« Bienheureux les miséricordieux, oui, il leur sera fait miséricorde » (Matthieu 5:7)
Qui
sont les miséricordieux ? Le Bon Samaritain de la parabole fut l’un
d’entre eux (Luc 10:37). Qu’est-ce que faire miséricorde. C’est éprouver
de la pitié envers un affligé, et éprouver le désir de le soulager. Mais on ne
peut pas éprouver seulement. Au regard parfois de l’étendue de la misère et de
l’affliction humaines, et vu ce que sont nos faibles forces, il se peut qu’on
éprouve ce que nous avons dit et, en plus, qu’on éprouve un sentiment d’impuissance.
Affirmons que c’est ainsi, impuissants parfois nous sommes, mais cette
impuissance, qui n’est liée à aucune complaisance, ni à aucun égoïsme, n’est
absolument pas condamnée par Jésus Christ lorsqu’il prononce les Béatitudes. On
n’est pas toujours impuissant.
En
poursuivant notre méditation, nous découvrons un lien entre miséricorde et
compassion. Exercer la miséricorde, c'est souffrir avec autrui. Et donc prendre
sur soi une part de sa souffrance. Cette perspective ne nous est pas étrangère ;
il nous arrive de confesser notre foi au Christ qui s’est chargé de nos
souffrances.
Prendre
une part de cette souffrance, soit, mais qu’en faire ? D’une langue à
l’autre, du grec à l’hébreu, faire miséricorde renvoie (Osée 4:1) à un mot qui
peut être traduit par amour de la vie,
et pour lequel André Chouraqui (1917-2007), traducteur de la Bible, a inventé
le verbe matricier. Faire
miséricorde, c’est donc prendre cette part de souffrance d’autrui, la porter – comme
une grossesse – en veillant sur son devenir, en ayant confiance que de cela
surgira la vie, et, le moment venu, rendre à son autonomie ce qui a été porté. L’exercice
de la miséricorde est une gestation. Ainsi le Bon Samaritain porta-t-il
l’inconnu laissé pour mort, et supporta-t-il le coût du rétablissement de cet
homme.
A
ce point de notre méditation, nous avons suffisamment compris ce qu’il en est
de la miséricorde pour essayer de comprendre la cinquième des Béatitudes. Mais
avant cette tentative, nous pouvons nous demander si, un jour, nous avons
exercé la miséricorde ; si, un jour, il nous a été fait miséricorde ;
et s’il y a un lien entre ces deux événements, si la miséricorde a appelé ou
appelle encore la miséricorde.
Pourquoi
les miséricordieux sont-ils proclamés heureux ? Ils exercent la miséricorde.
Rien n’est plus beau que d’entreprendre de mettre un sujet au monde. Rien n’est
plus beau que de soulager autrui d’une part de sa souffrance aux fins de le
rendre plus tard à lui-même. La miséricorde vue sous cet angle devrait se
suffire à elle-même. Cependant, nous savons aussi que rien n’est plus risqué
que d’entreprendre de mettre un sujet au monde. Car un sujet ne va jamais que
son propre chemin. Lorsque s’achève le parcours de la miséricorde, lorsque le
sujet s’émancipe, l’autre, celui qui fit miséricorde, se trouve seul.
Nous
voyons plusieurs raisons de proclamer bienheureux les miséricordieux.
Bienheureux en raison de leur engagement, et aussi en raison de ce qu’engendre
leur engagement. Dans cet usage du mot bienheureux nous voyons l’expression
d’une reconnaissance. Mais faut-il les proclamer bienheureux parce qu’il leur
sera fait miséricorde ? Nous ne pouvons pas changer le texte biblique. Il
y a un lien entre la miséricorde que vous prodiguez et celle qu’on vous
prodigue ou qu’on vous prodiguera. Nous ne savons absolument rien de la suite
de la vie du Bon Samaritain. Mais nous disons, dans la foi, que la miséricorde revient
un jour mystérieusement à celui qui l’a prodiguée. Promesse du Seigneur.