samedi 17 octobre 2020

A César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Matthieu 22:15-22)

Matthieu 22

15 Alors les Pharisiens allèrent tenir conseil afin de le prendre au piège de ses propres paroles.

 16 Ils lui envoient leurs disciples, avec les Hérodiens, pour lui dire : « Maître, nous savons que tu es tout de vérité, et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte du faciès des gens. 17 Dis-nous donc ton avis: Est-il permis, oui ou non, de payer le tribut à César ? » 18 Mais Jésus, s'apercevant de leur malice, dit: «Hypocrites! Pourquoi me tendez-vous un piège? 19 Montrez-moi la monnaie qui sert à payer le tribut.» Ils lui présentèrent une pièce d'argent. 20 Il leur dit: «Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles?» 21 Ils répondent: «De César.» Alors il leur dit: «Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.»

 22 À ces mots, ils furent tout étonnés et, le laissant, ils s'en allèrent.

Prédication

            Dans le Temple de Jérusalem allaient et venaient toutes sortes de gens qui n’étaient pas forcément là seulement pour les sacrifices. Une partie du Temple était une sorte de forum où il était possible de prendre assez librement la parole et d’enseigner. Assez librement, cela signifie que des oreilles trainaient, mêlées au public, oreilles qui pouvaient très rapidement rapporter aux maîtres des lieux.

            C’est la quatrième fois que nous avons rendez-vous dans le Temple de Jérusalem où Jésus enseigne. Pendant les trois premières fois, Jésus choisissait son enseignement, et il interagissait en direct avec les maîtres des lieux, lesquels prenaient pour eux-mêmes, ou plutôt contre eux-mêmes, ce que Jésus disait : la parabole des deux fils invités par leur père à aller travailler dans la vigne, la parabole des vignerons meurtriers, et la parabole des invités à la noce… Parmi les thèmes abordés, l’élection et ce à quoi elle engage, le repentir et ce à quoi il invite, la connaissance de Dieu et ce à quoi elle appelle…

            Avec notre quatrième rendez-vous, nous pénétrons dans une autre dimension. Comme nous l’avons lu, les détracteurs de Jésus organisent un colloque dont l’unique objectif est d’étudier l’enseignement de Jésus, afin de parvenir à le prendre au piège de ses propres paroles.

            Le colloque ayant eu lieu, la première offensive est menée par des disciples de Pharisiens, alliés pour la circonstance aux Hérodiens. Cette première offensive porte sur des questions d’argent.

            Pour ce qu’il en est des Hérodiens, nous comprenons qu’il s’agit du parti du roi Hérode. Ce roi étant un souverain fantoche, ses partisans ont intérêt à ce qu’il reste très longtemps sur le trône. Leur intérêt est la paix romaine. Ce ne sont pas des gens pieux. Ils ne s’interrogent pas fondamentalement sur les raisons d’être du Temple ni sur la volonté de Dieu. Ce sont essentiellement des opportunistes. Riches, ils ont tout intérêt à ce que les impôts soient collectés : ils en sont collecteurs…

S’agissant des Pharisiens, nous savons que Matthieu donne d’eux un portrait vraiment peu flatteur. Il les dépeint comme des religieux très observants, très soucieux de leur apparence et de leur statut, et très conservateurs. Plutôt laïcs – entendons qu’ils ne sont pas nécessairement prêtres – ils ont des intérêts dans tous les commerces liés à l’existence du Temple, dont le commerce de la monnaie sacrée. Ils affirment volontiers que la domination romaine est une punition divine. Étant riches, ils ont les moyens d’acheter des charges de collecteurs d’impôts. Ils ne touchent certainement pas l’argent impérial, mais disposent de toutes sortes de subalternes qui travaillent pour eux. S’ils envoient leurs disciples vers Jésus, c’est pour ne pas risquer de se compromettre ou de se souiller.

                        Nous pouvons imaginer que les Pharisiens regardent de très haut les Hérodiens, comme des gens apostats et des impurs. Et nous pouvons imaginer que les Hérodiens regardent les Pharisiens comme des hypocrites et des clowns.

