Marc 9
30 Partis de là, ils traversaient la Galilée et Jésus ne voulait pas qu'on le sache. 31 Car il enseignait ses disciples et leur disait: «Le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après il ressuscitera.» 32 Mais ils ne comprenaient pas cette parole et craignaient de l'interroger.
33 Ils allèrent à Capharnaüm. Une fois à la maison, Jésus leur demandait: «De quoi discutiez-vous en chemin?» 34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils s'étaient querellés pour savoir qui était le plus grand. 35 Jésus s'assit et il appela les Douze; il leur dit: «Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.» 36 Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d'eux et, après l'avoir pris dans ses bras, il leur dit : 37 «Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m'accueille moi-même; et qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais Celui qui m'a envoyé.»
Prédication : Peut-on enseigner la résurrection ?
Jésus en tout cas s’y essaye. Nous l’avons vu la semaine
dernière déjà, et nous avons vu qu’en dépit d’une certaine sincérité de la part
des disciples – Pierre en particulier – l’enseignement de la résurrection ne
passe pas... il ne passe pas alors même qu’il est donné par Jésus –
enseignement de première main – à un public plutôt acquis de disciples, parmi
lesquels les Douze.
Pourquoi cela ne passe-t-il pas ? Nous l’avons
dit : même si la passion, constituée de moments tous génériquement
inscrits dans le paysage du monde dans lequel Jésus vivait, et même si elle était
scandaleuse s’agissant de Jésus en tant que Fils de l’homme, cela passait
encore, mais la résurrection quant à elle n’était comparable à rien de connu ;
et il n’y avait donc aucun effort pédagogique qui puisse la rendre
compréhensible ; en tout cas, ce que nous voyons, c’est que les efforts de
Jésus ne sont pas couronnés de succès.
Telle tentative de Jésus aboutit à une réaction
intempestive de Pierre, et telle autre tentative – que nous méditons
aujourd’hui, conduit à une dispute entre disciples pour savoir qui est le plus
grand. L’objet de cette dispute nous fait tout naturellement penser que les
disciples ont compris ce qui était compréhensible – leur maître va mourir – et
qu’ils se demandent qui va devenir le chef après la disparition du maître.
L’existence de cette dispute nous suggère même que beaucoup s’en estiment
capables, ce qui est grave ; et même que certains s’en considèrent dignes
– ce qui est plus grave encore…
Et c’est à cela qu’aboutit l’enseignement de Jésus sur la
résurrection (ironie).
Tout en méditant les premiers versets proposés
aujourd’hui à notre méditation, nous pouvons nous demander ce qu’il en est de
la résurrection deux mille ans après l’évangile de Marc, deux mille et quelques
années après la vie et la mort de Jésus le Nazarène (comme le nomme l’évangile de
Marc). Il y a deux mille années de théologie et d’apologétique chrétiennes, il
y a deux mille années de liturgie, il y a Paul, champion de l’enseignement de
la résurrection, il y a des centaines de récits merveilleux qui entendent
montrer que Dieu est le plus fort, que Jésus est le plus fort, et que la preuve
de cette force est établie par force miracles – dont la résurrection d’un
hareng saur… Avant même d’en arriver à ces extrémités, nous nous demandons si
tout cela constitue un enseignement efficace sur la résurrection. Nous nous
demandons si nos théologiens et apologètes, rajoutons-y ceux qui peignent des
icônes, ont réussi là où Jésus semble avoir eu vraiment bien du mal ; la
même question concerne tout autant Marc (a-t-il réussi ?), dont l’évangile
fut prolongé par des successeurs zélés qui avaient besoin, pour croire en la
résurrection, que quelqu’un ait vu le ressuscité – nous pourrons en reparler un
autre jour.
La résurrection, celle que Jésus veut enseigner,
relève-t-elle au fond d’un enseignement ? Nous sommes tentés de dire qu’il
n’y a pas d’enseignement de la résurrection. Nous le disons, c’est même l’un des
fondements de notre foi. Mais nous devons reconnaître en même temps que nous
sommes bien peu de chose devant nos maîtres, même nos maîtres du catéchisme,
devant les Pères de l’Eglise et devant nos chers Réformateurs…
Et ces choses-là ayant été dites, nous revenons au texte biblique.
L’enseignement de Jésus sur la résurrection a échoué.
