samedi 7 mai 2022

Guerre entre adorateurs de Dieu (Jean 10,27-30 et Actes 13,14-52) La substance et la violence

Jean 10 

27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite.

 28 Et moi, je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main.

 29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main du Père.

 30 Moi et le Père nous sommes un.»

 

Actes 13 :

14 Quant à eux, quittant Pergé, ils poursuivirent leur route et arrivèrent à Antioche de Pisidie. Le jour du sabbat, ils entrèrent dans la synagogue et s'assirent.

 15 Après la lecture de la Loi et des Prophètes, les chefs de la synagogue leur firent dire: «Frères, si vous avez quelques mots d'exhortation à adresser au peuple, prenez la parole!»

 16 Paul alors se leva, fit signe de la main et dit: «Israélites, et vous qui craignez Dieu, écoutez-moi.

 17 Le Dieu de notre peuple d'Israël a choisi nos pères. Il a fait grandir le peuple pendant son séjour au pays d'Égypte; puis, à la force du bras, il les en a fait sortir;

 18 pendant quarante ans environ, il les a nourris au désert;

 19 ensuite, après avoir exterminé sept nations au pays de Canaan, il a distribué leur territoire en héritage:

 20 tout cela a duré quatre cent cinquante ans environ. Après quoi, il leur a donné des juges jusqu'au prophète Samuel.

 21 Ils ont alors réclamé un roi, et Dieu leur a donné Saül, fils de Kis, membre de la tribu de Benjamin, qui régna quarante ans.

 22 Après l'avoir déposé, Dieu leur a suscité David comme roi. C'est à lui qu'il a rendu ce témoignage: ‹J'ai trouvé David, fils de Jessé, un homme selon mon coeur, qui accomplira toutes mes volontés.›

 23 C'est de sa descendance que Dieu, selon sa promesse, a fait sortir Jésus, le Sauveur d'Israël.

 24 Précédant sa venue, Jean avait déjà proclamé un baptême de conversion pour tout le peuple d'Israël

 25 et, alors qu'il terminait sa course, il disait: ‹Que supposez-vous que je suis? Je ne le suis pas! Mais voici que vient après moi quelqu'un dont je ne suis pas digne de délier les sandales.›

 26 «Frères, que vous soyez des fils de la race d'Abraham ou de ceux, parmi vous, qui craignent Dieu, c'est à nous que cette parole de salut a été envoyée.

 27 La population de Jérusalem et ses chefs ont méconnu Jésus; et, en le condamnant, ils ont accompli les paroles des prophètes qu'on lit chaque sabbat.

 28 Sans avoir trouvé aucune raison de le mettre à mort, ils ont demandé à Pilate de le faire périr

 29 et, une fois qu'ils ont eu accompli tout ce qui était écrit à son sujet, ils l'ont descendu du bois et déposé dans un tombeau.

 30 Mais Dieu l'a ressuscité des morts,

 31 et il est apparu pendant plusieurs jours à ceux qui étaient montés avec lui de la Galilée à Jérusalem, eux qui sont maintenant ses témoins devant le peuple.

 32 «Nous aussi, nous vous annonçons cette bonne nouvelle: la promesse faite aux pères,

 33 Dieu l'a pleinement accomplie à l'égard de nous, leurs enfants, quand il a ressuscité Jésus, comme il est écrit au psaume second: Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré.

 34 «Que Dieu l'ait ressuscité des morts, sans retour possible à la décomposition, c'est bien ce qu'il avait déclaré: Je vous donnerai les saintes, les véritables réalités de David.

 35 «C'est pourquoi, il dit aussi dans un autre passage: Tu ne laisseras pas ton Saint connaître la décomposition.

 36 «Or David, après avoir servi, en son temps, le dessein de Dieu, s'est endormi, a été mis auprès de ses pères et il a connu la décomposition.

