samedi 11 mars 2023

La première évangéliste du pays de Samarie (Jean 4)

Jean 4

1 Quand Jésus apprit que les Pharisiens avaient entendu dire qu'il faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean,

 2 - à vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas, mais ses disciples -

 3 il quitta la Judée et regagna la Galilée.

 4 Or il lui fallait traverser la Samarie.

 5 C'est ainsi qu'il parvint dans une ville de Samarie appelée Sychar, non loin de la terre donnée par Jacob à son fils Joseph,

 6 là même où se trouve le puits de Jacob. Fatigué du chemin, Jésus était assis tout simplement au bord du puits. C'était environ la sixième heure.

 7 Arrive une femme de Samarie pour puiser de l'eau. Jésus lui dit: «Donne-moi à boire.»

 8 Ses disciples, en effet, étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger.

 9 Mais cette femme, cette Samaritaine, lui dit: «Comment? Toi, un Juif, tu me demandes à boire à moi, une femme samaritaine!» Les Juifs, en effet, ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains.

 10 Jésus lui répondit: «Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit: ‹Donne-moi à boire›, c'est toi qui aurais demandé et il t'aurait donné de l'eau vive.»

 11 La femme lui dit: «Seigneur, tu n'as pas même un seau et le puits est profond; d'où la tiens-tu donc, cette eau vive?

 12 Serais-tu plus grand, toi, que notre père Jacob qui nous a donné le puits et qui, lui-même, y a bu ainsi que ses fils et ses bêtes?»

 13 Jésus lui répondit: «Quiconque boit de cette eau-ci aura encore soif;

 14 mais celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif; au contraire, l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant en vie éternelle.»

 15 La femme lui dit: «Seigneur, donne-moi cette eau pour que je n'aie plus soif et que je n'aie plus à venir puiser ici.»

 16 Jésus lui dit: «Va, appelle ton mari et reviens ici.»

 17 La femme lui répondit: «Je n'ai pas de mari.» Jésus lui dit: «Tu dis bien: ‹Je n'ai pas de mari›;

 18 tu en as eu cinq et l'homme que tu as maintenant n'est pas ton mari. En cela tu as dit vrai.»

 19 - «Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es un prophète.

 20 Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous, vous affirmez qu'à Jérusalem se trouve le lieu où il faut adorer.»

 21 Jésus lui dit: «Crois-moi, femme, l'heure vient où ce n'est ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père.

 22 Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.

 23 Mais l'heure vient, elle est là, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; tels sont, en effet, les adorateurs que cherche le Père.

 24 Dieu est esprit et c'est pourquoi ceux qui l'adorent doivent adorer en esprit et en vérité.»

 25 La femme lui dit: «Je sais qu'un Messie doit venir - celui qu'on appelle Christ. Lorsqu'il viendra, il nous annoncera toutes choses.»

 26 Jésus lui dit: «Je le suis, moi qui te parle.»

 27 Sur quoi les disciples arrivèrent. Ils s'étonnaient que Jésus parlât avec une femme; cependant personne ne lui dit «Que cherches-tu?» ou «Pourquoi lui parles-tu?»

 28 La femme alors, abandonnant sa cruche, s'en fut à la ville et dit aux gens:

 29 «Venez donc voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Ne serait-il pas le Christ?»

 30 Ils sortirent de la ville et allèrent vers lui.

 31 Entre-temps, les disciples le pressaient: «Rabbi, mange donc.»

 32 Mais il leur dit: «J'ai à manger une nourriture que vous ne connaissez pas.»

 33 Sur quoi les disciples se dirent entre eux: «Quelqu'un lui aurait-il donné à manger?»

 34 Jésus leur dit: «Ma nourriture, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre.

 35 Ne dites-vous pas vous-mêmes: ‹Encore quatre mois et viendra la moisson›? Mais moi je vous dis: levez les yeux et regardez; déjà les champs sont blancs pour la moisson!

 36 Déjà le moissonneur reçoit son salaire et amasse du fruit pour la vie éternelle, si bien que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble.

 37 Car en ceci le proverbe est vrai, qui dit: ‹L'un sème, l'autre moissonne.›

 38 Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucune peine; d'autres ont peiné et vous avez pénétré dans ce qui leur a coûté tant de peine.»

