dimanche 2 février 2020

Libération d'Auschwitz, 75 ans (Luc 2,21-40)


Œuvre de Zoran Mušič

            Tziganes, homosexuels, témoins de Jéhovah, handicapés mentaux, puis, ultérieurement Polonais, et Russes… et les Juifs, tel fut le programme nazi d’extermination d’individus réputés asociaux, et de races dites inférieures.
Lundi dernier, 27 janvier 2020, c’était le 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau ; un camp où plus d’un million de personnes ont été assassinées, la plupart dès leur arrivée.
Pour celles et ceux qui, à leur arrivée, avaient été sélectionnés comme aptes au travail, commençait une vie épouvantable qui n’était qu’une sorte de sursis. Quelques-uns on survécu.
Tous ces êtres humains étaient concentrés sous un seul nom : Juif. Non pas à Auschwitz seulement, mais aussi à Chełmno, Bełżec, Sobibor, Treblinka, et Majdanek… nous ne citons ici que les noms des centres de mise à mort.
            Pourquoi cette évocation ?
Pour introduire une question simple : que signifie le mot Juif lorsqu’il est mis en regard d’effectifs dépassant les millions d’âmes provenant des quatre coins de l’Europe ?
Envisagé dans cette perspective, le mot Juif n’a aucune signification, mais il est synonyme de haine et de mort.
Nous pouvons dire qu’aucun mot, aucun nom, n’a de signification dans une telle perspective, ni le mot Alakaluf, ni le mot Indien, ni le mot Herero, ni le mot Nama, ni le mot Arménien, ni le mot Tutsi, ni le mot Ukrainien, ni le mot Cambodgien…
Mais il y a 75 ans et plus, entre 1933 et 1945, en Europe, c’est aux Juifs que cela est arrivé, d’une manière singulière et unique : c’est pour exterminer les Juifs d’Europe que furent construites des installations industrielles uniquement destinées à tuer des êtres humains et à réduire leurs corps en cendres.
Honte sur l’humanité pour les siècles des siècles.
Luc 2
21 Huit jours plus tard, quand vint le moment de circoncire l'enfant, on l'appela du nom de Jésus, comme l'ange l'avait appelé avant sa conception.
 22 Puis quand vint le jour où, suivant la loi de Moïse, ils devaient être purifiés, ils l'amenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur
 23 - ainsi qu'il est écrit dans la loi du Seigneur: Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur -
 24 et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux petits pigeons.
 25 Or, il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux, il attendait la consolation d'Israël et l'Esprit Saint était sur lui.
 26 Il lui avait été révélé par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur.
 27 Il vint alors au temple poussé par l'Esprit; et quand les parents de l'enfant Jésus l'amenèrent pour faire ce que la Loi prescrivait à son sujet,
 28 il le prit dans ses bras et il bénit Dieu en ces termes:
 29 «Maintenant, Maître, c'est en paix, comme tu l'as dit, que tu renvoies ton serviteur.
 30 Car mes yeux ont vu ton salut,
 31 que tu as préparé face à tous les peuples:
 32 lumière pour la révélation aux païens et gloire d'Israël ton peuple.»
 33 Le père et la mère de l'enfant étaient étonnés de ce qu'on disait de lui.
 34 Syméon les bénit et dit à Marie sa mère: «Il est là pour la chute ou le relèvement de beaucoup en Israël et pour être un signe contesté
 35 - et toi-même, un glaive te transpercera l'âme; ainsi seront dévoilés les débats de bien des cœurs.»
 36 Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser. Elle était fort avancée en âge; après avoir vécu sept ans avec son mari,
 37 elle était restée veuve et avait atteint l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Elle ne s'écartait pas du temple, participant au culte nuit et jour par des jeûnes et des prières.
 38 Survenant au même moment, elle se mit à célébrer Dieu et à parler de l'enfant à tous ceux qui attendaient le rachat de Jérusalem.
 39 Lorsqu'ils eurent accompli tout ce que prescrivait la loi du Seigneur, ils retournèrent en Galilée, dans leur ville de Nazareth.

 40 Quant à l'enfant, il grandissait et se fortifiait, tout rempli de sagesse, et la faveur de Dieu était sur lui.
Prédication : 
            Passent les jours et passent les semaines, les lectures des évangiles que nous faisons et que nous méditons nous aident à nous construire une image du monde dans lequel vivait Jésus. Ces lectures nous aident aussi à appréhender l’incroyable diversité des formes de la foi en Dieu qui existaient dans ce temps-là ; autant de formes de la foi en Dieu, autant de formes de l’attente, autant de formes de l’espérance.

