samedi 23 juillet 2022

Abraham, Dieu, et les prières qu'ils s'adressent l'un à l'autre (Genèse 18,20-33)

Genèse 18

20 Le SEIGNEUR dit: «La plainte contre Sodome et Gomorrhe est si forte, leur péché est si lourd

 21 que je dois descendre pour voir s'ils ont agi en tout comme la plainte en est venue jusqu'à moi. Oui ou non, je le saurai.»

 22 Les hommes se dirigèrent de là vers Sodome. Abraham se tenait encore devant le SEIGNEUR,

 23 il s'approcha et dit: «Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le coupable?

 24 Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville! Vas-tu vraiment supprimer cette cité, sans lui pardonner à cause des cinquante justes qui s'y trouvent?

 25 Ce serait abominable que tu agisses ainsi! Faire mourir le juste avec le coupable? Il en serait du juste comme du coupable? Quelle abomination! Le juge de toute la terre n'appliquerait-il pas le droit?»

 26 Le SEIGNEUR dit: «Si je trouve à Sodome cinquante justes au sein de la ville, à cause d'eux je pardonnerai à toute la cité.»

 27 Abraham reprit et dit: «Je vais me décider à parler à mon Seigneur, moi qui ne suis que poussière et cendre.

 28 Peut-être sur cinquante justes en manquera-t-il cinq! Pour cinq, détruiras-tu toute la ville?» Il dit: «Je ne la détruirai pas si j'y trouve quarante-cinq justes.»

 29 Abraham reprit encore la parole et lui dit: «Peut-être là s'en trouvera-t-il quarante!» Il dit: «Je ne le ferai pas à cause de ces quarante.»

 30 Il reprit: «Que mon Seigneur ne s'irrite pas si je parle; peut-être là s'en trouvera-t-il trente!» Il dit: «Je ne le ferai pas si j'y trouve ces trente.»

 31 Il reprit: «Je vais me décider à parler à mon Seigneur: peut-être là s'en trouvera-t-il vingt!» Il dit: «Je ne détruirai pas à cause de ces vingt.»

 32 Il reprit: «Que mon Seigneur ne s'irrite pas si je parle une dernière fois: peut-être là s'en trouvera-t-il dix!» - «Je ne détruirai pas à cause de ces dix.»

 33 Le SEIGNEUR partit lorsqu'il eut achevé de parler à Abraham et Abraham retourna chez lui.

Prédication :

         Dans les premiers chapitres de la Genèse, il y a de nombreuses circonstances dans lesquelles Dieu a forme humaine et entre en conversation avec des êtres humains. Dieu a forme humaine, c’est manifeste s’agissant du langage, et c’est manifeste aussi s’agissant de l’apparence physique de Dieu. Par exemple Dieu c’est trois voyageurs qui apparaissent soudain, devant la tente d’Abraham, au plus fort de la chaleur du jour. Dieu donc a un corps, et Abraham va accueillir ce corps selon les règles habituelles de l’hospitalité. Laver ces corps, les faire asseoir à l’ombre d’un arbre, et les nourrir… la conversation s’engage. L’homme parle à Dieu, et Dieu parle à l’homme.

            A la fin de la conversation, Dieu s’en va de son côté et Abraham du sien. Le côté d’Abraham, c’est son chez soi, là où la conversation avait commencé, et le côté de Dieu… En Genèse 19:1, nous apprenons que Dieu a des messagers – il en a deux – qui engagent la conversation avec Lot, messagers qui agiront, comm-e un dieu courroucé, en détruisant la ville de Sodome, et comme un dieu miséricordieux en sauvant Lot et sa famille. En fait de messagers, ou d’anges, c’est Dieu, encore et toujours qui a visage humain et puissance gigantesque, même si par prudente pudeur on le nomme Anges plutôt que Dieu. Dieu avait parlé avec Abraham, et Abraham avec Dieu, Dieu parle à Lot, et Lot parle à Dieu.

            L’homme parle à Dieu. Ce doit être une prière… Mais Dieu parle à l’homme, serait-ce une prière aussi ? Et n’y aurait-il pas de questions à poser sur l’exaucement de ces prières ?

           

            (Dieu exauce l’homme) L’homme – concentrons-nous sur Abraham – parle avec Dieu. Ça se passe en un lieu-dit Chênes de Mamré. Nous nous souvenons en général assez bien de cette conversation, car il y a une question très puissante, et un certain marchandage. Question très puissante d’Abraham au sujet de Sodome : Cher Dieu, supprimeras-tu le juste avec le coupable ? Dialogue, marchandage : 50 justes, 45, 40, 30, 20, 10. Ce sont autant de prières à Dieu. Mais comment pouvons-nous qualifier les réponses de Dieu à Abraham ? Dieu répond à Abraham en accédant précisément à la demande qui avait été faite. Nous appelons exaucement ce genre de réponse. Mais il y a toujours quelque chose d’étrange là-dedans : pourquoi entrer dans ce marchandage ? Pourquoi cette attitude tellement étrange de Dieu qui entre comme un homme, comme un partenaire, dans la discussion humaine ? Et qui, en y entrant, se met à être affecté, se met à changer. A ce point que sa miséricorde initialement indexée à 50 étant à la fin indexée à 10… avant une dérogation, Lot et famille de Lot.

