Matthieu 11
25 et à cet instant, Jésus reprit la parole et dit: «C’est toi que je confesse et que je loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, qui as caché cela aux sages et aux intelligents et qui l’as dévoilé aux plus petits. 26 Oui, Père, il en est ainsi, selon ton bon plaisir. »
27 Toutes choses m’ont été données par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le dévoiler.
28 «Approchez-vous de moi, vous tous qui peinez, vous qui êtes écrasés, et moi je vous donnerai le repos. 29 Prenez sur vous mon joug et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes. 30 Oui, mon joug est doux et mon fardeau léger.»
Prédication :
« Oui, mon joug est doux et mon fardeau léger.» C’est la fin
des quelques versets qui nous sont proposés pour ce premier dimanche de
juillet. C’est la fin du chapitre 11 de l’évangile de Matthieu.
Cette fin de chapitre peut nous faire penser à la
fin du chapitre précédent, que nous avons lue et méditée la semaine dernière. « Quiconque
donnera à boire, ne serait-ce qu'un verre d'eau fraîche, à l'un de ces petits
en sa qualité de disciple, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa
récompense.» (Mat 10,42). Il était question d’un simple, vraiment très
simple, accueil. Et il est question maintenant d’un simple, vraiment très
simple engagement, avec douceur, avec grâce.
Qu’est-ce qui pourrait nous empêcher d’accueillir cette douceur et de nous placer sous ce joug ? Qu’est-ce qui pourrait nous empêcher de trouver auprès de notre Seigneur le repos dont nous avons besoin. »
Interrogeons-nous toutefois un peu.
Ceux qui ont choisi pour nous ces textes nous ont suggéré, par deux fois, de
lire la fin d’un chapitre avant d’en lire le commencement. Quels sont ces
commencements ?
Jésus envoie ses disciples en mission. Mission
dangereuse, mission difficile, ils vont peut-être y laisser leur peau… Comme
des brebis au milieu des loups… Je ne suis pas venu pour apporter la paix, mais
le glaive… C’est le commencement du chapitre 10.
Matthieu, chapitre 11 : Jean le Baptiste
doute de la messianité de Jésus. Jésus répond, fermement d’abord, puis
violemment. Son appel à la conversion devient une invective. C’est le
commencement du chapitre 11.
Dans les deux chapitres, les contemporains de
Jésus sont décrits par lui comme pires que les habitants de Sodome…
Tout cela, c’est le commencement, et ce
commencement est d’une violence inouïe.
Ce commencement a dû être à l’image de ce qui
pouvait se passer dans ce pays vers la fin du 1er siècle. Il y avait
la domination romaine, bien sûr. Mais cette domination ne faisait que
complexifier et exacerber encore ce qui existait depuis longtemps, et peut-être
même depuis toujours.
Clivages claniques et tribaux, mais aussi clivages
religieux de tous ordres… Questions liées au Temple, existant encore ou déjà
détruit, questions liées aux calendriers religieux, questions liées à
l’histoire récente, ou ancienne… Celui qui croit en Dieu doit-il être prêtre,
guerrier, ermite du désert, vivre seul, ou en communauté ? Doit-il être,
ou pas, baptisé, par qui, et selon quel rituel ? Pratiquer des ablutions,
lesquelles, avec quelle fréquence ? Est-ce qu’un Galiléen est un fils
d’Abraham ?
Et si vous vous interrogez sur les Samaritains,
l’évangile de Matthieu les ignore complètement : la seule mention qui en
est faite (chap. 10) est, dans la bouche de Jésus, que ses disciples ne se
rendent surtout pas chez eux : dans l’évangile de Matthieu, les
Samaritains sont, d’emblée, exclus de l’aventure du salut… Ils ne sont pas les
seuls exclus : les étrangers le sont aussi (10,5).
Il nous faut encore imaginer quantité d’invectives
et autres violences verbales que les uns, dont Jésus, adressaient aux autres.
Il nous faut imaginer aussi quantité de violences physiques.
Tout cela est ce que nous avons appelé le commencement, le paysage, le contexte dans lequel a été prononcée, selon Matthieu, la première prédication chrétienne. Tel est, dans son premier contexte, l’évangile de Matthieu. Nous n’avons donc pas à être autrement surpris que le texte, jusque dans la bouche de Jésus, soit par moments chargé de cette ambiance, et que cette ambiance ainsi nous devienne perceptible.
La première prédication chrétienne, selon
Matthieu, n’est-elle seulement qu’un discours violent parmi d’autres discours
violents, dans une époque marquée par la violence ?
Souvenons-nous que c’est dans l’évangile de
Matthieu qu’il y a le sermon sur la montagne, et que c’est dans le sermon sur
la montagne qu’il y a les Béatitudes. Combien de fois entendons-nous dire que
les Béatitudes sont belles ? Mais quand nous autorisons-nous à en
reconnaître la radicalité et la violence ?
N’est-il pas extrême et violent, ce propos de
Jésus qui, à des gens certains du bien fondé de leur pratique, et certains
aussi de leur justice, recommande de servir un verre d’eau fraîche à un moins
que rien ?
N’est il pas violent, une fois encore, ce propos
de Jésus qui, à des gens certainement versés dans de complexes et difficiles
observances religieuse, affirme que son
joug est doux, son fardeau léger, et qu’un enfant en bas âge en sait infiniment
plus qu’eux ?
Dans le contexte dans lequel Jésus s’exprime, un
contexte de radicalités qui se méprisent les unes les autres et qui
s’affrontent lorsqu’elles ne peuvent pas s’éviter, parler comme le fait Jésus
est au comble de l’audace.
Nous ne pouvons pas ignorer cela. Nous ne pouvons
pas, tant que nous lisons l’évangile de Matthieu, faire de la prédication
chrétienne une fin qui n’aurait pas de commencement. Car, en vérité, cette
simplicité et cette douceur qu’on aimerait être la fin, c'est-à-dire
l’accomplissement, de l’Évangile, aucune discipline spirituelle ne peut y
accéder.
Ce qui est mis en évidence, dans les chapitres que
nous avons médités cette semaine et la semaine dernière, c’est une impasse.
C’est l’impasse de toute discipline personnelle, de toute sagesse, de tout
cursus religieux, qui auraient pour but la conquête de la simplicité, ou encore
l’atteinte du Royaume, ou l’expérience de la Béatitude. Il n’y a pas de
discipline pour cela. Ce que nous disons n’ôte pas leur pertinence aux cultes,
études, et autres prières… que nous accomplissons, seuls et en groupes. Ces
disciplines personnelles et communautaires ont leur pertinence, et nous allons
même dire qu’elles sont indispensables. Mais en tant que telles elles ne nous
amèneront jamais à cette fin supposée dont nous parlons depuis tout à l’heure.
La raison de tout cela est que, même apaisées,
même fraternelles, même savantes sans être pédantes, ces pratiques relèvent
toutes du commencement qui prétend venir avant la fin, et mener à la fin.
Alors que, lorsqu’il s’agit de l’Évangile, de
l’accueil ultime et du joug de Jésus, la fin vient avant le commencement. Elle
ne relève pas de la sagesse des sages, ou de l’intelligence des intelligents,
mais d’une révélation faite aux plus petits, c'est-à-dire d’une révélation
faite à ceux qui ne connaissent même pas le mot de révélation. Qu’il en est
ainsi selon le bon plaisir de Dieu. Et que cela advient seulement lorsque le
Fils veut bien le révéler.
Puissions-nous, sœurs et frères, nous tourner vers lui avec cette simplicité qu’il proclame. Et pour tout le reste, qu’il soit fait selon sa sainte volonté. Amen