Point commun entre Pharisiens et Hérodiens : L’argent. La nature du piège ? D’abord, la flatterie : « Maître, nous savons que tu es vrai et que tu enseignes les chemins de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par qui que ce soit, car tu ne tiens pas compte de la condition supposée des gens. » Puis la question : « Est-il permis, ou pas, de payer l’impôt à César ? » S’il répond oui, les Pharisiens lui tombent dessus, avec pour motif l’apostasie. S’il répond non, les Hérodiens lui tombent dessus, avec pour motif la rébellion. Quelle que soit la réponse de Jésus, le oui, ou le non, quels que soit ceux qui lui tombent dessus, les autres évidemment acquiesceront.           

Ceci étant dit, que signifie la réponse de Jésus ? Que signifie, dans ce contexte-là, « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ?

            Il y a Dieu, et il y a César. Côté César, il y a les Hérodiens, côté Dieu, il y a les Pharisiens. Mais dans la réponse que Jésus fait nous entendons les noms César et Dieu, et nous n’entendons plus les mots Pharisien et Hérodien. C’est comme si ces derniers n’existaient plus.

Que seraient-ils, ces Pharisiens, s’ils rendaient à Dieu ce qui est à Dieu ? Et que seraient-ils, ces Hérodiens, s’ils rendaient à César ce qui est à César ? Ils ne seraient plus rien, ils n’existeraient tout simplement plus en tant que personnages influents et fortunés. Il ne subsisterait d’eux que la simple humanité, celle en laquelle toutes et tous sont égaux. Leur disparition ne priverait personne.

Mais la réponse de Jésus est plus forte, plus accablante encore. Car les Pharisiens s’entendent dire qu’ils doivent rendre à César ce qui est à César, et les Hérodiens s’entendent dire qu’ils doivent rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Autrement dit ils s’entendent tous accuser de jouer au fond même jeu, le jeu de l’hypocrisie, qui est le jeu de leur propre fortune, fortune dont le prix est l’aliénation politique et spirituelle de leurs semblables. Et le texte nous dit que, stupéfaits, ils laissèrent là Jésus et s’en allèrent.

 Ce qui fait que, dans le paysage du texte, après l’effacement des Pharisiens et des Hérodiens, ne demeurent symboliquement que Dieu, César, et comme entre les deux, Jésus de Nazareth. Qu’est-ce à dire ?

Jésus enseigne les chemins de Dieu en tout vérité, ce qui signifie a minima sans contribuer à l’aliénation religieuse de quiconque, plus, en contribuant à la simplicité, à l’universalité et à la gratuité du salut, encore, en laissant à chacun la possibilité de son propre repentir, et enfin, en ne dissociant pas le religieux du profane. Cela signifie que Jésus ne fait aucune distinction entre les personnes. Il n’accorde aucune faveur ni aucun privilège à qui que ce soit ; comme nous l’avons lu, il ne tient pas compte du faciès des gens. Et cela suppose de la part de Jésus une grande lucidité sur ce que sont ses interlocuteurs, auditeurs, compagnons et disciples, lucidité associée l’absence de toute compromission, un refus constant de se soucier de soi-même, et une franchise totale.

Avec tout cela, Jésus était-il contre le Temple ? Réponse négative. Pour Jésus de Nazareth, homme libre qui n’avait besoin de rien ni de personne pour être en étroite relation avec Dieu, les formes collectives de la religion n’attentent pas nécessairement à la liberté des croyants.

Jésus était-il contre Rome ? Jésus ne considère pas que le pouvoir de l’occupant romain soit une dictature à abattre, il ne prêche jamais la révolte.

Lorsqu’il commande à ses contemporains de rendre simultanément à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, Jésus se pose comme le trait d’union entre Dieu et César, le trait qui unit mutuellement et réciproquement César à Dieu et Dieu à César. Qui que l’on soit, et où qu’on soit, il y a toujours un Dieu et des choses d’en haut, un César et des choses d’en bas, et ces choses sont inséparables. Jésus apparaît, comme le chiffre de l’impossibilité de séparer les choses d’en-haut et les choses d’en bas.

            Prendre conscience de tout cela était sans doute chose aisée pour les Pharisiens et pour les Hérodiens. Mais en tenir compte concrètement dans le fil de leur vie était, ce jour-là, hors de leur portée. Ils se turent donc puis s’en allèrent. Ils s’en allèrent en emportant avec eux ce qu’ils avaient entendu. Cela ferait peut-être son chemin en eux.

            Puisse cela faire son chemin en nous. Amen