Matthieu 3
13 Alors paraît Jésus, venu de Galilée jusqu'au
Jourdain auprès de Jean, pour se faire baptiser par lui.
14 Jean voulut s'y opposer: «C'est moi, disait-il,
qui ai besoin d'être baptisé par toi, et c'est toi qui viens à moi!»
15 Mais Jésus lui répliqua: «Laisse faire
maintenant: c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice.» Alors,
il le laisse faire.
16 Dès qu'il fut baptisé, Jésus sortit de l'eau.
Voici que les cieux s'ouvrirent et il vit l'Esprit de Dieu descendre comme une
colombe et venir sur lui.
17 Et voici qu'une voix venant des cieux dit
: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu'il m'a plu de choisir.»
Prédication :
Pourquoi Jésus s’est-il présenté devant Jean le Baptiste
afin d’être baptisé par lui ? Le baptême de Jean le Baptiste était un
« baptême de conversion en vue du pardon des péchés ». Jésus avait-il
des péchés à se faire pardonner ?
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Quelque chose à se faire pardonner |
Pour pouvoir répondre à cette question, il faudrait que
nous disposions d’un récit de vie des premières années de Jésus. Bethléem, puis
l’Égypte, puis Nazareth, en Galilée. Nous connaissons ces lieux et les
motivations de Joseph, père de Jésus, mais s’agissant de Jésus lui-même,
Matthieu ne nous dit rien – et les autres évangiles ne viennent pas d’avantage
nous renseigner sur l’enfance et l’adolescence de Jésus, en tout cas, rien ne
nous est raconté qui justifie un baptême de conversion pour le pardon des
péchés... à part peut-être l’escapade d’un gamin surdoué, parti discuter au
Temple avec les maîtres des Écritures, provoquant chez ses parents une
inquiétude mortelle (Luc 2,41-52)…
Jésus, d’ailleurs, aurait-il péché ? Le Fils de
Dieu, celui qui est vrai dieu et vrai homme, aurait-il pu pécher ? Nous
répondons assez spontanément que non – ce qui revient, disons-le en passant, à
ne conserver que la moitié du Concile de Chalcédoine (451). Jésus, vrai Dieu.
Et que faisons-nous alors de Jésus vrai homme ? En méditant cela, il me
revient à l’esprit un tableau de Max Ernst, La
vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins, André Breton, Paul Éluard
et le peintre (1926). La vierge, auréolée, administre une fessée à l’enfant
Jésus, dont l’auréole est posée par terre, et les trois témoins sont ravis…
Jésus aurait péché.
Si rien de la vie humaine n’est étranger à notre Seigneur
Jésus Christ, alors le péché ne lui est pas étranger. Mais alors, que fait-on
du fait qu’il soit aussi vrai Dieu ? Pour mettre fin – ou plutôt suspendre
– un débat aussi stérile que possiblement nocif, les Pères de l’Église ont
inventé l’idée de confusion sans mélange : en Jésus, la nature humaine et
la nature divine se confondent, mais ne se mélangent pas.
Cette solution n’est pourtant pas vraiment satisfaisante
et nous pourrions poursuivre assez longtemps. Nous la laissons ; avec une
question supplémentaire : avez-vous un avis particulièrement tranché sur
cette question ? (pour notre prochain atelier du samedi, samedi prochain
donc, nous avons choisi d’essayer de réfléchir sur Jésus marié ? Sur la base de cette question, nous pourrons
poser la question de l’incarnation,
et donc aussi d’un éventuel péché de
Jésus).
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Incarnation |
Il ne me semble pas que la question du péché de Jésus
soit si importante que cela pour la compréhension du récit de son baptême par
Jean le Baptiste.
Voici donc une autre question, pour une autre réflexion : quels liens
y a-t-il eu entre les groupes baptistes et les premiers Chrétiens ? Nous
explorons trois points de contact.
(1) Nous avons parlé, il y a quelques temps déjà, de
Jean le Baptiste qui, emprisonné, avait envoyé quelques de ses propres
disciples enquêter sur Jésus de Nazareth (Luc 7). « Es-tu celui qui vient,
ou attendons-nous quelqu’un d’autre ? » Quelle que soit la réponse
donnée par Jésus, la question indique que les mouvements baptistes – dont celui
de Jean le Baptiste – ont précédé l’apparition de Jésus dans le concert des
mouvements du Judaïsme de l’époque. Que Jésus, qui n’a encore ni disciples ni
réputation se présente devant Jean confirme que Jean est venu le premier.
