Que sont les
Béatitudes ? Que sont les enseignements sel de la terre et lumière du
monde ? Que sont les enseignements sur la Loi et les Prophètes ? Ce ne sont pas à proprement parler
des enseignements. Leur propos commun n’est pas de répondre à des questions ni
de poser de puissantes questions. Leur propos est de rendre possible une parole
humaine qui soit une parole divine. Avec leur air de ne pas y toucher, avec
leur air de simplicité, ces fragments invitent leur lecteur à une profonde méditation
des moyens et des fins, méditation sans laquelle aucune parole de Dieu ne
saurait être prononcée par un être humain, et si nous l’osions, méditation sans
laquelle aucune théologie n’est possible.
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Matthieu 5
13 «Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa
saveur, comment redeviendra-t-il du sel? Il ne vaut plus rien; on le jette
dehors et il est foulé aux pieds par les hommes.
14
«Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être
cachée.
15
Quand on allume une lampe, ce n'est pas pour la mettre sous le boisseau, mais
sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
16
De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu'en voyant vos bonnes
actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.
Prédication :
« Vous êtes le sel de
la terre. » C’est tout simple,
sujet verbe complément. C’est tout simple, apparemment. Une phrase qui peut
être reçue comme un commandement. Ou comme une sorte de compliment. Comme une
sorte de déclaration, adressée à ceux qui, disciples de Jésus, auront bien agi,
se sont bien tenus, auront fait du bien à leurs contemporains. La phrase donc
peut avoir le sens d’une distinction, d’une récompense. Mais aussi comme une
invitation à la méfiance, tant il est vrai qu’il faut, parfois, se méfier de
soi-même. La phrase alors met le trouble en nous. Cette phrase qui n’est une
phrase si simple, sujet, verbe complément.
Je me souviens vaguement
d’un rassemblement de jeunesse organisé par notre Eglise, il y a quelques
années parmi les slogans duquel figurait un Matthieu 5,13 un petit peu
transformé : « Nous sommes le sel de la terre ». Une recherche
sur le net et avec ce genre de transformation du texte s’avère assez féconde –
si l’on peut parler pour cela de fécondité. Le « vous êtes » est
souvent transformé en « nous sommes ». La déclaration que Jésus
adresse à ses disciples devient une sorte de slogan « nous sommes le sel
de la terre ! » ; soit, mais, les autres, comment le
savent-ils ? qui l’a dit, et qui le montre, et qui le garantit ? qui
se dresse pour, ou contre, une aussi belle affirmation, qui est peut-être une
vérité, mais qui peut aussi être une folle prétention ? Qui donc va le
dire ?
Et puis, d’abord, sel de
la terre, qu’est-ce que ça signifie ? Dans le sens qui est ici employé
(Matthieu 5,13), le sel est un exhausteur de goût. Un petit peu de sel rend la
nourriture un peu plus savoureuse, et la chose est connue depuis l’antiquité.
Sel de la terre doit s’entendre un peu de la même manière, non pas pour une
assiette de soupe seulement, mais pour le monde entier et pour la joie de tous
ceux qui y vivent. Tous ceux qui y vivent, c’est sans doute un peu beaucoup,
mais peuple, ou une foule, oui, pourquoi pas…
Pourquoi pas. Mais tout cela étant dit, le sel n’est qu’une
chose, il est inerte. Le sel n’a pas conscience de ce qu’il est. Le sel ne dit
jamais « je suis le sel de la terre ». Il contente d’être là, offert,
et il disparaît totalement dans l’usage qu’on fait de lui.
Alors, celui qui se
réclame de Jésus, celui qui veut se proclamer sel de la terre, est-il toujours
d’accord ? Veut-il vraiment être cette chose passive, infiniment offerte,
et qui se dissout sans reste, ne laissant là que la satisfaction d’un
convive… ? Ce sel, ou ce disciple qui se veut sel de la terre, il semble
que plus il y prétend, et moins il l’est. Car ça n’est pas à cause de trop peu
de sel que le sel perd sa saveur, mais au contraire la faute à trop de sel.