C’est vrai, et c’est faux. C’est faux parce que son enseignement ne va pas
cesser ; c’est faux aussi parce que, de Marc 1,1 à Marc 16,8 il n’est
question que de résurrection – un lecteur pourrait faire cet exercice en se
posant toujours la même question ; qu’est-ce que j’apprends de la
résurrection dans ce premier évangile, évangile qui fait l’impasse sur toute
apparition du Ressuscité ?
Nous n’allons pas faire cela maintenant, ce sera pour un
autre groupe, pour une autre occasion. Par contre nous allons poursuivre notre
lecture. En gardant à l’esprit que, ayant peut-être un peu compris,
l’enseignement qui suit peut porter sur la résurrection.
Les disciples donc, se sont querellés, à savoir lequel
est le plus grand. Savoir qui succédera au Maître ? Savoir à qui l’on
devra obéissance et respect ?
L’enseignement de Jésus, on le voit, ne porte pas sur la
domination, mais sur la bienveillance. Il ne porte pas sur la hiérarchie, mais sur
le service. Il ne porte pas sur le choix de petits copains, mais sur l’accueil. Et pas n’importe quel
accueil, disons, pour l’instant, l’accueil d’un enfant.
Les Israélites ont-ils aimé leurs enfants ? Et les
Romains ? (L’évangile de Marc a une composition romaine…) Les historiens
qui se sont penchés sur la question du sort des enfants dans le pourtour du
bassin méditerranéen au premier siècle ont parlé de l’exposition des nouveaux
nés comme d’un véritable fléau. L’enfant est abandonné aux forces naturelles,
parmi lesquelles les bêtes sauvages… Et s’il survit, son sort le plus probable
est l’esclavage. On n’est pas chez Yves Duteil, on n’est pas dans notre culture
où le petit d’homme est un sujet de droit. Un enfant, en ce temps-là, ce n’est
vraiment pas grand-chose, et ça n’est promesse de rien du tout. Enfin, ça n’est
pas le fils du chef local ou du rabbin que Jésus prend. C’est un enfant
absolument quelconque que Jésus prend
dans ses bras. Et ce que Jésus fait là est, à vues humaines de l’époque, un
acte totalement gratuit, un acte qui ne rapporte rien, qui rapporte moins que
rien : Jésus accueille un rien du tout et prend dans ses bras un
intouchable, non pas pour la bénédiction d’un instant, mais pour une relation
durable, l’accueil ne va pas sans le soin.
Acte bon et généreux, mais à cet acte Jésus ajoute deux
commentaires.
« Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là
m’accueille moi-même » Changement de perspective, car, il s’agit alors ni
plus ni moins que d’accueillir Jésus Christ, formulation qui nous est assez
familière, et de prendre soin de lui. Prendre soin de Jésus Christ Fils de Dieu
comme on prend soin d’un enfant est aussi une formulation assez familière. Mais
si l’on pousse plus avant, que le Fils de Dieu est livré, battu, moqué et
crucifié, prendre soin de lui signifie que si l’on ne prend pas soin de lui il
mourra et sera oublié… Et l’on en vient ici à se dire que l’engagement des
croyants dans l’accueil du Christ, au pire moment de sa vie, a à voir d’une
manière importante, peut-être capitale, avec sa résurrection, avec les
conditions de possibilité de sa résurrection.
Et enfin, Jésus ajoute, « Qui m’accueille, ça n’est
pas moi qu’il accueille, mais celui qui m’a envoyé. » Celui qui a envoyé
Jésus, Dieu, dans ce texte, si nous le comprenons bien, attend, et espère des
humains un accueil, un soin particulier, ce soin dont nous avons déjà parlé,
qui fasse qu’il échappe à l’insignifiance, et donc à la disparition, qu’il
échappe à la bêtise qui fait qu’on le rejette, et qu’il échappe à la barbarie,
qui fait qu’on le combat sans merci.
Et voilà, l’échec de l’enseignement sur la résurrection,
le conflit entre disciples et le tout simple accueil par Jésus d’un enfant nous
projettent presque au cœur de ce thème difficile, où les ordres établis sont
bouleversés… la méditation du plus ancien des quatre évangiles, de ses
fragments et de son déroulement, nous suggère que les humains sont responsables
de Dieu.
Sont-ils à la hauteur de cette responsabilité ? Si
l’on revient, une dernière fois aujourd’hui, sur les versets que nous méditons,
nous verrons un homme recevoir un enfant. Il est possible qu’en cela, en ce
genre d’acte, tout soit dit, et de ce Dieu vivant que nous pensons servir, et
du Fils de Dieu que nous pensons suivre, et de sa résurrection.