 37 Mais celui que Dieu a ressuscité n'a pas connu la décomposition.

 38 Sachez-le donc, frères, c'est grâce à lui que vous vient l'annonce du pardon des péchés, et cette justification que vous n'avez pas pu trouver dans la loi de Moïse,

 39 c'est en lui qu'elle est pleinement accordée à tout homme qui croit.

 40 «Prenez donc garde d'être atteints par cette parole des prophètes:

 41 Regardez, vous les arrogants, soyez frappés de stupeur et disparaissez! Je vais en effet, de votre vivant, accomplir une oeuvre, une oeuvre que vous ne croiriez pas si quelqu'un vous la racontait.»

 42 À leur sortie, on pria instamment Paul et Barnabas de reparler du même sujet le sabbat suivant.

 43 Quand l'assemblée se fut dispersée, un bon nombre de Juifs et de prosélytes adorateurs accompagnèrent Paul et Barnabas qui, dans leurs entretiens avec eux, les engageaient à rester attachés à la grâce de Dieu.

 44 Le sabbat venu, presque toute la ville s'était rassemblée pour écouter la parole du Seigneur.

 45 À la vue de cette foule, les Juifs furent pris de fureur, et c'était des injures qu'ils opposaient aux paroles de Paul.

 46 Paul et Barnabas eurent alors la hardiesse de déclarer: «C'est à vous d'abord que devait être adressée la parole de Dieu! Puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, alors nous nous tournons vers les païens.

 47 Car tel est bien l'ordre que nous tenons du Seigneur: Je t'ai établi lumière des nations, pour que tu apportes le salut aux extrémités de la terre.»

 48 À ces mots, les païens, tout joyeux, glorifiaient la parole du Seigneur, et tous ceux qui se trouvaient destinés à la vie éternelle devinrent croyants.

 49 La parole du Seigneur gagnait toute la contrée.

 50 Mais les Juifs jetèrent l'agitation parmi les femmes de haut rang qui adoraient Dieu ainsi que parmi les notables de la ville; ils provoquèrent une persécution contre Paul et Barnabas et les chassèrent de leur territoire.

 51 Ceux-ci, ayant secoué contre eux la poussière de leurs pieds, gagnèrent Iconium;

 52 quant aux disciples, ils restaient remplis de joie et d'Esprit Saint.

Prédication

            Une très longue !lecture dans le 13ème chapitre des Actes des Apôtres (une lecture exceptionnellement longue nous est proposée, un peu comme si une leçon unique et très importante était à retenir, qui serait attachée à un chapitre, et non, comme d’habitude attachée à un seul verset… mais, quelle leçon ?)

            Et en même temps, nous avons une autre lecture, exceptionnellement courte, quatre versets de l’évangile de Jean, qui, eux aussi, semblent devoir ne soutenir qu’une seule leçon, que voici, dans la bouche de Jésus : « Moi et le Père, nous sommes un ». Oui, ce pourrait être la leçon à retenir, qui va tellement bien fonder bibliquement ce que la chrétienté confessera dans les siècles qui suivront – et encore maintenant (Père, Fils, une seule nature, voire une seule substance – une actualité récente au sein du catholicisme, qui vient de changer sa traduction du Crédo de Nicée, Le Fils était de même nature que le Père, mais maintenant ils diront que le Fils est consubstantiel au Père…)(mais pourquoi est-il devenu nécessaire que soit réintroduite aujourd’hui la notion de substance dans la liturgie ?).

            L’unité du Père et du Fils, confession qui nous vient de l’évangile de Jean, pourrait assez bien faire affaire avec ce qui nous vient des Actes des Apôtres (13,52), à savoir ce qu’il faut de Saint Esprit pour que le paysage trinitaire soit juste bien en place (Matthieu le fait aussi, dans ses derniers versets). Mais restons à Jean et Actes.

