dans le fait d’observer l’événement, et de le reconnaitre pour ce qu’il est, ça n’est rien que moins qu’une légitimité. Précisons, avec David, qu’une certaine Mikal, fille du roi Saül, femme de David, se penchant à sa fenêtre, vit le roi son mari occupé dans ses danses religieuses, et elle le méprisa, et le lui fit savoir. Alors David, vêtu de sa seule légitimité de roi-prêtre, la maudit : elle n’eut ensuite jamais d’enfants.
A la suite de quoi David prit possession de l’Arche, objet très saint qui avait entre autres propriétés de bénir généreusement celui sous le toit duquel elle séjournait. David commença à envisager de donner à l’Arche un temple qui en serait digne… mais il était écrit que David ne serait pas bâtisseur. Nanti de sa légitimité de roi-prêtre-danseur – c’est ce qui nous intéresse – David repartit faire ce qu’il savait bien faire, roi-prêtre-danseur-général, il repartit faire la guerre (ça fait quelques mois que je ne vous avais pas suggéré une possible série d’études bibliques, quelque chose comme les livres de Samuel…).
Jésus de Nazareth, quelques siècles plus tard. J’ai longtemps cru qu’il y avait comme un élément magique dans cette subite présence d’un ânon et d’une ânesse devant une maison prise au hasard dans la banlieue de Jérusalem. Puis j’ai appris que l’affaire se passe à Jérusalem en temps de grande fête – c’est la Pessah – la Pâque – et qu’en temps de grande fête il se vit de grands débordements. Et surtout la ville est pleine de pèlerins qui ne sont pas venus avec l’équipement nécessaire, à commencer par une salle où tenir le repas de la fête ; ils n’ont pas non plus de quoi se nourrir, ni de quoi se véhiculer. Tout cela existe à Jérusalem, et est à vendre, et à louer. Il y a même des agents pour s’occuper de tout. Certains donc, soucieux de ne pas aller à pieds jusqu’au lieu de culte, ou au lieu de recueillement – mont des Oliviers – ou soucieux de rejouer les anciennes processions royales, affrètent un taxi à quatre pattes. Mais pourquoi une ânesse escortée de son ânon ? Tous les autres avaient déjà été loués (on ne vous dit rien sur chercher un taxi à Paris) Et pourquoi monter sur l’ânon, que nous pensons un peu frêle, plutôt que sur l’ânesse ? Peut-être est-ce une question de pureté rituelle, l’ânon étant préférable à l’ânesse (même Zacharie 9,9 peut devoir être expliqué). Et ainsi, tout est prêt, prêt et lu comme au ras du sol, comme une affaire dont nous souhaitons qu’elle soit ‘le plus possible’ une affaire d’homme, une affaire humaine qui ne requiert pas d’emblée un recours obligatoire à l’imaginaire et au merveilleux, parce qu’il faut toujours laisser de la place à l’intelligence.
7Les disciples s’en allèrent et, comme Jésus le leur avait prescrit, ils amenèrent l’ânesse et l’ânon ; puis ils disposèrent sur eux leurs vêtements et Jésus s’assit dessus. Et c’est là que commence à se former un cortège. Les historiens de cette époque donnent peu de crédit à l’idée de grande foule, peu de crédit à l’idée d’une capitale entière secouée par l’évènement. La renommée du prophète Jésus de Nazareth en Galilée ne devait pas être bien grande. Et si la capitale entière s’était trouvée secouée par sa venue, la force romaine aurait ramené le calme à la manière romaine.
Bien sûr, Matthieu l’évangéliste voit l’affaire tout en grand, pendant que nous nous efforçons de la rende modeste, voire discrète, avec en nous la conviction que lorsqu’il s’agit de l’Évangile, l’acuité et la pertinence requièrent une certaine forme de modestie.
Et donc, voilà, grande ou petite, la procession commence, foule ou pas dans la réalité. Il y a des gens devant Jésus, et il y en a aussi derrière. Cette indication suggère qu’une partie de ces gens vient de l’extérieur de la ville sainte pour rejoindre le cortège, et que l’autre partie de ces gens quitte les lieux saints centraux et fait volte-face au moment où elle rencontre la royale procession. Il y a donc, dans l’évangile de Matthieu, une partie des fidèles, une partie des futurs convertis, ou futurs disciples de Jésus, dont l’origine est le temple – origine judéenne – avec ses usages et rituels savants et une autre partie de fidèles dont la provenance peut être plus modeste, paysanne, ou Galiléenne, et eux viennent de l’extérieur des lieux saint, et c’est la prédication de Jésus qui les y introduit. Et l’épisode des Rameaux est donc l’une des premières méditations que nous avons sur ce qu’est la communauté chrétienne. Une méditation simple et qui, s’agissant de la communauté, et rien que d’elle, semble se présenter en harmonie. Une harmonie assez bruyante, nous l’avons remarqué, mais harmonique tout de même : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée ! » Ce que les foules qui processionnent donnent comme témoignage à ceux qui sont au bord du chemin. D’un chemin qui s’achève, ce jour-là, à la porte du Temple, qui est le lieu des bénédictions possibles, et le lieu de bien des horreurs possibles. Le lieu où l’on dit que tout est figé pour toujours, mais où Jésus dira en substance qu’un renouveau est toujours possible.
Harmonie, disons-nous. Le texte proposé à notre méditation s’arrête précisément sur cette harmonie, dans la foule, et avec celui qui mène cette foule. Il y a là un moment de ferveur évangélique, et d’harmonie – nous l’avons déjà dit. Et, dans notre méditation, nous espérons que ce moment puisse être autre chose qu’un instant, puisse être un moment qui dure. Ne faisons pas semblant, nous savons qu’il n’en sera rien… notre méditation ne peut donc pas porter sur l’instant qui dure, mais sur l’instant qui passe, et passent avec lui nos espérance. Nous le savons. Mais nous vivons.