(2) Nous avons le souvenir de Jean le Baptiste
invectivant Pharisiens et Sadducéens lorsqu’ils se présentent à son baptême. Jean
le Baptiste est en rupture avec le Temple de Jérusalem. Il faut dire que la
contestation de l’autorité, et de la primauté du Temple est aussi ancienne que
le Temple. Dans le monde où vivait Jésus, il existait de nombreuses manières
d’approcher Dieu sans passer par le Temple, et d’assurer son salut sans en
passer par les sacrifices du Temple. Plusieurs mouvement baptistes existaient
et, parmi ces mouvements, celui de Jean le Baptiste et son baptême de
conversion – d’autres proposaient des baptêmes de purification. Jésus lui aussi
rompt avec le Temple et le culte sacrificiel. Jésus aussi prêche la conversion…
(3) Jean le Baptiste s’adresse à tous – enfin, presque
à tous : « Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain
se rendaient auprès de lui ». Dans le récit que donne l’évangile de
Matthieu, le mouvement de Jean le Baptiste reste un mouvement ‘local’, un
mouvement ‘judéen’. Mais vu comme Jean s’adresse aux dignitaires, on devine que
sa mission est dirigée vers les petites gens, ceux qui n’ont pas les moyens de
payer les rites du Temple. Il s’adresse à eux et il les sauve gratuitement, ce
que fera Jésus, lui aussi.
En repérant ces points de contact, nous repérons aussi que Jésus va plus
loin que Jean le Baptiste.
Jean le Baptiste est un prédicateur sédentaire : on sort de chez soi
pour aller le rencontrer. Nous voyons au contraire Jésus quitter une fois pour
toutes l’ascèse du désert pour aller à la rencontre de ses contemporains.
Jean le Baptiste propose un rituel de salut à ceux qui viennent vers lui,
Jésus sauvera sans aucun rituel.
Du fait de sa mobilité, Jésus se trouvera en contact avec des populations
plus diversifiées encore que Jean. Ainsi s’approchera-t-il des laissés pour
compte, des infirmes, de malades, des maudits (collecteurs d’impôts, prostitués)
et des occupants romains.
Peut-être même est-ce en raison de sa mobilité que Jésus sera plus radical
encore que Jean le Baptiste, dans son opposition avec des chefs de synagogues,
avec des dignitaires religieux, et avec le Temple, dont – comme nous le savons
– il prédira la destruction.
Et finalement, si l’on voit en Jean le Baptiste un mouvement d’émancipation
du judaïsme vis-à-vis de ses anciennes structures, et son ouverture à tout un
petit peuple autochtone, nous verrons en Jésus une émancipation plus radicale
encore, et une ouverture du judaïsme sur l’universel : c’est aux nations
qu’il entend finalement s’adresser, c'est-à-dire à toute femme et à tout homme,
et en tous temps.
Mais cette originalité, cette ouverture, celles de Jésus, peuvent-elles
être comprises par tous ? Jésus n’aura pas été compris par tous, ni accepté
par tous, nous le savons. Nous savons que la singularité de Jésus, et son
universalité, proclamées par la voix du ciel au jour de son baptême, seront
déclarées blasphème par certains. Nous savons aussi que la mise à mort de Jésus
ne pourra pas mettre fin à cette extraordinaire ouverture qu’il avait initiée.
A la fin de l’évangile de Matthieu, comme un résumé de tout son ministère,
ne reste de Jésus que cette consigne : « Allez donc: de toutes les
nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du
Saint Esprit, 20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai
prescrit. Et moi je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des
temps. » C’est une consigne infiniment simple…
La chrétienté s’en est-elle toujours tenue à cette simplicité ? Nous
en sommes nous toujours tenus à cette simplicité ? Je crois que la
simplicité vient toujours à la fin… A la fin de cette méditation, me revient la
fin d’un texte de Saint Exupéry, appris il y a longtemps, classe de CM2 :
« Mais tu répands en nous un bonheur infiniment simple. » Puisse
cette simplicité nous habiter. Amen