            Notre image de ce monde ne s’est pas encore enrichie de ce qui se passait au Temple de Jérusalem. Voici donc trois tableaux.
  1. Au Temple de Jérusalem, se perpétuait le culte dont les cinq premiers livres de la Bible donnent une description assez précise. Et ce Temple était, pour les Judéens et les Galiléens, le seul lieu où ce culte pouvait être célébré, le seul lieu où des sacrifices à Dieu pouvaient être accomplis. Et donc, toute famille pieuse de ce temps-là se rendait régulièrement, assidûment, au Temple, pour y faire ce qui devait être fait. Et c’est ainsi que vint le jour où, conformément à la loi de Moïse, la famille de Jésus se rendit au Temple. Il s’agissait de purification après une naissance, d’une part, et de rachat du premier né mâle d’autre part (toutes les formes du culte ne sont pas recueillies dans la Bible, mais on peut avoir une idée de cela en lisant Lévitique 12). L’expression de l’attente et de l’espérance, au Temple, tient en un seul mot : toujours. Et si l’on développe un peu ce seul mot, c’est toujours le même rituel pour que tout soit toujours en ordre et que tout donc puisse toujours continuer.
  2. Il y avait, à Jérusalem, un homme juste et pieux, inspiré par le Saint Esprit et prudent, du nom de Siméon. Il apparaît comme un homme seul, qui n’appartient à aucune confrérie ni à aucun parti, et qui mène sa vie avec son Dieu, à proximité du Temple mais sans en pratiquer le rituel, habité par l’Esprit de Dieu et libre comme l’air. Il y a des croyants comme ça. La tradition en fait un vieil homme… dépositaire d’une espérance particulière : la consolation d’Israël, ou encore il attend qu’un défenseur – un avocat – se  lève pour soutenir et consoler Israël. Mais de quoi Israël souffre-t-il ? Comme souvent, la réponse est dans le texte, sous les yeux du lecteur. Israël, selon Siméon, souffre de son étroitesse, de son repli sur soi, de son fier isolement. Ce que Siméon a entrevu, c’est une ouverture du salut à l’humanité entière, à tous les peuples, Israël d’abord, puis tous les païens, donc l’humanité entière. Siméon entrevoit ce qui sera Pentecôte, ce qu’il en sera du chemin des communautés, chemin de violence et de déchirement autant que d’onction d’Esprit et de bénédiction.
  3. Troisième tableau, il y avait aussi une prophétesse du nom de Anne. Et c’est avec elle encore une autre espérance qui vient se manifester. Elle est une prophétesse et, comme ses prédécesseurs les prophètes, elle n’est connue ni d’Ève ni d’Adam, mais elle fait irruption dans le paysage du Temple pour y énoncer son attente et pour y délivrer son message. Elle attend, pour sa part, le rachat de Jérusalem. Si Jérusalem a besoin d’être racheté, c’est que Jérusalem est captive, Jérusalem est esclave. Esclave de Rome ? Ce n’est pas le plus grave. Esclave d’elle-même, esclave du Temple, de son histoire, de ceux qui gèrent le Temple. Qui dit rachat dit rançon. Pour la prophétesse Anne, l’enfant qui est là, ce Jésus, est celui qui va payer la rançon, qui va payer de sa personne pour que le culte à l’Eternel soit libéré des formes ancestrales et réputées indispensables de la piété.
Le sacrifice d'un couple de tourterelles ou de deux petits pigeons...
Voici, nous avons décrit les trois tableaux qui nous sont proposés dans ce texte. Puis, les parents de Jésus ayant fait au Temple ce qu’ils avaient à y faire, ils s’en retournent chez eux, à Nazareth, en Galilée. Et nous, nous voici avec trois tableaux supplémentaires dans la galerie des formes de la foi et de l’espérance dans le pays où vivait Jésus.
Mais est-ce pour tous la même foi ? Est-ce pour tous la même espérance ? Est-ce que toutes ces formes de la foi et de l’espérance doivent converger par nécessité vers un seul nom, celui de Jésus ? Et une fois que ce nom est bien établi, est-ce que la foi et l’espérance en Jésus assument et absorbent toutes les autres formes de foi et toutes les autres formes de l’espérance ? Ces questions ne sont pas des jeux de théologiens. Elles ont un véritable enjeu, et cet enjeu s’exprime premièrement en termes d’unicité et d’unité, et secondement (mais c’est là le plus important), en termes de reconnaissance.
Y a-t-il unicité de l’origine qui porterait le nom de Jésus ; et conséquemment, devrait-il y avoir unité de discours, unité de la forme de la célébration chrétienne ? Dès les premières pages de l’évangile de Luc, nous percevons bien que l’unicité originaire est très malmenée par tous ces personnages qui ne cessent d’apparaître et qui, chacun à sa manière, imprime son image dans ce qu’on pourrait appeler la rhapsodie originelle des évangiles. Tant et si bien que, toutes ces images semblant bien n’être aucunement unifiables ni non plus délégitimées, la question qui demeure est celle de la reconnaissance fraternelle.
 
Quelle reconnaissance existe-t-il entre l’instance du Temple, Siméon l’inspiré, et Anne la prophétesse ? Nous n’en savons rien. Nous les voyons agir, nous les entendons parler, mais nous ne les voyons pas du tout interagir. Et ainsi tout se passe comme si Luc, l’auteur de l’évangile, voulait suggérer qu’il y a une diversité d’espérance pour une unique origine, Jésus. Et que cette diversité d’espérance se redéploie dès Pentecôte en une diversité d’expériences. Cette diversité d’expériences rend fondamentalement difficile la reconnaissance fraternelle des uns par les autres, reconnaissance qui ne cesse pourtant d’être nécessaire et espérée.
Cette reconnaissance par delà les expériences, les formes du culte, la langue, l’ethnie… est la seule vocation de tous ceux qui se réclament du même nom : Jésus.

L’histoire de la chrétienté a-t-elle été à la hauteur de cette vocation ? Nous n’allons pas répondre à cette question ; car nous n’allons pas chercher à occuper une position qui nous permettrait de prononcer un jugement sur l’histoire. La question de la reconnaissance n’est pas une question historique. Elle est posée à chacune, à chacun, dans la situation qui est la sienne : qui est ton frère ? et qu’as-tu fait de lui ?
Pour l’histoire passée, elle est passée, elle est déjà écrite ; et nous pouvons, à Paris, aller nous incliner devant le mur des noms et devant le mur des justes. Pour le temps présent, et pour les temps qui viennent, tout n’est pas encore joué.

Puisse l’Esprit de notre Seigneur se répandre sur nous, que nous fassions ce qui doit être fait. Amen