samedi 14 mai 2022

Gloire de l'homme, gloire de Dieu (Jean 13,31-35 ; Apocalypse 21,1-5)

Jean 13

31 Dès que Judas fut sorti, Jésus dit: «Maintenant, le Fils de l'homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui;

 32 Dieu le glorifiera en lui-même, et c'est bientôt qu'il le glorifiera.

 33 Mes petits enfants, je ne suis plus avec vous que pour peu de temps. Vous me chercherez et comme j'ai dit aux Juifs: ‹Là où je vais, vous ne pouvez venir›, à vous aussi maintenant je le dis.

 34 «Je vous donne un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.

 35 À ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples: à l'amour que vous aurez les uns pour les autres.»

Apocalypse 21

1 Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre ont disparu et la mer n'est plus.

 2 Et la cité sainte, la Jérusalem nouvelle, je la vis qui descendait du ciel, d'auprès de Dieu, comme une épouse qui s'est parée pour son époux.

 3 Et j'entendis, venant du trône, une voix forte qui disait: Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il demeurera avec eux. Ils seront ses peuples et lui sera le Dieu qui est avec eux.

 4 Il essuiera toute larme de leurs yeux, La mort ne sera plus. Il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien a disparu.

 5 Et celui qui siège sur le trône dit: Voici, je fais toutes choses nouvelles. Puis il dit: Écris: Ces paroles sont certaines et véridiques.

Prédication : 

            Gloire. Il nous est proposé de lire quelques versets de l’Apocalypse de Jean, versets ou commence ce que nous pourrions appeler la révélation finale. La Jérusalem nouvelle descend du ciel, toutes choses sont faites nouvelles…

            En fait les versets qui nous sont proposés sont extraordinairement sobres pour être des versets de ce dernier épisode de l’Apocalypse. Quelques lignes plus loin, il y a un véritable déluge de superlatifs, de l’or, et autres métaux, extraordinairement brillant partout, ainsi que des pierres précieuses partout aussi, et un plan architectural extrêmement maîtrisé. Rien n’est trop beau semble-t-il pour décrire cette cité, et la gloire de cette cité.

            N’avançons pas trop vite, revenons d’abord à ce qui s’accomplit : toutes choses sont faites nouvelles. Mais que signifie cela, toutes choses sont faites nouvelles ? Toutes choses, les pires, les mauvaises, les bonnes et les meilleures. Si toutes choses sont faites nouvelles, même les meilleures choses sont faites nouvelles. Et là, nous hésitons… pour deux raisons : nous ne sommes pas certains d’être compétents en matière de détermination du meilleur, et nous ne sommes pas capables de parler du meilleur renouvelé : nous n’avons juste pas le vocabulaire nécessaire. Nous hésitons donc sur ces versets.

            Mais celui qui parle, lui, le voyant de Patmos, comment fait-il pour parler de ce grand renouvellement ? Il se réclame de visions particulières, et il reprend à son propre compte les grands récits merveilleux que son époque, et l’époque précédente, avaient produits, et il les transforme. Il ne s’agit d’ailleurs pas de transformations considérables. La lumière éblouissante, les chasses gigantesques en métaux précieux polis, les pierres précieuses de toutes sortes : « 18 La muraille était construite en jaspe, et la ville était d'or pur, semblable à du verre pur. 19 Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de pierres précieuses de toute espèce: le premier fondement était de jaspe, le second de saphir, le troisième de calcédoine, le quatrième d'émeraude, 20 le cinquième de sardonyx, le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le huitième de béryl, le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième d'hyacinthe, le douzième d'améthyste. 21 Les douze portes étaient douze perles; » Tout cela peut être indéfiniment reconduit, les seules transformations notables tiennent au nom de Dieu et au nom de son Fils, lumières intrinsèques – comment en serait-il autrement – qui évoquent, qui représentent la gloire de Dieu.

            Alors, cette ancienne et merveilleuse évocation, cette soupe précieuse cent fois déjà révélée, est-elle la seule manière possible de parler du grand renouvellement de toutes choses ? Évoquer le triomphe du Dieu fort et de son Fils, est-ce la seule manière d’apporter le réconfort et la tranquillité des fidèles qui, si nous lisons bien le début de l’Apocalypse, avaient été persécutés en raison de leur foi ? Cette vision finale de la gloire divine et de la gloire des serviteurs de Dieu, est-le la seule possible ?

