samedi 24 avril 2021


Jean 10

11 «Je suis le bon berger: le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis. 12 Le mercenaire, qui n'est pas vraiment un berger et à qui les brebis n'appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite; et le loup s'en empare et les disperse.  13 C'est qu'il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.  14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,  15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis.  16 J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger.  17 Le Père m'aime parce que je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite.  18 Personne ne me l'enlève mais je m'en dessaisis de moi-même; j'ai le pouvoir de m'en dessaisir et j'ai le pouvoir de la reprendre: tel est le commandement que j'ai reçu de mon Père.»

Actes 4

8 Rempli d'Esprit Saint, Pierre leur dit alors:  9 «Chefs du peuple et anciens, on nous somme aujourd'hui, pour avoir fait du bien à un infirme, de dire par quel moyen cet homme se trouve sauvé.  10 Sachez-le donc, vous tous et tout le peuple d'Israël, c'est par le nom de Jésus Christ, le Nazôréen, crucifié par vous, ressuscité des morts par Dieu, c'est grâce à lui que cet homme se trouve là, devant vous, guéri.  11 C'est lui, la pierre que vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut: elle est devenue la pierre angulaire.  12 Il n'y a aucun salut ailleurs qu'en lui; car aucun autre nom sous le ciel n'est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut.» 

Prédication

             Il se dit parfois, dans les cercles spécialisés, qu’assez tôt, la nuée des groupes ayant reconnu en Jésus le Christ leur Seigneur et leur Sauveur fut suffisamment homogène pour être appelée, para usage, Grande Église. Tous ces groupes n’étaient probablement pas tout à fait semblables entre eux, mais un certain nombre de marques pouvaient les réunir : vie et enseignement du Seigneur, le repas du Seigneur, sa mort et sa résurrection, le témoignage des Apôtres et une certaine primauté de Pierre, ce qu’on peut apprécier dans la ressemblance et les différences entre les trois premiers évangiles, plus les actes des Apôtres. L’évangile de Jean est, rapport à cela, un texte à part, celui d’un groupe à part.

           Certains des versets que nous venons de lire ont une couleur très Grande Église, comme ce propos mis dans la bouche de Pierre, et parlant de Jésus Christ : « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en Lui ; car aucun nom sous le ciel n’est offert aux hommes, qui soit nécessaire à notre salut. »

            Ce propos est adressé aux gens influents qui gouvernaient le Temple de Jérusalem, lieu lui aussi réputé pour être le seul lieu de salut en Dieu. Il est adressé aussi à tout lecteur des Actes des Apôtres, dès que ce texte commença à circuler… « Il n’y a aucun salut ailleurs qu’en Lui… » L’Apôtre Pierre, tout récemment oint d’Esprit Saint, a un certain toupet, c’est le moins qu’on puisse dire.

            Tous les groupes se réclamant du Christ Jésus Fils de Dieu n’ont pas eu la même destinée. Il existe un groupe, traditionnellement rattaché au nom de Jean – ou au "disciple que Jésus aimait" – qui avait développé un langage particulier, un programme théologique spéculatif original, qui ne pratiquait pas la Cène et ne retenait que sept miracles de Jésus… L’évolution propre de ce groupe fit que certains de ses membres finirent par vouloir se rapprocher de la Grande Église. Les traces de cette entreprise de rapprochement sont repérables ici et là dans l’évangile de Jean.

           C’est dans l’évangile de Jean que nous venons de lire ceci, dans la bouche de Jésus : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi il faut que je les mène. », et encore, « il y aura un seul troupeau et un seul berger. »          À l’horizon de l’absorption du mouvement de Jean par la Grande Église, cette phrase est tout à fait claire, tout est simple : les autres brebis sont ceux de la Grande Église, Jésus les mène tout comme il mène ceux de l’Église de Jean, et l’unification est leur destinée commune. Ainsi tout est simple, tout est clair, et tout est en ordre. L’affirmation de Pierre selon laquelle il n’y a aucun salut ailleurs qu’en Jésus trouve même en cette unification comme un surcroît de portée et de valeur.

