Matthieu 28:1 Après le sabbat, au commencement du premier jour de la semaine, Marie de Magdala et l'autre Marie vinrent voir le sépulcre.
2 Et voilà qu'il se fit un grand
tremblement de terre: l'ange du Seigneur descendit du ciel, vint rouler la
pierre et s'assit dessus.
3 Il avait l'aspect de l'éclair et
son vêtement était blanc comme neige.
4 Dans la crainte qu'ils en eurent,
les gardes furent bouleversés et devinrent comme morts.
5 Mais l'ange prit la parole et dit
aux femmes: «Soyez sans crainte, vous. Je sais que vous cherchez Jésus, le
crucifié.
6 Il n'est pas ici, car il est
ressuscité comme il l'avait dit; venez voir l'endroit où il gisait.
7 Puis, vite, allez dire à ses
disciples: ‹Il est ressuscité des morts, et voici qu'il vous précède en
Galilée; c'est là que vous le verrez.› Voilà, je vous l'ai dit.»
8 Quittant vite le tombeau, avec
crainte et grande joie, elles coururent porter la nouvelle à ses disciples.
9 Et voici que Jésus vint à leur
rencontre et leur dit: «Je vous salue.» Elles s'approchèrent de lui et lui
saisirent les pieds en se prosternant devant lui.
10 Alors Jésus leur dit: «Soyez
sans crainte. Allez annoncer à mes frères qu'ils doivent se rendre en Galilée:
c'est là qu'ils me verront.»
Je voudrais commencer cette méditation de Pâques en posant une question, puisqu’il est question de la fin du sabbat : quand donc est la fin du sabbat ? Un mien ami, qui n’était rabbin mais marchand de chaussures, m’avait invité un certain samedi, c’était en été et nous étions dehors, sur la terrasse à attendre le moment de la fin de sabbat. L’immobilité, et le silence dans lesquels tout se tenait avaient une couleur inquiétante. Et comme la nuit était tombée, je posai la question : « Quand est-ce que le sabbat finit ? » Mon ami eut un petit signe de la main qui signifiait silence, il regarda le ciel, et énonça le commandement : « le sabbat est fini lorsqu’il y a deux étoiles au ciel. » Je regardai donc le ciel et fit observer qu’il n’y en avait qu’une. Il me répondit ceci : « Quand il y en a une, il y en a deux ». Et là le sabbat était fini. Le mouvement, le travail de la vie pouvait recommencer. Devait recommencer : cette forme de ralentissement, voire d’extinction, qu’est le sabbat ne va pas sans une sorte de commandement d’élan complémentaire portant sur le reste de la semaine.
Nous savons – avec Matthieu – que Jésus est un juif qui
s’adresse à d’autres juifs, que l’évangile de Matthieu a visé très tôt un
public qui était juif et auquel il a donné des points de repère qu’il savait
partager avec eux. Tout en faisant l’effort de transmettre des choses
nouvelles. Parmi ces choses, la résurrection.
A vrai dire, bien des événements, dans l’ancien
testament, portent le nom, la marque, de la résurrection. Ce que fait un jour
le prophète Elie, à la besogne, pour le fils d’une veuve étrangère. Ce que voit
Ézéchiel le prophète, et qui advient à tout une armée. L’histoire de l’exode, de
la conquête, des prophètes et des rois est pleine de retournements improbables,
de retours des gens et des tribus perdus, des exilés qui reviennent, de villes
et de temples qui sont reconstruits. Avec interventions de la puissance divine.
Et les mouvements de population sont des mouvements centripètes. Ça vient vers
un centre et ce centre c’est le plus souvent, Sion… disons Jérusalem.
Et là-dessus, à la fin d’un certain sabbat, et en un
endroit tout proche du centre du monde, c’est à dire Jérusalem, alors que tout
semble perdu dans le sommeil de la mort et du sabbat, quelque chose semble
devoir revenir durablement à la vie. Le mort redevient vivant, le muet retrouve
la parole, l’invisible redevient visible…
En cette fin de sabbat, se met en place ce que l’on
pourrait appeler un mouvement inverse.
Il s’agit de sortir de l’extinction, d’une extinction terrorisante, d’une
extinction qui serait l’inverse d’une sainte piété. Là où toute la vocation de
Jésus avait été abimée dans le mensonge, la violence et dans l’hypocrisie, là
aussi le meilleur se trouve être repris… repris en un instant, lorsque la terre
tremble et que l’ange du Seigneur descend, roule la pierre et s’assied dessus
(et je crois bien que, de tous les gestes d’hommes et d’anges que la Bible nous
décrit, c’est mon préféré). Action divine. Et nous nous demandons pourquoi il
en faut, de ces actions divines ? Il faut toujours du merveilleux pour
rapporter sur l’extraordinaire. Il faut toujours du fantastique pour rapporter
sur ce qui est hautement improbable.
Comme un tombeau scellé qui s’ouvre, comme un ange qui apparaît, et comme un mort
qui revient à la vie. Difficile à comprendre.
Il est plus facile de raconter le retournement du temps
des traditions, plus facile aussi de raconter le retournement de l’espace des
traditions. Par exemple, c’est aux femmes que l’ange parle, c’est à elles aussi
que le ressuscité parle. Pensons à cette culture est-méditerranéenne qui était
plutôt masculine et, chez les Judéens, culture qui était excessivement portée
sur la pureté… bien sûr, c’était souvent les femmes qui allaient vers les
tombeaux pour les embaumements… lorsqu’on est impures, il est des choses qu’on
peut se permettre. Là, pures ou impures, c’est à des femmes qu’échoit le
premier témoignage de la résurrection. Ce qui fait que l’inouï est à charge de
l’impensable (deux retournements l’un sur l’autre).
Et ça n’est pas
tout. L’annonce qui est à faire est une annonce centrifuge. Il s’agit de
quitter Jérusalem, avec la conviction que Jésus n’y est plus, n’y sera plus
jamais. Destination Galilée, mais sans se tromper. Car si la Galilée devenait
une nouvelle capitale pour une nouvelle religion, le mort serait mort pour
rien, et surtout le ressuscité serait ressuscité pour rien.
Au point où nous en sommes, il nous reste ceci : « Allez
annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée, c’est là qu’ils me
verront. » La Galilée, c’est d’abord le territoire du Nord de la Palestine
dans lequel les populations avaient été si considérablement brassées qu’on
l’appelait Galilée des Nations, et que ses habitants même de religion juive
étaient regardés avec dédain par ceux de Judée. Jésus, lui, les regarde comme
ses frères. C’est là, Galilée, qu’ils le verront, pas d’apparitions auprès d’un
temple. Mais ça n’est pas tout que cette Galilée, car il faut que ça parte plus
loin, vers d’autres horizons, et d’autres frères.
Et nous voyons petit à petit se dessiner que cette
résurrection que nous célébrons chaque dimanche de Pâques est une tentative
religieuse qui, renonçant à une messianité dominante, espère mener les humains
vers la fraternité.
Est-ce un succès ?
Nous pouvons assurément continuer à célébrer Pâques.