            Ce qui lie donc Actes et Jean, ils ne le savent pas encore, vu qu’ils écrivent chacun dans sa propre tradition. Ce qui les lie finira par se conjoindre dans certains textes anciens, capitaux, par exemple la Confession de foi de Nicée (325, puis Constantinople, 381). Et c’est tellement important que certains iront affirmer que c’est dans les confessions de foi de l’Église ancienne que la plénitude de la révélation advient.

            Manière de chercher à décider, une fois pour toutes peut-être, si l’origine et la norme de la foi doivent être situées dans le témoignage biblique, le témoignage des écritures médité et toujours repris, ou si elles doivent être situées dans les anciennes réflexions, opérations sur le sens et productions de textes de l’Église des premiers temps. Et bien, ces questions sont de précieuses questions, et il y a plusieurs réponses possibles. La énième de ces réponses est celle de Calvin… et nous y viendrons – ou plutôt reviendrons – tout à l’heure.

              

            Nous y reviendrons tout à l’heure, parce que je voudrais partager avec vous une autre leçon, une autre approche. Mais pour ce faire, il nous faut d’abord rajouter quelques versets à l’évangile qui nous est proposé. Reprenons à « Moi et le Père, nous sommes un. » Voici la suite : « 31 Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider. 32 Mais Jésus reprit: "Je vous ai fait voir tant d'œuvres belles qui venaient du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider?" 33 Les Juifs lui répondirent: "Ce n'est pas pour une belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui es un homme tu te fais Dieu." »… Les précisions que donne alors Jésus se finissent sur un « …le Père est en moi comme je suis dans le Père » qui provoque de nouveau une tentative d’arrestation, mais Jésus parvient à s’éclipser.

            En élargissant ainsi la lecture, nous apprécions que ces deux textes sont liés non pas par la confession de foi qui viendra, mais sont plutôt liés par la violence immédiate. Violence dans les mots, dans les gestes, dans les intentions, la violence est partout et on sent la mort qui rode. Pour quelles raisons cette violence ?

            « Moi, et le Père, nous sommes un », affirme Jésus, et à cause de cette phrase, on veut le mettre à mort, soi-disant parce qu’il se fait Dieu. Pourtant, dans cette phrase, il n’y a rien que Jésus se fasse, et surtout pas un mouvement disons du bas vers le haut par lequel il se hausserait au-dessus de sa condition. La phrase de Jésus est juste déclarative : elle déclare que le Père et Jésus, lui, le Fils, sont un (il n’y a pas 36 manières de le dire), ils sont un et le lieu de cette unité n’est pas le très-haut ou l’au-delà des cieux, mais ici-bas. Le lieu de cette unité est ici-bas, et le lecteur n’a pas de mal à comprendre ici-bas parce que tout l’évangile de Jean s’inscrit dans une perspective définie dès son premier chapitre, du haut vers le bas : « …et le Verbe s’est fait chair. »

            Ainsi lorsque Jésus affirme que « Moi, et le Père, nous sommes un », il affirme qu’il n’y a de Dieu que là où Jésus fait ce que Dieu fait, qu’il n’y a de parole de Dieu que là où Jésus parle. Et comme nous avons choisi depuis longtemps une compréhension très ouverte de « le Verbe s’est fait chair », ce que nous venons de dire ne concerne pas Jésus seul mais chacune, chacun, de ceux qui croient.

            Dans cette perspective, il n’y a pas de Dieu tout puissant dominateur, mais un serviteur, Dieu serviteur, c'est-à-dire que tout ce que Dieu fait est fait par un homme, par des humains, sous les auspices de l’amour (langage de l’évangile de Jean), c’est fait et c’est offert, ça ne s’impose pas de soi… cela s’impose tellement pas de soi que les œuvres de Jésus sont laissées de côté par ses détracteurs, elles n’ont manifestement pas de poids pour ceux que seul intéresse un soi-disant blasphème.