            Dieu change, Dieu est changé. Le Dieu à forme humaine dont nous parlent certaines belles pages de la Genèse, accepte le dialogue humain et les affects humains. Il est transformé par la fréquentation de l’humanité. A force de fréquenter Abraham, à force d’accepter la prière d’Abraham, Dieu devient miséricordieux comme Abraham. En somme donc, Dieu, en se transformant, exauce Abraham.

 

            (L’homme exauce Dieu) Dieu exauce Abraham, mais ça n’est pas tout, ça ne peut pas être tout. Nous avons commencé notre méditation en mettant face à face l’homme et Dieu, un face à face qui nous semble plutôt équilibré. Nous prenons au sérieux cet équilibre. Et si donc Dieu exauce Abraham, il nous faut explorer aussi qu’Abraham exauce Dieu. C’est une formule à laquelle nous sommes peu habitués, l’homme exauce Dieu. Mais en quoi pourrait-il accomplir cet exaucement ? Nous nous demandons pourquoi la discussion entre Abraham et Dieu au sujet de Sodome s’arrêta à 10. Nous reconnaissons en ce 10 le chiffre minimal qu’il faut atteindre, en judaïsme, pour pouvoir sortir le rouleau de la Loi et pour prier valablement… sauf qu’en ce dix il y a trop de rigueur, ou trop peu de souplesse, dans l’utilisation des nombres. Laissez-moi vous raconter une histoire juive.

            Il y a déjà plusieurs dizaines d’années, alors que j’étais pasteur à Bourg en Bresse, il y avait un jumelage très actif avec une ville allemande, Bad-Kreuznach. Dans le cadre de ce jumelage, nous avons voulu faire mémoire des années terribles 1933-1945. Nous sommes allés à Worms et à Worms nous avons visité les divers lieux et monuments témoignant de la présence des Juifs dans la ville, et donc, bien sûr, la Synagogue, où nous avons longuement discuté avec le gardien, qui n’était pas Juif, qui était Allemand fils d’Allemand depuis la nuit des temps. Un moment, la discussion s’est portée sur les offices du Sabbat : étaient-ils 10 adultes pour pouvoir prier ? Réponse du gardien, non, ils n’étaient pas dix, ils n’étaient que 9. Et alors ? Le gardien nous fit cette réponse : Je suis le 10ème. Objection fraternelle : « Vous n’êtes pas Juif ! » Et il nous fit cette étonnante réponse : « Ils m’ont dit "Tu n’es pas Juif mais tu t’occupes des affaires des Juifs, alors tu es Juif." » Et il faisait donc le 10ème, en attendant que, peut-être, d’autres Juifs viennent s’installer Worms, on était 60 ans après la catastrophe.

            Avec cette petite histoire, vous voyez cette souplesse en action. Passer de 50 à 10, c’est une souplesse arithmétique, bien sûr. Mais c’est aussi une souplesse du cœur. C’est aussi une souplesse du cœur que l’accord entre Dieu et Abraham sur le chiffre 10 se soit traduit par une toute autre arithmétique, et qu’Abraham n’y ait rien trouvé à dire. Car nous aurions pu voir un Abraham se tenir, avec vanterie, cramponné bec et ongle sur les chiffres et l’obéissance qu’on leur doit, comme on la doit aussi littéralement aux révélations divines (Jonas) ou aux Saintes Écritures…

            Comme souvent avec les Saintes Écritures, le lecteur en sait trop, le lecteur assiste à des scènes difficiles sans avoir à se mouiller, et le lecteur doit donc être prudent dans ses interprétations...

            Abraham se réclame-t-il d’une révélation ? Il rentre chez lui. Le voit-on se réclamer de son affaire personnelle avec Dieu ? Non. Le voit-on se prononcer sur le destin de Sodome ? Non. Est-ce de l’indifférence ? Si c’était de l’indifférence, Abraham n’aurait pas négocié avec Dieu.

            En négociant comme il le fait, à partir de 50 et en s’arrêtant à 10, Abraham laisse de l’espace, il laisse du jeu, et il laisse en cela de la place pour Dieu. Et c’est en cela qu’Abraham exauce Dieu, en lui laissant toute la place possible, toute l’initiative possible. Et en s’en remettant alors totalement à Lui, Abraham laisse Dieu être Dieu.

 

            Qu’en est-il alors de nos prières ? Pour essayer d’en comprendre la portée,  nous pouvons commencer par l’homme exauce Dieu. Nous confions nos prières à Dieu, avec ces prières nous nous confions nous-mêmes, et il sait, Lui, ce qui doit advenir. En somme notre prière Lui appartient. Nous exauçons Dieu en cela. Ce qui viendra sera exaucement de nos prières, car nous prions, au fond, non pas pour ceci et pour cela, mais pour que Sa volonté s’accomplisse.

            Et ce qui advient alors, c’est que Dieu exauce cette prière. Il apparaît, il se manifeste, tout autrement que nous ne l’avions voulu. Dieu exauce l’homme. Et c’est tellement vrai, la différence provisoirement comblé entre eux est tellement importante que, pour parler de cela, il existe une formule : Dieu se fait homme. Nous allons penser ici que Dieu se fait homme en Jésus Christ. Nous en parlerons une autre fois. Pour l’heure, Dieu exauce celui qui prie et se fait homme pour lui ! C’est une merveilleuse bonne nouvelle. Grâces soient rendues à Dieu ! Amen.