 39 Beaucoup de Samaritains de cette ville avaient cru en lui à cause de la parole de la femme qui attestait: «Il m'a dit tout ce que j'ai fait.»

 40 Aussi, lorsqu'ils furent arrivés près de lui, les Samaritains le prièrent de demeurer parmi eux. Et il y demeura deux jours.

 41 Bien plus nombreux encore furent ceux qui crurent à cause de sa parole à lui;

 42 et ils disaient à la femme: «Ce n'est plus seulement à cause de tes dires que nous croyons; nous l'avons entendu nous-mêmes et nous savons qu'il est vraiment le Sauveur du monde.»

Prédication

 

            Brèves rencontres à Sychar, tel pourrait être le titre de ce chapitre de l’évangile de Jean. Rencontres – au pluriel – il y en a plusieurs. Toutes sont plutôt inattendues. Et toutes sont décisives même si ça n’est pas de la même manière.

            S’agissant de ce texte, nous l’entendons souvent nommer Jésus et la Samaritaine. Ça n’est pas faux. Mais il est plus juste, pour commencer, de l’intituler l’Évangile en Samarie.

            Nous savons bien que, en ce temps-là, les Juifs ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains (vieille affaire de pureté rituelle). Mais Juifs et Samaritains sont voisins, qu’ils le veuillent ou pas, Galilée au nord, Judée au sud, Samarie au milieu, sur moins d’une centaine de kilomètres… Ces peuples pourraient-ils un jour se réconcilier ?

            Mais la question qui se pose dans ce texte n’est pas celle de la réconciliation de ces peuples frères, pas directement, mais celle de l’évangile et de l’évangélisation. Et pour qui ?

            Pour qui est la bonne nouvelle ? Pour des Samaritains ? Ça ne va pas de soi, pas du tout ! Car c’est dans l’évangile de Jean que l’on entend ceci : De Nazareth il ne sort rien de bon, phrase prononcée par un gars qui est de Capharnaüm, 40 kilomètres, de la Galilée à la Galilée, la distance de la haine et du mépris. Alors, s’ils en sont là entre Galiléens, qu’en sera-t-il entre Galiléens et Samaritains ?

            Il en sera selon que les Juifs ne veulent rien avoir de commun avec les Samaritains. Et l’histoire, notre méditation, se finit là, chacun rentre chez soi, et heureux si l’on ne se sépare pas avec toutes sortes d’insultes et toutes sortes de jets de pierres.

            Conclusions, les Juifs, ça ne veut rien dire de constructif, et les Samaritains ça ne veut rien dire de constructif, surtout s’il s’agit de transmettre l’Évangile. Le paysage de l’humanité est morcelé au point qu’il n’y a plus qu’un homme, une femme, un individu en somme, un individu qu’aucun groupe, qu’aucune communauté ne soutient et qui d’ailleurs n’en éprouve pas le besoin.

            Cependant il y a quand même une sorte de hiérarchisation des personnes. Nous allons nous intéresser à ce qui est… tout en bas.

 

            Lorsqu’il s’agit de transmettre l’Évangile, ce sont des affaires qui se transmettent d’homme à homme. En fait, dans ce chapitre 4 de l’évangile de Jean, d’homme à femme. Et quelle femme ! 1. Une femme 2. Samaritaine 3. Qui mène une mauvaise vie 4. Qui connait ses classiques 5. Qui est dotée d’un bon sens de la répartie. 6. Qui se moque des conventions… Tout ce qu’il faut pour déplaire, des acquis qui la rendent probablement insupportable dans son milieu samaritain. Mais acquis qui la rendent unique, et surtout capable d’entrer aussi en relation avec cet homme, étranger, qui lui fait une demande finalement très simple : Donne-moi à boire. Et, curieusement, nous trouvons en cet étranger les caractéristiques que nous avons trouvées en elle. 1. Cet homme 2. Juif 3. (on ne sait pas quelle vie il a menée – mais il est un homme libre, libre de parler avec cette femme-là, avec toutes et tous les autres 4. Il connait ses classiques, Ô combien il les connaît 5. Il sait mener une conversation 6. Et il se moque bien – on l’a vu dès le début – des conventions, à un point tel que même ses propres disciples ne comprennent pas ce qui se joue à cet instant (Horreur, horreur, mon maître cause et se commet avec une femme impure, indigne !)