            Ils accusent Jésus de blasphème et lorsque Jésus leur fournit de précieuses – et théologiques – explications, ils crient blasphème encore plus fort. En réalité, du blasphème, ils n’ont rien à faire, c’est juste pour éliminer un concurrent, c’est juste un moyen de défendre leur avoir. Car ils ont un Dieu, un Temple, tout un rituel, un grand choix de sacrifices possibles, du pouvoir sur les humains puisqu’ils contrôlent le pardon, et tout un commerce parce que pour les sacrifices, il faut des victimes. Ils ont un Dieu fort, ils captent et monopolisent la force de ce Dieu, et ils savent tout quoi faire… et ils ne veulent certainement pas perdre ça, et ils seront prêts à tout pour ne rien perdre.

            Mais pourquoi chercher précisément à mettre Jésus à mort, et si ça n’est que ça, pourquoi mêler le nom de Dieu à l’affaire ? Ça n’est pas une question d’élimination opportune d’un concurrent. C’est une affaire de jalousie et de haine. Jalousie, parce qu’ils réalisent soudain que Dieu se manifeste et que ça n’est pas par eux qu’il se manifeste. Haine, parce qu’ils s’imaginaient être les seuls par lequel Dieu se manifeste, et qu’ils réalisent qu’il n’en est rien… La jalousie et la haine sont des sentiments violents, qui exigent l’anéantissement de ce qui est leur cause.

 

            Et qu’en est-il de tout cela à Antioche de Pisidie, bien loin de Jérusalem et de son Temple ? Il y a une synagogue, qui accueille une communauté juive, mais qui semble en ce temps là avoir été ouverte aussi à des craignants Dieu, ainsi qu’à des femmes de haut rang. Cette synagogue a aussi des chefs et, selon l’usage, après la lecture de la Loi et des Prophètes, on propose à des hommes de passage de prendre la parole pour quelques mots d’exhortation.

            En fait de quelques mots, Paul leur propose un catéchisme – 26 versets – complet, qui semble être bien accueilli, tellement bien accueilli que Paul et son acolyte Barnabas sont invités à revenir le sabbat suivant. Et c’est là que ça se passe mal… Mais pourquoi ? Presque toute la ville se rassemble, nous dit-on, pour les entendre. Et c’est au vu de ce succès que ça tourne mal. Sans que cela soit une question de contenu du discours. Peut-être que pendant la semaine, les chefs de la synagogue ont médité ce qu’ils avaient entendu, mais c’est seulement peut-être. Leur rage, et leurs insultes, c’est juste une question d’influence, et d’affluence. C’est très basique, voire vulgaire. Ce sont des gens qui – peut-être tout comme au Temple – ont une affaire prospère et n’entendent pas en être défait. Manière pour nous de dire qu’une partie du Judaïsme synagogal de l’époque n’avait pas attendu les apôtres pour s’ouvrir aux nations, aux étrangers, et peut-être aussi, opportunément, à des femmes riches...

            Alors, entre les apôtres et la synagogue d’Antioche de Pisidie, est-ce seulement une question d’effectifs, c'est-à-dire de succès ? N’y a-t-il pas une discussion, n’y a-t-il pas un espace, même très réduit, pour une discussion qui permettrait, peut-être, une conciliation, voire une entente ? Non… c’est le message des apôtres, contre la hargne des gens du cru.

            Ça ne finit pas avec la mort, comme à Jérusalem, mais dans une rupture. La rupture a lieu, elle est consommée lorsqu’ils sont chassés de la ville et du territoire de la ville…

 

            Bien sûr, ils vont aller prêcher ailleurs. Et bien sûr, les nouveaux disciples faits à Antioche resteront « remplis de joie et d’Esprit Saint ». C’est ainsi dans l’histoire des Actes de Apôtres. Nous pouvons évidemment nous réjouir de cette expansion du jeune christianisme. Nous pouvons aussi nous interroger – toujours, aujourd’hui – si autrement est possible, autrement que la haine et la jalousie que nous avons vues se manifester dans les deux lieux que nous venons de visiter.

            Autrement est-il possible ? Et nous dirons – acte de foi – oui.