dimanche 12 janvier 2020

Une histoire de simplicité (Matthieu 3,13-17)

Matthieu 3
13 Alors paraît Jésus, venu de Galilée jusqu'au Jourdain auprès de Jean, pour se faire baptiser par lui.
14 Jean voulut s'y opposer: «C'est moi, disait-il, qui ai besoin d'être baptisé par toi, et c'est toi qui viens à moi!»
15 Mais Jésus lui répliqua: «Laisse faire maintenant: c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice.» Alors, il le laisse faire.
16 Dès qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau. Voici que les cieux s'ouvrirent et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui.
17 Et voici qu'une voix venant des cieux dit : «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu'il m'a plu de choisir.»


Prédication :
            Pourquoi Jésus s’est-il présenté devant Jean le Baptiste afin d’être baptisé par lui ? Le baptême de Jean le Baptiste était un « baptême de conversion en vue du pardon des péchés ». Jésus avait-il des péchés à se faire pardonner ?
Quelque chose à se faire pardonner
            Pour pouvoir répondre à cette question, il faudrait que nous disposions d’un récit de vie des premières années de Jésus. Bethléem, puis l’Égypte, puis Nazareth, en Galilée. Nous connaissons ces lieux et les motivations de Joseph, père de Jésus, mais s’agissant de Jésus lui-même, Matthieu ne nous dit rien – et les autres évangiles ne viennent pas d’avantage nous renseigner sur l’enfance et l’adolescence de Jésus, en tout cas, rien ne nous est raconté qui justifie un baptême de conversion pour le pardon des péchés... à part peut-être l’escapade d’un gamin surdoué, parti discuter au Temple avec les maîtres des Écritures, provoquant chez ses parents une inquiétude mortelle (Luc 2,41-52)…
            Jésus, d’ailleurs, aurait-il péché ? Le Fils de Dieu, celui qui est vrai dieu et vrai homme, aurait-il pu pécher ? Nous répondons assez spontanément que non – ce qui revient, disons-le en passant, à ne conserver que la moitié du Concile de Chalcédoine (451). Jésus, vrai Dieu. Et que faisons-nous alors de Jésus vrai homme ? En méditant cela, il me revient à l’esprit un tableau de Max Ernst, La vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins, André Breton, Paul Éluard et le peintre (1926). La vierge, auréolée, administre une fessée à l’enfant Jésus, dont l’auréole est posée par terre, et les trois témoins sont ravis… Jésus aurait péché.
            Si rien de la vie humaine n’est étranger à notre Seigneur Jésus Christ, alors le péché ne lui est pas étranger. Mais alors, que fait-on du fait qu’il soit aussi vrai Dieu ? Pour mettre fin – ou plutôt suspendre – un débat aussi stérile que possiblement nocif, les Pères de l’Église ont inventé l’idée de confusion sans mélange : en Jésus, la nature humaine et la nature divine se confondent, mais ne se mélangent pas.
            Cette solution n’est pourtant pas vraiment satisfaisante et nous pourrions poursuivre assez longtemps. Nous la laissons ; avec une question supplémentaire : avez-vous un avis particulièrement tranché sur cette question ? (pour notre prochain atelier du samedi, samedi prochain donc, nous avons choisi d’essayer de réfléchir sur Jésus marié ? Sur la base de cette question, nous pourrons poser la question de l’incarnation, et donc aussi d’un éventuel péché de Jésus).
Incarnation
            Il ne me semble pas que la question du péché de Jésus soit si importante que cela pour la compréhension du récit de son baptême par Jean le Baptiste.

