1 Alors Jésus fut conduit
par l'Esprit au désert, pour être tenté par le diable.
2 Après avoir jeûné quarante jours
et quarante nuits, il finit par avoir faim.
3 Le tentateur s'approcha et lui
dit: «Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains.»
4 Mais il répliqua: «Il est écrit:
Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra, mais de toute parole sortant
de la bouche de Dieu.»
5 Alors le diable l'emmène dans la
Ville Sainte, le place sur le faîte du temple
6 et lui dit: «Si tu es le Fils de
Dieu, jette-toi en bas, car il est écrit: Il donnera pour toi des ordres à ses
anges et ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied
quelque pierre.»
7 Jésus lui dit: «Il est aussi
écrit: Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu.»
8 Le diable l'emmène encore sur une
très haute montagne; il lui montre tous les royaumes du monde avec leur gloire
9 et lui dit: «Tout cela je te le
donnerai, si tu te prosternes et m'adores.»
10 Alors Jésus lui dit:
«Retire-toi, Satan! Car il est écrit: Le Seigneur ton Dieu tu adoreras et c'est
à lui seul que tu rendras un culte.»
11 Alors le diable le laisse, et
voici que des anges s'approchèrent, et ils le servaient.
Prédication :
Je voudrais commencer en
posant une question toute simple : pourquoi la bonne nouvelle de Jésus
Christ a-t-elle été transmise sous la forme d’histoires de la vie de Jésus
Christ ?
Nous avons quatre
évangiles, nous avons pris l’habitude de considérer qu’un évangile c’est un
récit de vie de Jésus. C’est même plus fort que ça, lorsque ces quatre
évangiles sont regroupés en un seul récit (Harmonie
des quatre évangiles), les fragments se complétant, dont parfois le
déroulement est totalement lié à l’année liturgique… L’Évangile c’est alors la
vie de Jésus Christ, rapportée par des témoins oculaires et autorisés.
Pourtant, évangile ça ne
signifie pas histoire, mais Bonne Nouvelle, et la bonne nouvelle a un auteur.
C’est d’après cet auteur – parfois on ne le connait pas – que l’histoire est
connue. Commencement de la bonne nouvelle de Jésus Christ Fils de Dieu, c’est
un titre assez précis – selon Marc, le titre est complet…
Mais pourquoi fallut-il
que cette Bonne Nouvelle prenne l’allure d’une histoire ? La question
revient. Il faut dire que la Bonne Nouvelle a été transmise sous d’autres
formes. Ainsi, exemple le plus connu, l’Apôtre Paul a transmis l’Évangile de Jésus
Christ sous la forme de lettres théologiques, et sans aucunement insister sur
la biographie de ce Jésus dont il parle, Galates, Philippiens, Romains. Ainsi
aussi, l’auteur de l’épître aux Hébreux a transmis l’Évangile en utilisant un
vocabulaire spécifique, un vocabulaire lié à une tradition du Temple. Et la
liste peut être prolongée en explorant tous les livres du Nouveau Testament, et
de l’Ancien aussi, car la Bonne Nouvelle ne peut pas – ne doit pas – être
circonscrite à un Testament, ni à l’autre, ni à un genre littéraire particulier,
ni...
Pourtant, lorsque nous
arrivons à cette forme narrative particulière usuellement appelée évangile, tout
se passe comme si Jésus-Christ avait été, sa vie durant, suivi par plusieurs
scribes fidèles et habiles à prendre des notes, habiles à en faire une
composition. Et bien souvent alors, dans toutes sortes de discussions, sur
l’organisation de l’Eglise, ou sur la vie que mènent les gens, nous nous
heurtons à l’autorité de la chose racontée (Jésus a commandé ceci ; Jésus
a désigné Untel), nous nous heurtons à l’autorité de la chose racontée, surtout
à l’autorité de ceux qui s’en réclament.
En ce premier dimanche de
Carême, sept dimanches d’ici Pâques, il nous est suggéré de lire la tentation
d’Adam et Ève, c’est le serpent qui gagne, de lire l’œuvre de Jésus Christ
selon Paul, c’est Jésus Christ qui gagne et gagnera, et de lire les tentations
de Jésus Christ selon Matthieu. Nous insistons sur Matthieu, sur ces trois
épreuves qui, selon Matthieu, sont proposées à Jésus.
Première, le pain, les
pierres, et la parole, avec une certaine question : de quoi l’homme
vivra-t-il ? Et d’où cela lui viendra-t-il ? Réponse simple : de
Dieu. L’essentiel nourrissant vient de Dieu, toujours. Il s’attend et se reçoit
de Dieu.