 

            Les spécialistes du Nouveau Testament pensent que l’évangile de Jean, les trois petites épîtres de Jean et l’Apocalypse sont d’une même école, si ce n’est pas d’une même plume. Ce qui saute aux yeux du lecteur, c’est qu’ils sont au moins d’une même langue. Peut-être pas frères, mais au moins proches cousins, leurs réflexions s’interpellent, et parfois se complètent.

            L’évangile de Jean a, lui aussi, réfléchi sur la gloire. Parole de Jésus : « Dès que Judas fut sorti, Jésus dit : "Maintenant, le Fils de l’homme a été glorifié, et Dieu a été glorifié par lui…" » Judas sort. C’est juste après que Jésus l’ait désigné comme celui qui va trahir, et qu’il lui ait recommandé de ne pas tarder à accomplir cette trahison. Et si nous lisons bien – peut-être avons-nous peur de lire, mais c’est pourtant ce qui est écrit – le Fils de l’homme a été glorifié en cette trahison, et Dieu tout autant glorifié par le Fils de l’homme. Nous pensons à Dieu et au Fils de l’homme tels que nous les avons évoqués dans le début de notre méditation, grandeur non mesurable, puissance inépuisable, et nous nous demandons comment cette glorification est possible, et comment elle est même concevable.

            Comme cela arrive souvent dans l’évangile de Jean, il peut être intéressant de revenir au tout début de l’évangile, son premier chapitre – son prologue – et, dans ce prologue, à une affirmation décisive, le verbe s’est fait chair (1.14). Certains proposent de traduire Dieu s’est fait homme, ou encore il est devenu un homme. Cet homme, c’est Jésus Christ.

            Quand donc s’est-il fait homme ? N’ayant pas de récit de nativité dans l’évangile de Jean, nous pouvons dire qu’il s’est fait homme, d’un coup d’un seul, ou progressivement, avant le commencement du récit. Mais nous ne pouvons pas trop spéculer sur ce qui n’est pas écrit… et nous dirons que se faire homme, apprendre à être chair, c’est une tâche dont la durée est la durée de l’évangile, allant crescendo jusqu’à la fin… quelle fin ? Et que cette tâche passe par le moment où Jésus accepte d’être trahi.

              L’évangile selon Jean passe nécessairement par la trahison. Seule la chair peut être aussi radicalement trahie que le sera Jésus. Et elle peut être radicalement trahie parce qu’elle est radicalement donnée. L’incarnation de Dieu et sa donation aux humains sont une seule et même chose – une seule et même expérience. Et au point culminant de cette expérience, il y a la trahison, dont la possibilité est le signe de la donation de Dieu à la chair, et dont l’accomplissement jusqu’à la croix est le signe de l’amour de Dieu (don de Dieu – c’est la même chose) pour la chair, pour les humains.

            Et c’est pour cette raison aussi qu’il parle ici d’amour. « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés ». Et c’est pour cette raison que Jésus parle ici de gloire.

 

            Ce qui fait que nous avons deux fois parlé de gloire. Une fois de la gloire extrêmement élevée, brillante, merveilleuse qui, de très haut et de très loin dans le futur surplombe l’humanité ; inatteignable sauf par vision divine, puis surtout par le génie flamboyant des écrivains biblique. Et une fois d’une gloire que nous qualifierons d’éthique, la gloire du Fils de l’homme, qui est gloire de Dieu, étant de s’engager absolument, éperdument, dans l’humanité et pour l’humanité, au risque d’être trahi par ses semblables, risque avéré, nous le savons, dans l’évangile.

            Autant la première gloire est la gloire d’un Dieu fort et lointain, autant la seconde gloire est la gloire d’un Dieu tout proche, et faible.

           

            Est-ce la même gloire ? Le soleil étincelant de la Jérusalem nouvelle est-il aussi le coucher de soleil lamentable sur le Golgotha du Vendredi Saint ? C’est la même gloire en ses variations les plus extrêmes. La même gloire, celle de Dieu, celle des hommes.