dimanche 19 janvier 2020

L'agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde (Jean 1,29-34)

Nul doute qu'avant longtemps les extrémistes de la cause animale ne réclament l'interdiction de toute évocation du sacrifice d'une bête. Et alors, pour ce qu'il en est de l'agneau, nous devrons dire adieu à  L'agneau de Dieu de Zurbaran (ci-dessus), au sublime Agnus Dei  du Requiem de Fauré, à une grande partie du Pentateuque (dont Genèse 22)  et à la consommation du gigot de 7 heures, des ris et des barons . Mais alors dans les Bibles - et dans la liturgie - par quoi remplacera-t-on le mot agneau ? Tout nom d'animal étant exclu, on se rabattra sur le nom d'un légume. Mais alors se lèveront les extrémistes de la cause  des végétaux qui exigeront l'interdiction de  etc.. Resteront alors les minéraux. Mais se lèveront les défenseurs de la cause minérale, qui etc..  (cette petite raillerie fait suite à une expérience vécue ; et pourrait bien servir de point de départ à l'écriture d'une longue nouvelle...).

Jean 1
29 Le lendemain, (Jean le Baptiste) voit Jésus qui vient vers lui et il dit: «Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde.
30 C'est de lui que j'ai dit: ‹Après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était.›
31 Moi-même, je ne le connaissais pas, mais c'est en vue de sa manifestation à Israël que je suis venu baptiser dans l'eau.»
32 Et Jean porta son témoignage en disant: «J'ai vu l'Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui.
33 Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, c'est lui qui m'a dit: ‹Celui sur lequel tu verras l'Esprit descendre et demeurer sur lui, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint.›
34 Et moi j'ai vu et j'atteste qu'il est, lui, le Fils de Dieu.»

Prédication : 


            Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. Parole de Jean le Baptiste, selon Jean l’évangéliste, prononcée lorsqu’il vit Jésus venir à lui. Parole aussi que le prêtre prononce à un moment précis de la messe, pour inviter l’assemblée – c'est-à-dire chaque fidèle en lui-même et les fidèles tous ensemble – à reconnaître Jésus qui vient, Jésus qui est présent.
Alors l’assemblée peut dans la foi vivre la même expérience que Jean le Baptiste, qui vécut et prêcha l’espérance de cet instant, et qui vit son espérance, l’espérance de sa vie, s’accomplir.
            Mais quelle était cette espérance ? En voici l’expression : voir l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Nous allons tâcher de méditer cette expression.

            Cette expression fait instantanément penser aux cultes sacrificiels – au pluriel – dont les rituels – parfois extrêmement complexes – nous ont été soigneusement transmis dans les 5 premiers livres de la Bible. Ainsi, il y a, principalement dans les livres du Lévitique et des Nombres, des sacrifices pour tous les moments de la journée et pour tous les événements de la vie. L’étude approfondie de ces rituels et la question historique de leur mise en pratique sont des sujets passionnants.

Du temps de Jésus, certains de ces rituels se pratiquaient toujours au Temple de Jérusalem, mais le Temple n’était pas le seul lieu où l’on sacrifiait à Iahvé. Lorsque Jean a écrit son évangile, le Temple n’existait plus ; mais la mémoire du Temple et de ce qui s’y pratiquait était encore fraîche. Et le culte sacrificiel était toujours pratiqué, par les Samaritains, sur le mont Garizim ; et nous avons, avec le 4ème chapitre de Jean, la trace d’une mission chrétienne précoce vers la Samarie. Nous pouvons donc penser que le thème du sacrifice était compréhensible par le premier lectorat de l’évangile de Jean.
Parmi les rituels qui nous ont été transmis, nous en retenons 2.

Le premier rituel est celui d’un sacrifice annuel, et l’animal sacrifié est un bouc. Le bouc est l’animal qui est abattu le plus souvent dans des sacrifices d’expiation – de pardon des péchés. Ce peut être pour un péché individuel, et alors l’animal est égorgé. Mais ce peut être aussi pour tous les péchés de tout le peuple. L’animal alors, après avoir été chargé, par l’office du prêtre, de tous les péchés du peuple, est conduit dans le désert et y est abandonné à son sort (Lévitique 16,21).

Le second rituel que nous mentionnons est celui d’un sacrifice qui n’est pas annuel, mais qui est offert deux fois par jour, le matin et le soir, un sacrifice complet : aucune part n’en revient au prêtre, tout y est consumé. L’animal sacrifié y est un agneau sans défaut et âgé d’un an (Nombres 28,4). Ce sacrifice particulier a pour unique fonction de rappeler la perpétuité de l’Alliance.

Ce sont donc là deux sacrifices auxquels il est possible de penser lorsqu’on médite sur la phrase de Jean le Baptiste : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Chacun de ces deux sacrifices appelle une remarque.
Le sacrifice biquotidien des agneaux sans défaut nous signale qu’il faut moins d’une demi-journée à un être humain pour oublier le sens de l’Alliance ! En une demi-journée au plus, tout être humain aura oublié la libre initiative de Dieu qui fait grâce, et aura oublié ce qu’est l’engagement d’un être humain qui choisit de recevoir cette grâce. Une demi-journée pour oublier, pour renier, pour mentir… une demi-journée pour le disciple Pierre, qui passe de l’expression d’un engagement absolu à l’expression d’un reniement absolu. Nous sommes tous un peu Pierre… Le sacrifice biquotidien des agneaux suggère à raison aux catholiques romains leur discipline de la messe quotidienne, et suggère aussi aux protestants, à raison, leur pratique quotidienne faite de lecture et de méditation de la Bible, ainsi que d’oraison.
            Le sacrifice annuel du bouc signale que par une succession d’opérations symboliques, le peuple de Dieu tout entier, et donc les humains, chacun pour lui-même mais aussi chacun dans toutes les relations qu’il entretient avec ses contemporains, peut être pardonné, ou délié de ses péchés, fautes et autres compromissions.

Mais qu’en est-il du sacrifice de l’agneau de Dieu ? Qu’en est-il de cet agneau si particulier, l’Agneau de Dieu ? Les bêtes offertes dans les sacrifices que nous avons mentionnés précédemment sont offertes par l’homme à  Dieu. L’homme, en offrant ces bêtes, en se privant du capital et de la sécurité qu’elles représentent, manifeste sa foi en Dieu.
S’agissant de l’agneau de Dieu, c’est Dieu lui-même qui apporte l’agneau, qui l’offre aux êtres humains. Et de cet agneau, qui est Jésus, nous savons (Prologue de l’évangile de Jean) qu’il est le Verbe fait chair, qu’il est Dieu lui-même qui s’est fait homme. Dans le sacrifice de l’agneau de Dieu, c’est donc Dieu lui-même qui s’offre en sacrifice au bénéfice de l’humanité toute entière. Il le fait une fois pour toutes. Et en le faisant, il délie l’humanité de toutes les règles, obligations, pesanteurs et autres chaînes possibles.
Nous sommes cette humanité libérée. Puissions-nous honorer toujours cette libération et celui qui en est la source. Amen