Et puis, trop de sel, ou
trop peu de sel, est-il possible de distinguer ? Pour ceux qui lisent la
Bible, il est certainement possible, Bible en main, de construire un ensemble
permettant d’évaluer les paroles et les actes d’untel et de se prononcer sur
oui ou non sel de la terre. Mais les paroles et les actes n’ont pas toujours la
même portée, la même saveur. Qui donc décidera ? Une suggestion,
peut-être, des actes et des paroles peuvent sauver des vies. Paroles et gestes
d’êtres humains après coup recevant le titre de Justes parmi les Nations, et
dont certains ont à jamais refusé tout honneur ou distinction. Ils
disparaissent, l’histoire oublie leur nom comme le sel dont nous avons parlé.
Sauf que, dans ce cas, les Justes ne choisissent pas, ne réclament pas les
honneurs. Le sel ne choisit pas, il apparaît, fait ce qui doit être fait et
puis disparaît, laissant derrière lui un monde à la saveur renouvelée
Qui donc le dira sel de la
terre ? C’est nous, c’est vous. Pensant à celles et ceux auxquels nous
devons, nous dirons d’eux, ou nous leur dirons, « Vous êtes le sel de la
terre »
« Vous êtes la
lumière du monde » Le second énoncé à la même forme que le premier, et la
réflexion que nous avons menée jusqu’ici semble pouvoir être assez simplement
reprise. A ceci près que la méditation du sel était très terre à terre. La
parole était possible, entre deux risques, celui de la rétention et celui de
l’extinction. Entre les deux, voire delà de l’une et de l’autre, se trouvait le
champ d’une parole à la fois forte et humble, disant ce qui devait l’être, et
laissant au temps et aux humains la responsabilité de son accomplissement. Mais
qu’en est-il de la lumière ?
Avec les versets portant
sur la lumière, nous avons affaire à des matériaux plus denses, et plus
durables. Le sel de la terre n’était rien, dès le début de « vous êtes le
sel de la terre », il n’était rien de plus que la buée du premier verset
de Qoeleth (l’Ecclésiaste) Sel de la terre, vanité des vanités, poussière de
poussière. Mais la pierre, les villes, et les maisons, c’est autre chose. La
lumière ne peut rien contre elles. Tout au plus la lumière peut-elle produire
des ombres ; elle permet que soient appréciés volumes et reliefs. Mais si
la lumière vient de partout en quantité considérable, on n’y voit finalement
plus rien, éblouissement garanti, direction défaillante et collision.
Dans ce deuxième moment de
la notre méditation, s’il semble être question d’une petite lampe domestique et
d’une simple maison, il est aussi question d’une ville entière, de Dieu
lui-même et du ciel. Il est donc question de petites affaires domestiques, et
de grandes affaires ; les affaires domestiques peuvent être de grandes
affaires. Grandes affaires, ou petites, ce sont des affaires permanentes.
Et comment cela va-t-il se
mettre en place et en évidence ? Un peu comme « le sel de la terre ».
Ceux à qui l’on dit « vous êtes lumière du monde » vont pouvoir –
vont devoir… vont pouvoir examiner les raisons et les buts de leurs actions,
même si finalement c’est avec une certaine spontanéité qu’ils les accompliront.
Avec une différence importante puisque le travail, et la méditation s’opèrent
sur des matériaux divins, nous voyons la pierre et la lumière. Qui dit
matériaux permanents dit empreinte permanente. Avec pierre et lumière, la trace
des bonnes actions est ineffaçable, et la trace des mauvaises actions est
ineffaçable. En plus, avec pierre et lumière c’est Dieu lui-même qui est en
œuvre, et en cause. Si bien que tout ce qui a été dit avec le sel de la terre
peut – et doit – impérativement être repris, par le disciple de Jésus Christ, avec
prudence mais peut probablement aussi être repris avec joie. Est-on jamais tout
à fait certain de ne pas se tromper ? On ne sait. Mais quelqu’un vous dit
ceci : « Vous êtes lumière du monde ! » Et ça n’est pas du
monde entier, c’est quand même lumière, et si seulement une maison est
éclairée, si c’est une seule pièce de la maison, c’est quand même lumière.
Vous êtes la lumière du
monde
Amen