 

            Ce qui se joue, c’est le commencement de l’Évangile. Il ne se joue pas entre un groupe ethnique et un prédicateur brillant. Bien sûr, Jésus s’adressera tantôt à des groupes, et la parole y circulera, mais ici, maintenant il s’agit du commencement de l’Évangile, voire même des conditions de possibilité du commencement de l’Évangile (évangélisation transcendantale). Ce commencement qui se joue entre une cette femme et cet homme, dont l’un est plus fort que l’autre. Jésus est plus fort que la femme, spirituellement s’entend. Le lecteur de l’évangile de Jean le sait parfaitement. Mais cet homme, Jésus de Nazareth, se tient toujours à disposition d’elle. Nous aimerions bien le dire plus simplement, essayons : il est infiniment supérieur à elle, mais il s’abaisse infiniment aussi pour qu’elle puisse s’élever. Nous dirons sans biaiser que sans ce mouvement, sans cet abaissement infiniment profond, il n’est pas possible qu’il y ait de commencement de l’Évangile, rien n’est transmis, tout se perd.

 

            Et c’est ce que, peut-être, nous voyons se produire, lorsque les disciples de Jésus reviennent après avoir fait des achats de nourriture. Et lorsqu’ils s’étonnent – s’étonner n’est pas assez fort – ils sont subjugués – il faut trouver ici un mot qui aura la force de la surprise et en même temps le poids du scandale. Ils sont des Galiléens, et pensent mal des Samaritains. Et si vous rajoutez qu’il s’agit d’une femme, comme nous l’avons déjà vu, et le reste, que peut-il se passer ? Elle, qui est rien, qui est tout en bas de tout, pourrait-elle commencer d’entreprendre d’annoncer l’Évangile à ces messieurs ? Après sa conversation avec Jésus, elle est assez équipée…

            Or, rien ne se produit entre elle et eux. Dans ce texte, l’Évangile qui pourtant est à fleur de peau et passe de Jésus à la femme, ne va pas passer de la femme aux disciples… au point que nous pourrions dire que les disciples de Jésus sont les derniers à accepter l’Évangile. Et c’est ainsi que les disciples de Jésus sortent du récit d’évangélisation, et demeurent auprès de Jésus pour l’une de ces controverses à laquelle ils – les disciples -  n’ont pas dû comprendre grand-chose (peut-être d’ailleurs que nous devrions voir dans ces controverses une seconde voie menant à l’Évangile).

           

            L’évangélisation continue, une autre voie encore, car les Juifs ne sont pas les seuls à attendre un messie. Les Samaritains ont un Saint Livre (Genèse, Exode Lévitique Nombre, Deutéronome), ils ont un Temple (Garizim), ils y rendent un culte à Dieu, il y a parmi eux des gens qui pensent. Le messie attendu par les Samaritains est un homme qui a une parfaite connaissance des âmes. Ce messie aussi semble devoir être un homme du genre indulgent

            Savoir comment les Samaritains peuvent le rencontrer leur messie ? Nous qui avons médité sur les conditions de possibilité d’une rencontre, nous pouvons essayer de dire qu’il y a quelque chose d’universel. Peut-être en nous avançant un peu. Mais nous pouvons voir que deux choses peuvent avoir lieu en fait de rencontre du messie : 1. La rencontre de quelqu’un qui l’a rencontré 2. La rencontre directe.

            Une préférence tout de même, pour ceux qui l’ont rencontré, à cause de cette femme, première évangéliste au pays de Samarie, les autres autour d’elle ne l’aiment guère comme nous l’avons vu. Elle a parlé d’abord, Jésus a parlé ensuite, et certains préfèrent Jésus à la femme… un peu comme ces messieurs les disciples de Jésus, et beaucoup pour les mêmes raisons, ça les flatte, constante humaine.

           

Faut-il être pessimiste avec cela ? Au fond, à part les bribes que nous avons entrevues, nous ne savons rien des chemins secrets de l’Évangile. Mais ils existent, l’Évangile fait toujours son chemin. Grâces en soient rendues à Dieu.