Voici donc une autre question, pour une autre réflexion : quels liens y a-t-il eu entre les groupes baptistes et les premiers Chrétiens ? Nous explorons trois points de contact.
(1)  Nous avons parlé, il y a quelques temps déjà, de Jean le Baptiste qui, emprisonné, avait envoyé quelques de ses propres disciples enquêter sur Jésus de Nazareth (Luc 7). « Es-tu celui qui vient, ou attendons-nous quelqu’un d’autre ? » Quelle que soit la réponse donnée par Jésus, la question indique que les mouvements baptistes – dont celui de Jean le Baptiste – ont précédé l’apparition de Jésus dans le concert des mouvements du Judaïsme de l’époque. Que Jésus, qui n’a encore ni disciples ni réputation se présente devant Jean confirme que Jean est venu le premier.
(2)  Nous avons le souvenir de Jean le Baptiste invectivant Pharisiens et Sadducéens lorsqu’ils se présentent à son baptême. Jean le Baptiste est en rupture avec le Temple de Jérusalem. Il faut dire que la contestation de l’autorité, et de la primauté du Temple est aussi ancienne que le Temple. Dans le monde où vivait Jésus, il existait de nombreuses manières d’approcher Dieu sans passer par le Temple, et d’assurer son salut sans en passer par les sacrifices du Temple. Plusieurs mouvement baptistes existaient et, parmi ces mouvements, celui de Jean le Baptiste et son baptême de conversion – d’autres proposaient des baptêmes de purification. Jésus lui aussi rompt avec le Temple et le culte sacrificiel. Jésus aussi prêche la conversion…
(3)  Jean le Baptiste s’adresse à tous – enfin, presque à tous : « Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui ». Dans le récit que donne l’évangile de Matthieu, le mouvement de Jean le Baptiste reste un mouvement ‘local’, un mouvement ‘judéen’. Mais vu comme Jean s’adresse aux dignitaires, on devine que sa mission est dirigée vers les petites gens, ceux qui n’ont pas les moyens de payer les rites du Temple. Il s’adresse à eux et il les sauve gratuitement, ce que fera Jésus, lui aussi.

En repérant ces points de contact, nous repérons aussi que Jésus va plus loin que Jean le Baptiste.
Jean le Baptiste est un prédicateur sédentaire : on sort de chez soi pour aller le rencontrer. Nous voyons au contraire Jésus quitter une fois pour toutes l’ascèse du désert pour aller à la rencontre de ses contemporains.
Jean le Baptiste propose un rituel de salut à ceux qui viennent vers lui, Jésus sauvera sans aucun rituel.
Du fait de sa mobilité, Jésus se trouvera en contact avec des populations plus diversifiées encore que Jean. Ainsi s’approchera-t-il des laissés pour compte, des infirmes, de malades, des maudits (collecteurs d’impôts, prostitués) et des occupants romains.
Peut-être même est-ce en raison de sa mobilité que Jésus sera plus radical encore que Jean le Baptiste, dans son opposition avec des chefs de synagogues, avec des dignitaires religieux, et avec le Temple, dont – comme nous le savons – il prédira la destruction.
Et finalement, si l’on voit en Jean le Baptiste un mouvement d’émancipation du judaïsme vis-à-vis de ses anciennes structures, et son ouverture à tout un petit peuple autochtone, nous verrons en Jésus une émancipation plus radicale encore, et une ouverture du judaïsme sur l’universel : c’est aux nations qu’il entend finalement s’adresser, c'est-à-dire à toute femme et à tout homme, et en tous temps.
 
Mais cette originalité, cette ouverture, celles de Jésus, peuvent-elles être comprises par tous ? Jésus n’aura pas été compris par tous, ni accepté par tous, nous le savons. Nous savons que la singularité de Jésus, et son universalité, proclamées par la voix du ciel au jour de son baptême, seront déclarées blasphème par certains. Nous savons aussi que la mise à mort de Jésus ne pourra pas mettre fin à cette extraordinaire ouverture qu’il avait initiée.
A la fin de l’évangile de Matthieu, comme un résumé de tout son ministère, ne reste de Jésus que cette consigne : « Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, 20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps. » C’est une consigne infiniment simple…

La chrétienté s’en est-elle toujours tenue à cette simplicité ? Nous en sommes nous toujours tenus à cette simplicité ? Je crois que la simplicité vient toujours à la fin… A la fin de cette méditation, me revient la fin d’un texte de Saint Exupéry, appris il y a longtemps, classe de CM2 : « Mais tu répands en nous un bonheur infiniment simple. » Puisse cette simplicité nous habiter. Amen