            Mais n’est-ce tout de même pas un peu fort qu’un être humain ose s’exprimer ainsi que le fait Pierre ? Même s’il est rempli d’Esprit Saint, un homme peut-il se prononcer, d’un coup d’un seul et infailliblement, sur ce qui concerne la puissance de Dieu, la volonté de Dieu et la bonté de Dieu ? N’est-ce pas aller un peu vite en besogne que de disqualifier tous les moyens de salut qui furent, qui sont et qui seront, tous sauf, évidemment, celui que, soi-même, on propose ? Oui, c’est un peu fort, c’est aller un peu vite en besogne. Nous pouvons bien entendu parler de l’audace de Pierre, mais il nous faut aussi examiner sa prétention.

            La Bible, à cet égard, nous donne au moins deux leçons :

  1. La première de ces deux leçons figure dans le tout dernier chapitre de l’évangile de Jean, et c’est d’ailleurs la dernière parole du Ressuscité dans cet  évangile. Souvenons-nous. Il y a une apparition, avec pèche miraculeuse et repas. Puis Jésus interroge Pierre – m’aimes-tu ? – puis il confie à Pierre le soin de ses brebis, confirmation en somme de la primauté de Pierre. Mais Pierre se tourne vers l’autre disciple, celui que Jésus aimait, Jean semble-t-il, et Pierre interroge Jésus : « qu’en sera-t-il de lui ? » Et Jésus répond : « Et alors ? Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, ça t’dérange ? Alors toi, suis-moi ! » Cette première leçon scripturaire inscrit l’unité sur un horizon extrêmement lointain. Tant que le monde sera monde, tant que les humains prieront Dieu au nom de son Fils, il n’y a pas d’unification, pas d’uniformité possible. Même si Pierre brille devant tous, Jean demeure à jamais.  
  2. La deuxième leçon, très proche en fait de la première, tient à ce que même si le mouvement de Jean a été finalement absorbé pas la Grande Église, il demeure un face à face entre les deux traditions, un face à face scripturaire : les deux textes sont là, face à face, celui qui dit exclusivité, et celui qui dit diversité. Ils sont là dans la Bible avec égale légitimité et égale autorité. Et même si, comme ce matin, les extraits qui nous sont proposés cherchent à accréditer la leçon suivant laquelle le berger est unique, le moyen de salut est unique, le peuple est unique, et que tout ça s’attache à Pierre, il reste en face de cette leçon l’autre leçon : « J'ai d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène… ».

 

            Ainsi donc, quand bien même toutes les Églises chrétiennes auraient un jour été unies en une seule Église, par consensus, par ruse, ou par force, quand bien même auraient été produits un catéchisme unique et obligatoire et une liturgie unique et obligatoire, et quand bien même les dirigeants de cette Église seraient bouffis d’orgueil et portés sur l’autorité, il resterait cette affirmation biblique, affirmation du Seigneur : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos… » Où, qui, comment ? Et il ne viendrait pas de réponse.

            Il en est de ces autres brebis en christianisme comme il en est en judaïsme du reste d’Israël ou des justes cachés. Il n’est pas possible de les connaître mais la foi en leur existence est comme une promesse. Même si le pire venait à arriver, l’humanité ne serait pas finie et l’aventure humaine pourrait recommencer.

            Cette foi est aussi comme une marque, comme un sceau apposé sur la pensée, le sceau de l’unité qui n’appartient qu’à Dieu et qui n’existe qu’en Dieu, unité dont l’évangile de Jean a parlé, pour les chrétiens, d’une manière indépassable, en parlant d’aimer.

             A ce point de notre réflexion, nous sommes tentés de ratifier ce que dit Jésus dans l’évangile de Jean, et tentés de presque récuser ce qu’avance Pierre dans les Actes des Apôtres. J’espère que nous n’allons pas faire cela. Je voudrais partager avec vous une remarque faite par un professeur de l’Institut Protestant de Théologie (Paris), en parlant de Dietrich Bonhoeffer : « Une théologie extrême pour une période extrême. » Et peut-être faut-il dire la même chose de Pierre dans ses confrontations avec les gens du Temple : prédication extrême pour une période extrême. Période extrême parce que le Temple était de fait un monopole et que ce monopole se défendit parfois avec une grande brutalité contre cette nouvelle secte qui se réclamait de Jésus de Nazareth.

            Nous vivons quant à nous dans un période bénie, dans un lieu béni. Nous pouvons penser notre foi, méditer, et célébrer librement. Grâces en soient rendues à Dieu. Amen