Pour la parabole du Bon Samaritain, je vous renvoie au billet précédent. Pour Marthe et Marie, ci-dessous.
Luc 10
38 Comme ils étaient en route, il entra dans un
village et une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison.
39
Elle avait une sœur nommée Marie qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur,
écoutait sa parole.
40
Marthe s'affairait à un service compliqué. Elle survint et dit: «Seigneur, cela
ne te fait rien que ma sœur m'ait laissée seule à faire le service? Dis-lui
donc de m'aider.»
41
Le Seigneur lui répondit: «Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et t'agites pour bien
des choses.
42
Une seule est nécessaire. C'est bien Marie qui a choisi la meilleure part; elle
ne lui sera pas enlevée.»
Prédication :
La vie d’un lecteur de la Bible est
marquée de bien des découvertes, voici une de ces découvertes, qui date pour moi
du 11 juillet 2022. C’est une découverte plutôt récente, n’est-ce pas et dont
l’énoncé est très simple : Luc 10,38 vient juste après Luc 10,37.
Vous allez penser qu’il n’y a pas là un grand mystère – et qu’il est temps que
le Pasteur prenne des vacances… Vous allez penser aussi que c’est, quelque
chose que nous faisons tous lorsque nous étudions quelques versets bibliques,
regarder les versets qui viennent avant, et après, ceux que nous étudions.
Tous cela est vrai, bien sûr. Mais
pourquoi aujourd’hui, et ces versets-là ? Et bien Luc 10,38 c’est Marthe
et Marie et Luc 10,37, nous l’avons lu dimanche dernier et c’est la parabole du
bon Samaritain. Pourquoi ces deux textes hyperconnus ne sont-ils pas – ils le
sont très rarement – associés l’un à l’autre, alors qu’ils se touchent
totalement dans le récit ?
Probablement parce qu’ils sont
tellement connus et chargés chacun d’interprétations presque canoniques, qu’ils
se suffisent à chacun à lui-même. Pour préciser :
- le Va et toi, fais de même de la merveilleuse histoire du Bon Samaritain, fonctionne avec une idée du secours, avec en plus l’identification de bons et de méchants, et tout le monde dit Amen,
- et Marie a choisi la meilleure part établit
clairement la supériorité de la contemplation sur la diaconie ; ajoutons
que, dans la Bible, si vous vous appelez Marie, on ne vous reprochera jamais
rien, et que les scènes de ménage sortie fracassante de cuisine (façon Marthe),
on n’aime pas trop celles qui les provoquent ; alors après la dernière
réplique de Jésus, on dit Amen une seconde fois.
Chacun de ces deux textes, donc, se
suffit à lui-même.
Pourtant, il y a entre ces deux
textes des similitudes troublantes…
- à commencer par le fait que chaque fois il y a trois rôles (rôles plutôt que personnages) ;
- Marthe, Marie, Jésus, d’un côté, et Le Samaritain, le Prêtre, et l’homme battu de l’autre côté ;
- Et chaque texte comporte un « invité », Jésus, d’un côté, et l’homme battu, de l’autre côté ;
- devant ces invitations deux attitudes sont toujours possibles,
- une attitude qui prend en charge explicitement un corps humain, l’homme tombé pour le soigner, et Jésus pour le nourrir ;
- pendant que l’autre attitude se concentre sur la spiritualité, le Prêtre pense au Temple et à la pureté rituelle, et que Marie se concentre sur l’enseignement de Jésus ;
- notons bien ici que ces attitudes sont entières et sans partage : elles s’excluent totalement l’une l’autre, c’est soit le corporel, soit le spirituel, et ça ne se mélange pas (élément peut-être le plus fort de ces similitudes).
- Et ajoutons – mais nous l’avons déjà fait – que deux morales indiscutables de l’histoire viennent clôturer chacune son récit ; nous allons encore en parler.
Intéressantes similitudes. Que
faire, une fois qu’elles sont repérées ?