Deuxième, un miracle
promis par Dieu dans les Saintes Écritures : se jeter dans le vide et
survivre avec brio, car c’est écrit. La réplique de Jésus est sans nuances,
Dieu agit et agira toujours selon sa grandeur et selon sa liberté. D’où vient-il
que l’on survive ? De Dieu et de lui seul.
Troisième, le pouvoir
s’obtient par prosternation intéressée, c’est la proposition du tentateur.
Réponse de Jésus, le culte rendu à Dieu est un culte gratuit, désintéressé.
Aucun pouvoir à attendre de ce culte et si un pouvoir un jour vous est remis,
c’est Dieu seul qui le remet.
Quel est le résultat de
cette rapide exploration des tentations selon Matthieu ? Tout d’abord, les
tentations ne sont pas chronologiques, ça n’est pas une puis une seconde, puis
la troisième. Elles peuvent être simultanées, elles peuvent être consécutives. Les
tentations ne sont pas nécessairement chronologiques, mais elles sont
topologiques. Si l’on compare la vie à un jardin, les tentations sont plantées
à tel ou tel endroit, vivaces, perpétuelles, et celui qui vit là risque
toujours de s’y perdre (Zola, La faute de
l’Abbé Mouret). S’y perdre, est-ce fatal ?
Nous avons deux raisons de
répondre que ça n’est pas fatal. L’une constater que l’être humain peut dire
non. Il y en a qui disent non. Il y en a un qui dit non, Jésus Christ, qui
renvoie le tentateur à ses tentations, par trois fois. C’est donc humainement
possible. Et même la voie dévastée par le premier couple peut redevenir
carrossable après la résistance de Jésus. Jésus qui est un homme – on ne le
dira jamais assez. Et, s’agissant de la foi, ce qu’un homme fait, l’homme peut
le faire.
Deuxième raison pour
laquelle la perdition n’est pas fatale, en quatre lettres : Dieu. Là où
Dieu est, tout est grâce et tout est don. C'est-à-dire, là où sont les
tentations, là aussi est ce que Dieu veut donner, et demande à jaillir. Ça
n’est pas tentation puis résolution, mais c’est en même temps présence du
Tentateur, du Tenté, et du Sauveur. Les trois parlent ensemble.
Ils parlent ensemble. Et
nous ne pouvons pas imaginer une conversation courtoise, bien assis autour
d’une table de jeu. Il y a bien un affrontement entre tous. Tout comme dans le
livre de Job lorsque Dieu, Diable, et Job, se disputent au sujet de l’intégrité
de l’homme, et tout comme l’homme proteste de sa propre intégrité devant Dieu
et devant ceux qui parlent trop doctement de lui. Trois voix donc se font
entendre.
Laquelle va parler le plus
fort ? C'est-à-dire, on n’entendra plus qu’elle, et ce qu’elle dit
l’emportera sur ce que diront les autres. L’emportera en volume, ou en
profondeur du propos ?
Bien sûr, nous avons nos
favoris, et bien sûr aussi nous préférons la victoire, façon Jésus Christ, au
désastre, façon Adam et Ève. Mais, la vraie vie, de quoi est-elle faite ?
De victoires, de désastres, et aussi de retournements considérables, car avec
Dieu et devant Dieu, le pire n’est jamais certain.
Nul ne sait jamais quelle
voix parlera le plus fort. Et si telle voix parle un temps le plus fort, nul ne
sait combien de temps cela durera. Ce qu’il en sera à la fin ? Nous disons
souvent que Dieu seul le sait. C’est une phrase juste qui, dans le cadre de
notre méditation de ce matin, signifie que celui qui croit va continuer
toujours sa réflexion, et sa conversation avec Diable et avec Dieu.
Carême ? Qu’est-ce
que Carême ? Le temps d’un apprentissage, l’apprentissage de cette
conversation entre le Croyant, le Tentateur, et le Sauveur, qui se fait
aujourd’hui dans la méditation de Romains, Genèse, et Matthieu, un menu déjà
particulièrement copieux – il y a de la finesse et beaucoup de nourriture. Diable,
Dieu, l’homme, personne ne l’emporte. C’est déjà un acquis considérable. Car la
conversation va continuer.
Cependant il me semble que
c’est plus qu’un apprentissage, c’est une révision. Vous saviez déjà ce que
nous venons de partager.
Nous en revenons donc au
Carême, à cette sorte de combat de la foi que représentent toujours toutes ces
tentations, avec les risques afférents, et avec les promesses connexes. Et
surtout, sur l’horizon la résurrection à venir.