Considérons dans la vraie vie des gens ordinaires que nous sommes cette
occurrence vraiment rare : se trouver en présence d’une personne laissée
pour morte… Cette situation requiert votre attention, toute votre attention jusqu’au
moment où arriveront des secours – nous projetons ici dans notre siècle
l’argument de l’histoire du Bon Samaritain… Nous retenons la rareté de
l’événement, et l’intégralité de l’engagement. Il y a là-dedans ce que nous
pourrions appeler une éthique spéciale, une éthique de l’urgence. Cette éthique
de l’urgence peut comporter un module d’évaluation du comportement des uns et
des autres, ceux qui restent, et de ceux qui passent, on verra que, dans ce
module une certaine forme de la conscience de soi (forme théologique de la
conscience de soi et de la conscience d’autrui) déterminera le comportement de
ces gens qui passent, ou qui restent. Ceci pour la forme rare de
l’événement : il nous semble que le comportement approprié soit doit être entier, sans nuance et sans
reste, entière dévotion à autrui.
Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit
d’un événement récurrent et dans lequel il n’y a aucune vie qui soit mise en
jeu ? Comme Jésus invité chez Marthe. Évènement unique ? Oui, dans le
récit de Luc, Jésus va une seule fois chez Marthe. Cependant nous ne retenons
pas qu’il ne passe qu’une fois… le propos, c’est qu’il n’y a pas mort d’homme.
Dans la vraie vie, notre vraie vie, Jésus s’invite auprès de Marthe et Marie,
et chez nous, chaque fois que nous lisons le récit. Bien sûr, c’est Jésus, et
bien sûr il n’est pas une personne ordinaire, mais faut-il s’engager dans les
préparatifs de ce repas-là comme on s’engagerait s’il y avait risque létal ?
On ne comprend guère cet engagement extrême de Marthe, comme si la vie de Jésus
en dépendait, ou comme si la vie de l’hôtesse en dépendait, et comme si la
mobilisation générale de toutes les ressources disponibles était obligatoire
pour le dîner… Le Samaritain, lui, n’oblige personne d’autre que lui-même. Chez
Marthe, on pourra manger un peu plus tard, l’hospitalité proche orientale sera
un peu moins considérable, mais plus participative cette fois, et il y aura
pour tous et de l’enseignement et de quoi manger… Ainsi cette autre éthique, éthique
du récurrent, l’éthique de l’ordinaire, a le souci simultané de ce qui nourrit
le corps et l’âme.
Mais il reste un élément encore sur
lequel nous allons nous pencher. Marthe, Marthe, tu
t’inquiètes et t'agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. C'est
bien Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée. Avançons prudemment,
car – nous l’avons déjà dit, lorsque le prénom Marie arrive dans la Bible, sous
nos yeux, nous risquons de perdre la tête. Marie a choisi la bonne part (bonne,
ou meilleure, ça ne change pas trop…) Cette part ne lui sera pas ôtée, sans
doute parce que la Parole de Jésus, quand quelqu’un la reçoit, devient en lui
ineffaçable. Marie donc ventre vide se nourrirait de ce qui est bon, de la
bonne part. Une part spirituellement nécessaire… Oui, mais il faut tout de même
manger, car même la meilleure spirituelle part a besoin pour être dite et
partagée de corps humains en état de fonctionner.
Et c’est ici que nous
allons retrouver Marie, assise aux pieds du Maître et ne faisant rien d’autre,
vivant donc en fait selon une éthique de l’urgence et de l’exception, tout
exactement comme sa sœur, tout exactement comme ces messieurs de la parabole du
Bon Samaritain. Pourtant, il n’y a pas mort d’homme, pourtant Jésus est vivant.
Bien sûr le lecteur qui est savant sait que Jésus mourra dans quelques
chapitres et qu’il y a même une sorte d’urgence. Oui. Mais il faut être un peu
théologien et un peu témoin du Dieu vivant et du Christ ressuscité.
Il y a de la vie. La vie est là-dedans qui nous permet de méditer sur ce qui est exceptionnel et sur ce qui est régulier. Il n’y a pas péril à cet instant et nous pouvons vivre dans une tranquillité fraternelle. Amen,